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Les addictions, les yeux bienveillants d’une souffrance invisible

by Nouvelles

2024-10-31 10:51:00

Pour accéder au SerD, Service de traitement des addictions pathologiques, via del Casaletto, à Rome, de l’ASL Roma 3, il faut parcourir une longue avenue bordée d’arbres. C’est une matinée avec un soleil splendide, un typique “octobre romain”. Rendez-vous en salle d’attente Dominiqueil aura environ 40 ans. Baskets et casquette à visière, il ne veut pas parler. Feuilleter un livre pour passer le temps : la clinique propose une petite bibliothèque pour ceux qui attendent leur tour. Au-dessus de l’étagère des volumes, trois hirondelles sont peintes sur le mur. L’hirondelle symbolise le printemps et avec lui le désir de renaissance, elle personnifie le sentiment de liberté.

Je comprends un peu pourquoi ils ont peint ces hirondelles quand Michele mon dit : «je me suis débarrassé de tout». Il a 25 ans, je le retrouve sur le parking devant le SerD, il a très envie de parler. Veste vert foncé, il sort de sa voiture et s’arrête pour me parler longuement. Il gesticule beaucoup, avec des mains d’ouvrier. Il a deux grands yeux bleu clair, dans un visage pâle et maigre, aux traits doux, où s’ouvre une bouche aux dents abîmées. Il me dit qu’il souffre d’addiction au jeu depuis sept ans. Puisque, après un accident (« un scooter m’a percuté, j’étais à vélo »), il a reçu une indemnisation de 11.700 euros. «Je me suis retrouvé avec un chiffre comme ça sur mon compte, à 18 ans. J’ai toujours eu des trous dans mes chaussures. Un jour, j’ai commencé à jouer aux machines à sous. Alors que j’étais dans une salle de billard, comme tous les jours, j’ai essayé pour la première fois les machines à sous, mes amis y jouaient toujours. De quelques euros j’en ai dépensé des milliers en quelques heures. Depuis ce jour, il y a sept ans, je n’ai jamais arrêté. J’ai perdu une fille qui m’aimait. J’ai perdu ma confiance et mon estime de moi. Je suis plein de dettes. Il y a un mois, j’ai dépensé 4200 euros en une semaine. Mais maintenant, je veux changer de vie, sinon ça finira mal.”

C’est une rivière déchaînée, Michele : « Je me suis débarrassé de tout », me répète-t-il. «J’ai dit à tous mes proches que j’avais un problème de jeu. J’ai eu une nouvelle démonstration de la proximité de ma famille et de mes amis, j’ai compris que je pouvais compter sur eux : malgré tout, ils sont toujours là pour m’aider. Cela m’oblige, Je n’ai jamais pensé que j’étais seul, mais le fait de m’être libéré me permet d’être honnête avec tout le monde. J’espère que c’est le bon moment pour m’en sortir». Michele me raconte qu’il a quitté l’école à 17 ans, qu’il a immédiatement travaillé pendant deux ans sur un chantier de construction, puis encore deux ans dans un supermarché et qu’il est aujourd’hui installateur de salles de réunion dans un grand hôtel de Rome. «J’ai demandé beaucoup de prêts, mais j’ai toujours travaillé, je n’ai jamais volé. Si quelques jours après avoir reçu mon salaire, je n’ai plus d’argent, maintenant mes parents en connaissent la raison, je n’ai plus besoin d’inventer des mensonges. J’ai pris en compte que pendant quelques mois je travaillerai juste pour rembourser mes dettes. J’y réfléchirai à deux fois avant de faire d’autres grosses bêtises.”

Michele est venu au SerD pour demander des informations sur la façon de commencer un voyage hors de la dépendance au jeu, il sera suivi par une équipe interdisciplinaire. On voit qu’à seulement 25 ans, il a beaucoup souffert. Et qui a souffert de voir ses proches souffrir, à cause de lui. Mais il a aussi la force de rire et de plaisanter, son téléphone portable est à moitié cassé, il me dit qu’il devrait le racheter : « Mais avec quel argent ? Haha, je ferais mieux d’en rire ! Il me dit qu’il est convaincu qu’il va tout donner pendant tout ce temps, c’est la deuxième fois qu’il vient à SerD, il a aussi essayé il y a quelques années mais ça n’a pas marché. «Je suis conscient que je ne m’en sortirai pas du jour au lendemain. Mais j’ai appris que si je garde tout à l’intérieur, je ne fais que des dégâts». Même me parler est une façon de se libérer.

