Comme le cerveau, qui possède deux hémisphères, la recherche sur Alzheimer pourrait-elle avoir deux facettes ? D’une part, il y a les annonces de traitements prometteurs qui suscitent de l’espoir, bien qu’aucun médicament n’ait encore été commercialisé. D’autre part, il y a la face sombre, avec des soupçons de manipulations de données qui ont terni la réputation de plusieurs laboratoires ces derniers mois. Aujourd’hui, c’est un spécialiste éminent de la maladie, Berislav Zlokovic, qui est sous le feu des projecteurs, suite à la publication la semaine dernière d’une enquête dans Science sur de possibles « fautes scientifiques » répétées depuis plus de vingt-cinq ans.
Sur la base d’un dossier transmis par des lanceurs d’alerte, la revue rapporte une trentaine d’études scientifiques publiées entre 1997 et 2023, cosignées par Berislav Zlokovic et comportant des potentielles falsifications. Les scientifiques à l’origine des révélations ont également détaillé les fraudes présumées sur la plateforme en ligne PubPeer, qui permet aux chercheurs de commenter les publications de leurs pairs, et où l’on peut voir des duplications de portions d’images dans les travaux ciblés. Quatre anciens membres du laboratoire de Zlokovic ont affirmé anonymement à Science que le professeur les poussait régulièrement à « ajuster les données ».
Selon les lanceurs d’alerte, ces fautes présumées pourraient bientôt avoir des conséquences sur des patients : la revue affirme que c’est sur « beaucoup » d’études incriminées que s’appuie un essai clinique en cours aux États-Unis impliquant un candidat-médicament baptisé 3K3A-APC, variant d’une protéine produite par le corps, l’APC.
Stop ou encore ?
Recevant un financement de 30 millions de dollars des Instituts américains de santé (NIH), le traitement potentiel est censé limiter les dommages après un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique (lorsqu’un vaisseau sanguin est bouché plutôt que rompu). La phase 3 de l’essai clinique devrait débuter dès le mois de décembre et impliquer 1 400 patients. Cependant, les résultats de la phase 2 de l’essai clinique mené sur 110 personnes ne sont pas des plus encourageants : il y a eu quatre fois plus de décès dans les sept jours chez les patients recevant 3K3A-APC que chez ceux ayant reçu un placebo.
Une lecture contestée par John Griffin, qui a participé à la publication des données : « En raison de la petite taille de l’essai, il n’y a aucune différence statistiquement significative dans les résultats. » D’après ce chercheur de l’institut californien Scripps Research, l’essai de phase 3, s’appuyant sur un nombre plus important de patients, « serait le meilleur moyen d’évaluer les effets secondaires du médicament ».
À l’inverse, Matthew Schrag, l’un des lanceurs d’alerte, se dit préoccupé du « risque potentiel pour les patients si cet essai clinique se poursuit ». Compte tenu des éventuelles manipulations, ce neurospécialiste de l’université Vanderbilt, dans le Tennessee, « pense qu’il serait prudent de reconsidérer attentivement les données de l’essai de phase 2 ».
Enquête interne en cours
Dans une déclaration transmise au Parisien, l’université de Californie du Sud (USC), qui emploie le professeur Zlokovic, dit « prendre au sérieux toute allégation relative à l’intégrité de la recherche » et confirme avoir diligenté une enquête interne : « Conformément aux réglementations fédérales et aux politiques de l’USC, l’université transmet de telles allégations à son bureau de l’intégrité de la recherche pour un examen attentif. »
De son côté, le groupe de presse Springer Nature, qui a publié neuf des études visées, dit « étudier actuellement attentivement » les « préoccupations portées à son attention », selon une réponse d’un porte-parole de la division Nature Portfolio envoyée au Parisien.
Contacté, Berislav Zlokovic n’a pas répondu à nos sollicitations. Mais selon John Griffin, qui confie lui avoir « parlé brièvement » depuis les révélations, il aurait remis le nez dans ses données : « Il travaille très dur sur toutes les principales questions qui réclament de l’attention. »
Une réputation “internationalement reconnue”
Né en Serbie en 1952, Berislav Zlokovic jouissait jusqu’ici d’une aura inébranlable. En décembre 2022, il était encore la tête d’affiche des 10es rencontres de la Fondation Alzheimer, à Paris. « Sa réputation dans le domaine est internationalement reconnue. J’ai pu lire l’article de Science et le dossier est extrêmement complexe », explique le directeur général de la fondation, Philippe Amouyel, praticien hospitalier au CHU de Lille, qui affirme ne pouvoir donner un « avis consolidé » sur les « questions soulevées ».
Comme le souligne Science, les études mises en cause ont été citées plus de 8 400 fois dans la littérature scientifique. John Griffin se veut toutefois rassurant : « De multiples études non réalisées dans le laboratoire de Zlokovic, et des examens, reconnaissent la solide base scientifique et la promesse du 3K3A-APC pour les AVC ischémiques, ainsi que potentiellement pour d’autres pathologies. »
D’autres scandales ont récemment ébranlé la recherche sur la maladie d’Alzheimer. Le mois dernier, l’université de New York a conclu à une « faute grave » de la part du professeur Hoau-Yan Wang, à la suite de soupçons relatifs à vingt études. En juillet, le président de l’université Stanford, Marc Tessier-Lavigne, a démissionné après des accusations de fraude et, un an auparavant, c’était le biologiste français Sylvain Lesné qui avait été accusé d’avoir modifié des résultats.
Plusieurs de ces révélations sont notamment le fait de Matthew Schrag qui milite pour l’intégrité scientifique indépendamment de son activité pour l’université Vanderbilt. Il se dit aujourd’hui « profondément préoccupé » par des « manquements » encore « trop fréquents dans le domaine des neurosciences, en particulier dans le domaine de la maladie d’Alzheimer » : « Notre domaine d’études doit avoir un dialogue franc sur la manière dont cela l’a affecté le domaine et sur la manière de le corriger. »
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2023-11-26 08:45:00