2023-12-31 21:06:01
DLa grande histoire littéraire du jazz est encore à écrire et il semble y avoir encore beaucoup de choses à (nouvellement) découvrir, surtout à ses débuts. On pense naturellement d’abord à « l’ère du jazz » américain proclamé par F. Scott Fitzgerald, mais il y a aussi eu un engagement programmatique productif avec la nouvelle musique dans la littérature européenne et allemande. Hans Janowitz a publié le roman “Jazz” en 1927, René Schickele a publié le roman “Symphonie pour le jazz” en 1929 – et maintenant le roman de Felix Dörmann, également simplement intitulé “Jazz”, est réédité par une petite maison d’édition viennoise et date de 1925. .
Dörmann a une histoire professionnelle aventureuse : né en 1870, il fait ses débuts en tant que poète (« Neurotica ») en 1891 et s’associe bientôt aux protagonistes du modernisme viennois tels que Bahr, Hofmannsthal et Schnitzler. Karl Kraus écrira plus tard à propos de Dörmann qu’il « aurait aimé devenir un Baudelaire viennois et aurait étranglé quiconque aurait prédit qu’il finirait dans l’opérette ». En fait, après avoir écrit d’autres poèmes, pièces de théâtre et romans, Dörmann a principalement écrit des livrets (« A Waltz Dream »). Et comme le montre clairement la postface intelligente et pointue d’Alexander Kluy à ce livre, il est devenu un pionnier du cinéma autrichien qui a fondé une société de production en 1912, mais qui bientôt “ne pouvait plus survivre même avec des films érotiques explicites tels que des films de toilette et de déshabillage”.
L’aspect cinématographique est également inscrit dans le roman « Jazz » ; Cela commence comme un scénario : « Une soirée grise de novembre. Les lumières vacillent faiblement à travers le brouillard épais. Les pavés brillent de manière humide. » Et puis : « Des fardeaux invisibles pèsent sur toutes les âmes. » Novembre sombre de l’âme : on a l’impression que Dörmann cite « Moby-Dick » de Melville, mais son œuvre n’est pas aussi avancée littérairement comme cette œuvre : « Jazz » est un roman à rumeurs qui a peu de profondeur mais beaucoup de surface lumineuse ; le récit semble parfois posé.
D’abord je l’ai raté avec tristesse, puis avec ressentiment
Dans sa mémoire est inscrite la tristesse d’un « monde d’hier » fané, comme l’évoquait à nouveau Stefan Zweig avant sa mort. La vieille Vienne d’avant la Première Guerre mondiale nous manque ici d’abord avec mélancolie, puis avec ressentiment. Le narrateur de ce roman ne pleure pas seulement cette Vienne, où le « Café Impérial » était encore « le lieu de rencontre d’une sélection distinguée de la société viennoise », mais il injurie aussi la nouvelle Vienne des « vendeurs de graisse et de confiture », pour le point de la xénophobie agressive : « Vienne est balkanisée et gitane », affirme-t-il.
La protagoniste Marianne, fille d’un baron mort amèrement et déchu de son titre de noblesse, a été « volée sa jeunesse » par la guerre, mais elle veut maintenant s’amuser. Elle rencontre le révolutionnaire Ernö Kalmar, qui a fui la Hongrie – un nom qui parle bien de sa cupidité, car il s’empare de tout dans le monde comme les bras d’une pieuvre en cas de besoin. Il devient escroc, receleur, dealer de cocaïne et journaliste. Il reconnaît la baronne Marianne comme une « femme époustouflante » qu’il veut conquérir. Elle hésite un instant, mais est vite « perdue pour lui ». Vous n’avez pas non plus le choix, car dans la Vienne de l’inflation, c’est une question de survie. Marianne devient danseuse dans le spectacle de variétés Ronacher, Ernö devient spéculateur et banquier à succès. Mais ça se termine mal pour tous les deux. Il va la frapper et lui crier : « Bête, tu vas danser. » Et ce n’est pas ça le pire dans cette histoire de crises et de crashs.
Le jazz comme métaphore centrale
On ne peut pas prétendre que le roman traite en profondeur du jazz. Mais il en fait sa métaphore centrale. Lorsque Marianne célèbre son premier grand succès sur scène, on dit : « C’était un afflux de sang – une danse obsessionnelle, avec une magnificence étrange et incitative qui tirait sur les nerfs et brisait les cœurs. La grandeur et l’horreur de l’époque résidaient dans cette danse. Le désespoir et la joie éclatante du désespoir dansaient au rythme vacillant. Cuivres brillants, violons pleurnicheurs, cornemuses stridentes – tout s’est combiné dans un cancan de destruction – dans un groupe de jazz du désespoir, jouant des tours avec leur propre misère. Humeur du temps ! La terreur!”
Sans erreur, le jazz est ici assimilé (comme c’est le cas familièrement en anglais) au chaos, au déclin, voire à la terreur. Dès qu’on parle de « l’inévitable groupe de jazz », on dit : « L’orchestre de salon est crié et réduit au silence par le groupe de jazz. » Le jazz est synonyme de modernité dans un roman finalement anti-moderne. A la fin, Marianne en a assez de la vie moderne et conclut : « C’est jazzé. »
Félix Dörmann : « Jazz ». Romain.
Avec notes et postface d’Alexander Kluy. Edition Atelier, Vienne 2023. 288 pages, né 26 €.
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