(Montréal) Malgré le déclin de l’intensité de la crise de la COVID-19, l’épuisement professionnel continue d’augmenter parmi les urgentologues à travers le pays.
Les problèmes liés au système de santé seraient la principale cause, selon une étude canadienne publiée dans la revue Annales de médecine d’urgence.
Les résultats de l’enquête menée à l’automne 2022 ont permis de comparer l’évolution de la santé mentale de 309 médecins d’un bout à l’autre du Canada qui avaient participé à une enquête similaire en 2020 mesurant également l’épuisement professionnel chez les urgentologues.
La comparaison des résultats révèle que 59 % des répondants ressentent un épuisement émotionnel élevé, ce qui représente une augmentation de 18 points par rapport aux résultats de 2020.
« L’épuisement émotionnel est lié à la sensation d’être submergé émotionnellement et épuisé par son travail, ainsi qu’au manque d’énergie et de motivation pour le réaliser », indique un communiqué de l’Université Laval, dont le professeur de la faculté de médecine Patrick Archambault est co-auteur de l’étude.
« Il n’est pas surprenant de constater une augmentation de la détresse lorsque l’on observe sur le terrain à quel point les ressources sont moins disponibles qu’auparavant », a déclaré M. Archambault, également urgentologue intensiviste à l’Hôtel-Dieu de Lévis.
La pandémie a permis de concentrer les services dans divers points critiques du système de santé, ce qui a temporairement réduit l’affluence aux urgences, a-t-il expliqué.
Le retour à la normale a fait ressurgir les problèmes préexistants à la pandémie. En outre, de nombreux professionnels de la santé ont quitté la profession, soit en prenant leur retraite, soit en changeant de carrière, souligne M. Archambault. Il craint que le système de santé ne s’effondre si les gouvernements n’apportent pas rapidement de solutions.
« Certains professionnels continueront à se dévouer corps et âme chaque jour aux urgences […] mais la crise persiste. Le problème est que cet épuisement professionnel pourrait continuer à s’aggraver et entraîner plus de départs et moins de ressources aux urgences si les équipes ne sont pas soutenues », a souligné M. Archambault. Il affirme que les professionnels ont la volonté de continuer à soutenir le système, mais il est urgent de trouver des solutions.
Le système dysfonctionnel en cause
Les résultats de l’étude révèlent également que 64 % des répondants ressentent un niveau élevé de dépersonnalisation. Il s’agit d’une augmentation de 11 points par rapport à l’enquête de 2020.
La dépersonnalisation se manifeste par le fait d’être confronté à une situation que l’on souhaite résoudre, mais où l’on pourrait faire mieux.
M. Archambault a donné l’exemple des médecins renvoyant souvent les personnes âgées chez elles plus rapidement qu’ils ne le souhaiteraient, car les urgences ne sont pas un environnement favorable pour eux, notamment pour rester allongés sur une civière. « La gestion du risque devient très importante et le stress que cela génère chez les urgentologues contribue à cette dépersonnalisation et à cet épuisement professionnel », commente-t-il.
Le vieillissement de la population, la complexité croissante des problèmes aux urgences et le temps nécessaire pour les résoudre avec moins de ressources sont autant de facteurs contribuant à l’épuisement professionnel des médecins, selon M. Archambault, qui est également chercheur à VITAM – Centre de recherche en santé durable et au Centre de recherche du CISSS de Chaudière-Appalaches.
Il a indiqué que les commentaires des répondants à l’étude suggèrent des pistes d’explication de la détérioration de leur santé mentale. Le faire que le système de santé soit devenu dysfonctionnel revient souvent comme commentaire principal.
La démographie du Québec fait en sorte que le nombre de personnes âgées se tournant vers les urgences faute d’autres services augmente. De plus, la disponibilité des résidences privées pour aînés diminue.
« C’est la combinaison parfaite qui fait que les gens se retrouvent aux urgences et occupent des lits, car les personnes âgées nécessitent davantage de ressources en communauté, mais celles-ci ne sont tout simplement plus disponibles », se lamente M. Archambault.
L’épuisement professionnel des urgentologues pourrait être encore plus grave que ce que montre l’étude en raison des médecins n’ayant pas répondu au sondage. « Ceux qui n’ont pas répondu au suivi peuvent avoir totalement récupéré et n’avoir tout simplement pas eu l’intérêt de répondre au sondage, mais il est probable que parmi eux se trouvent des médecins encore plus épuisés », explique-t-il.
M. Archambault reconnaît que les gouvernements travaillent avec les hôpitaux et les associations professionnelles pour trouver des solutions, mais en raison de l’épuisement du personnel, cela doit s’accélérer.
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