Il y a 42 ans les BEST GBD se convertissaient à cette nouvelle église du psyché rock antipodéen, alors incarné par The Church, dans la foulée de leur deuxième album, l’épopée « The Blurred Crusade » sorti quelques mois plus tôt. Rencontre avec un très jeune Steve Kilbey en surfeur d’argent de Sydney, qui cultivait ses propres champignons magiques chez lui et qui rejetait toute tentation de schisme pop avec la vigueur de son rock. La messe est dite. Flash-back…
A noter que plus de quatre décennies après cet entretien, l’Église continue vaillamment de défier le temps et les dieux du rock and roll puisque pas moins de VINGT-QUATRE albums seront alors publiés par la formation de Steve Kilbey, qui continue inexorablement de professer son profane et une foi forcément iconoclaste. Mais il faut rendre à notre César du sud ce qui lui appartient, presque cinq ans avant que leurs collègues Midnight Oil n’enflamment les charts mondiaux, deux ans avant même l’émergence d’INXS, l’Église prouvait qu’il existait une alternative à l’hégémonie du métal. d’AC/DC et Rose Tatoo en Australie.
Publié dans le numéro 174 de BEST sous le titre
CATHÉDRALE DE SYDNEY
Le cheval galopait avec son cavalier sur le sable brun de la plage de Bondaï. Les cheveux au vent, il regardait les surfeurs se faire propulser sur le rouleau compresseur d’une vague. La vision de l’Australie de Steve Kilbey rappelle Banjo Petterson, son poète colonial préféré, une belle plume de l’époque victorienne. L’Église, le clergé, plus connectés que la ClA, plus riches que la Main Noire, plus puissants que Conan le Barbare : un concept macro-cosmique pour un groupe néo-psychédélique à tendance virile. L’Australie, ses poches kangourous, ses les déserts, son hard rock : des roses y sont tatouées, le heavy metal vit sous le signe de la voile/vapeur, mais Dieu merci l’île est assez grande pour tant d’autres cultures. « Tous les Australiens n’écoutent pas de musique hard, même si AC/DC y est très populaire, ils ne sont pas les seuls à remplir les stades. » Steve, sous son maquillage, a les yeux grands ouverts lorsqu’il raconte les derniers concerts de The Church dans des amphithéâtres ensoleillés où 5 000, 6 000 spectateurs se pressaient pour vibrer de leur rock acide mélancolique.
« L’Australie, c’est aussi l’art du melting-pot : je viens d’Angleterre, mes parents m’ont emmené avec eux lorsqu’ils ont émigré il y a vingt ans. Marty, le guitariste, a quitté l’Angleterre il y a seulement deux ans. Quant à Richard et Peter, le batteur et le second guitariste, ils sont d’origine néerlandaise. Steve vit à Bondaï Beach, le Malibu de Sydney, dans un « manoir » construit en 1880, où il empile dans un mic mac un peu de tous les styles, des antiquités aux ordinateurs en passant par une fameuse cave aux champignons magiques psychédéliques. « J’ai travaillé deux ans dans une entreprise d’informatique pour me payer un studio de maquette, avec quelques effets. J’ai l’habitude d’y travailler seul avec une boîte à rythmes, ma basse et mes claviers ; puis j’apporte les démos au groupe et on les adapte. » Steve, à vingt-huit ans, continue de faire des ronds de fumée avec ses cigarettes. « Sydney est la ville jumelle de San Francisco : elles datent de la même époque et elles ont un sentiment commun très fort. Je ne suis jamais allé à San Francisco, mais quelque chose me dit que je me sentirais comme chez moi. » Sydney et Melbourne sont séparées par près d’un millier de kilomètres et constituent deux scènes indépendantes : « On peut très bien se promener à Melbourne et pas à Sydney ou vice versa. L’Église a également été poussée par les DJ de Melbourne, alors que chez nous, ils nous ont ignorés. » Sur le bus de location du groupe, la plaque d’immatriculation indiquait « POP 431 H » : pop, c’est juste un hasard ? « The Church n’est pas un groupe pop. Pour moi, c’est une notion négative, le manque de sincérité et la superficialité sont les réciproques, ça ne m’intéresse pas. Chaque fois que nous faisions des choses pavot, je me sentais dégoûté par la suite. Je refuse d’être un garçon sucré : nous ne nous noierons pas dans la mélasse. Avec les autres, nous sommes parfois désillusionnés ou tristes et notre musique nous ressemble. En tout cas, elle n’a pas la gale, même si elle est parfois flamboyante. »
Bob Clearmountain a quitté son fief, Power Station, pour se rendre en Australie pour produire la deuxième Église. Il en profite pour réaliser un mini LP de cinq titres disponible (pour le moment) uniquement en Australie. Pour écrire ses textes, Steve utilise une technique très locale : l’écriture automatique d’André Breton et des surréalistes qu’il place sur du rock aux standards sixties. Et le spirituel, Monsieur Kilbey ? « Je préfère ne pas parier là-dessus. Ce genre de sentiment est bien trop personnel, il n’a pas sa place dans un magazine rock. » Sur scène, les Churchmen ne manquent pas de pratique ; dommage qu’ils soient si statiques. Church me rappelle tout un tas de sons, de Velvet aux premiers Kinks, en passant par Floyd de « Saucerful of… ». Le potentiel de Steve et de ses Australiens semble illimité, à condition toutefois que l’Église ne brûle pas la bougie par les deux bouts…
Publié dans BEST numéro 174 de janvier 1983
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