2024-08-08 05:36:35
La forteresse royale majorquine dégage de la magie ; au point d’avoir captivé l’âme de celui qui fut son plus illustre prisonnier. Pendant six années d’exil entre ses murs, de 1802 à 1808, Gaspar Melchor de Jovellanos a laissé en blanc les impressions que lui a causées cette unique prison dorée: «Al [oeste] De Palma, on voit le château de Bellver, auquel nos malheurs auraient pu donner quelque triste célébrité. L’ancien ministre de l’époque a déclaré qu’« il domine et orne tout le pays environnant ». Et, comme à son habitude, il souligne la caractéristique qui la rend unique, ou presque : « Sa forme est circulaire ».
Car oui, Bellver, traduit par « belle vue » pour offrir une vue panoramique enviable sur la baie et les montagnes, possède une plante circulaire qui ne partagent que la forteresse de Michelstetten, en Autriche, et celle de Restormel, en Angleterre. Bien que cette fortification défensive traditionnelle aux accents gothiques qui s’élève à 112 mètres au-dessus du niveau de la mer majorquine recèle beaucoup d’histoire et quelques secrets. «C’est une perle rare à part entière. Rien de semblable n’a été fait dans notre pays ; Nous n’avons rien de similaire”, explique Miguel Ángel Bru Castro, docteur en archéologie médiévale et membre de l’Association espagnole des amis des châteaux (AEAC), dans des déclarations à ABC.
origine étrange
Bru connaît parfaitement l’histoire de Bellver ; n’hésite pas. Son origine la plus lointaine, affirme-t-il, remonte aux conquêtes de Jacques Ier. Au XIIIe siècle, « Le Conquérant » consolida le royaume d’Aragon et conduisit ses forces jusqu’à Majorque dominée par les musulmans. “Il a ainsi mis fin aux armées almoravides qui attaquaient leurs côtes par bateau”, dit-il. Mais le temps passe même pour les rois et, alors qu’il était sur le point d’embrasser la Faucheuse, Sa Majesté partagea son royaume entre son fils aîné, Pedro, et son deuxième fils, Jaime. «Au premier, il a donné la Catalogne, l’Aragon et Valence. “Au second, Majorque, le Roussillon et la Sardaigne.”
Jacques II envisage alors la nécessité de construire une forteresse à Majorque avec un double objectif : se défendre de ses ennemis – musulmans et chrétiens – et initier une nouvelle architecture chrétienne sur l’île. L’expert qu’il a choisi pour le concevoir était le Père Salvat, et il lui a donné l’ordre d’avoir des caractéristiques spécifiques. «L’influence est venue de Simon de Montfort; et à lui, de la part de son ennemi, l’Anglais Edward Longshanks. Ce roi, qui apparaît dans le film “Braveheart”, avait réalisé des travaux de construction spectaculaires sur des châteaux après avoir attaqué le Pays de Galles et l’Écosse”, révèle Bru. Parmi l’énorme nombre de fortifications qu’il a construites, il y en a une sur laquelle Bellver s’appuie : le château de Flint. « À l’exception de son plan quadrangulaire, il ressemble à celui-ci », explique-t-il.
Comme une liste de rois gothiques, Bru énumère ces curieuses caractéristiques de Bellver qui sont généralement ignorées. Pour commencer, il précise que « son donjon est très étrange ». “Et qu’est-ce que c’est…?” Nous n’avons même pas le temps de terminer la question. «C’était là que les honneurs féodaux et vassalliques étaient rendus et que le seigneur vivait. En pratique, c’était l’endroit le plus isolé et la dernière défense de la forteresse”, répond-il. Dans le cas de notre château majorquin, le membre de l’AEAC confirme que Salvat a construit une tour barranco : libre de la forteresse et reliée à celle-ci par un pont. “De plus, il y avait de grandes meurtrières pour un type d’arme que les Anglais utilisaient lors des croisades : l’arc long”, ajoute-t-il.
Mais Bellver est bien plus qu’un château : c’est le mélange parfait entre architecture défensive et harmonie esthétique. Et le meilleur exemple en sont les trois tours qui composent sa défense. «Tous ensemble, ils forment une couronne parfaite. Ils sont rattachés à la structure circulaire elle-même et constituent la meilleure représentation de la monarchie”, ajoute Bru. La touche finale idéale est une cour qui rappelle une fortification Renaissance… même si elle a été construite entre 1300 et 1311 ! “Pour finir, se détache une plate-forme dont, au fil du temps, les créneaux ont été supprimés pour moderniser le château et le transformer en une fortification bastionnée”, complète-t-il.
Ni entrer ni sortir
Bellver, un colosse indemne, finit par servir de prison pour un personnage de la stature de Jovellanos. Cinq siècles après sa construction, l’homme politique et écrivain fut enfermé dans ses entrailles par Charles IV. Et bon sang, il a passé un mauvais moment. «Au début, il a subi une prison très dure. Il vivait dans le noir, sans nourriture… Mais quelques mois plus tard, les conditions se sont détendues”, explique Bru. C’est alors que l’ancien ministre, ébloui par sa prison, parcourt les couloirs et les remparts pour en faire une description détaillée de son architecture et de sa longue histoire. “Il a également fait une étude des villes et des espèces trouvées dans les environs”, ajoute l’expert. La transition de la haine à l’amour n’a duré que quelques jours….
Jovellanos a été rejoint peu après par de nombreux autres détenus. Après la bataille de Bailén, grande victoire espagnole contre les armées de Napoléon en juillet 1808, le général Castaños envoya à Majorque plus de 18 000 prisonniers qu’il avait capturés. Alors que la plupart des soldats passèrent leur captivité dans le camp de concentration de Cabrera, les officiers supérieurs furent transférés au château de Bellver. Le mythe raconte qu’ils y vivaient comme maréchal, ce avec quoi Bru n’est pas d’accord : « Ils subirent certains tourments. Dans la fosse, par exemple, certains d’entre eux ont été abattus”, conclut-il.
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