Les cloches du vieux Tokyo, critique de livre (2023)

Il y a un point très précis à Tokyo où un gratte-ciel s’élève à côté d’un arbre de plus de trois cents ans ; ce contraste violent entre deux mondes opposés et qui pourrait passer inaperçu par le fils de n’importe quel voisin ont fait Anna Shermann –diplômée en études grecques et latines et résidente au Japon depuis plus de vingt ans– capture sa fascination pour la capitale japonaise dans un long essai. Elle, occidentale dans une ville peuplée de près de quatorze millions d’habitants, réfléchit à ces contrastes et à l’histoire de la ville qui s’appelait autrefois Edo.

L’agencement et l’ordre de ses petits chapitres, précis comme le mécanisme d’une horloge, nous invite à découvrir la relation entre le temps et l’espace à partir d’éléments symboliques aussi importants pour la culture japonaise que les cloches. Sherman nous parle d’eux, omniprésents dans tout le pays, et de leur relation avec des espaces spécifiques : des prisons et potences aux temples et châteaux. L’auteur explique également les wadokei, les anciennes horloges japonaises et les nouveaux systèmes de mesure du temps introduits dans le pays par les jésuites. Tout cela, plein d’épisodes historiques et de références littéraires juteuses qui plaisent à l’expert et intéressent l’initié.

La proximité de l’histoire à la première personne, son écriture soignée, sa structure libre parfois imprévisible, et son contenu – qui, sans lésiner sur les données, n’est en aucun cas académique – font que le regard de l’auteur nous permet de tomber amoureux (ou de tomber dans l’amour à nouveau, selon les cas) d’une capitale magnétique et bouillonnante, dans laquelle, comme il le dit, « le silence peut être sinistre ». Et bien que son développement obvie à bien des aspects qui pourraient être d’un grand intérêt, ces deux cents pages – auxquelles s’ajoutent des centaines de notes complémentaires et une bibliographie très complète – sont une lecture fortement recommandée à quiconque ressent un lien affectif, aussi invisible qu’inexplicable, avec la vieille ville de Tokyo.