Michele me raconte qu’il consomme sporadiquement de la cocaïne «je ne dépense pas plus de 20 euros par mois» et de la marijuana fréquemment «toujours en compagnie, avec des amis, le soir». Il aime jouer aux machines à sous « parce que c’est un défi entre moi et l’ordinateur. À l’intérieur de la pièce où se trouvent les machines à sous, tout est sombre et il n’y a pas de fenêtres. J’entre là-dedans, je me dis que je joue à 10 euros et je sors. Je pars au bout de quatre heures, et j’ai au moins 2 mille euros d’acompte. Désormais, dans certaines salles de jeux, vous pouvez retirer de l’argent directement sur place, vous n’avez même pas besoin de sortir pour retirer. Après sept ans, j’ai dépensé plusieurs dizaines (voire centaines) de milliers d’euros, chaque fois que j’y vais en pensant que c’est le bon moment. Je sais que je ne gagne pas, j’y vais parce que je dois y rester et jouer. J’ai honte de jouer en compagnie, je sais que j’ai tort, je commence à transpirer. Et j’y vais toujours l’esprit lucide, sans avoir consommé de substances auparavant.” Michele me salue et me dit qu’il pense maintenant à se remettre de sa dépendance au jeu et qu’il essaiera ensuite de reconquérir son ex-petite amie.

Ils me dépassent Mario et Elenatrès (trop) maigres, ils ne se lâchent pas un seul instant les mains : elle porte un chapeau bleu et de grosses lunettes de soleil, lui des bretelles noires sur son pull. Ils ont un pas fatigué, usé par la vie. Ils me regardent avec méfiance, ils voudraient être invisibles. Ils ne veulent pas parler, ils ont hâte de sortir. Ils veulent continuer leur voyage ensemble, sortir d’ici le plus vite possible. Je peux les photographier “de dos, quand nous sommes deux points”, et sur la photo ci-dessous on voit leurs silhouettes noires dans l’avenue, à droite.

Salvatorevisage souffrant, teint jaune, il a 55 ans mais en paraît 20 de plus. Depuis près de 40 ans, il vit en compagnie de l’alcool. Il est venu avec son petit chien blanc, tenu en laisse par ses mains ridées et tachées. «Il ne me reste plus que lui, c’est mon seul partenaire de vie», me dit-il. Aussi Franco il a l’air plus vieux qu’il ne l’est. Il me dit qu’il consomme de la drogue depuis 1995 et qu’il prend de la méthadone depuis 20 ans. Sa femme est sous dialyse, mais les médicaments n’y sont pour rien : « C’est avant tout pour elle que je suis là, parce que je veux qu’elle me voie me sentir bien, enfin. Il le mérite », me dit-il en ouvrant la bouche avec quelques dents. Franco est bien habillé, il est venu dans sa voiture. Il me parle vite, il a peur de ne pas avoir le temps de prendre les médicaments avant la fermeture. Quand il sort, il est encore plus pressé qu’avant. Il veut aller chercher de la méthadone. Et il veut retourner auprès de sa femme.

Une femme d’une quarantaine d’années traverse la salle d’attente de l’autorité sanitaire locale d’un pas ferme et rapide, enveloppée dans un pull noir, trop lourd pour les 25 degrés qui règnent aujourd’hui à Rome. Il ne veut pas me dire pourquoi il est là, mais il me dit, avec une expression fâchée et triste : «Mon histoire n’intéresse personne», puis il esquisse un demi-sourire, plus avec les yeux qu’avec la bouche. Et il me salue avec un regard baissé en ouvrant la portière de sa petite voiture rouge. Elle aussi aimerait être invisible.

Tous les noms dans l’article sont fictifs. Photo par Ilaria Dioguardi

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