Les enjeux de l’Occident (que Pékin ne fixe pas)

Les enjeux de l’Occident (que Pékin ne fixe pas)

2023-06-04 08:43:31

En 2019, c’est la définition de Pékin comme rival systémique qui a ouvert la voie à un plus grand activisme européen sur la question des infrastructures, véritable terrain de jeu mondial. Cependant, l’attention portée par Bruxelles à ses propres valeurs indique comment les projets financés dans le cadre du nouveau Global Gateway devront se soumettre à des normes strictes, contrairement à celles de la Route de la Soie. Les scénarios d’Alessandro Gili, chargé de recherche en Géoéconomie des infrastructures, Ispi

Entre fin 2022 et début 2023, l’Union européenne a appuyé sur l’accélérateur du plan de développement des infrastructures internationales Global gateway, qui vise à accroître la connectivité de l’Europe avec le reste du monde, en particulier avec les pays en développement et le voisinage européen. Lancé en décembre 2021, il s’inscrit dans un plan plus large visant à garantir l’autonomie stratégique de l’Union européenne dans ses relations économiques et politiques avec le reste du monde, y compris les secteurs de l’industrie, de la défense, de l’espace et de l’approvisionnement en matériel d’abord et enfin les infrastructures.

La passerelle mondiale est le développement le plus récent d’un long parcours d’attention européenne croissante aux infrastructures et à la connectivité, ainsi qu’aux risques géopolitiques découlant de projets d’autres puissances, comme dans le cas de l’initiative chinoise Belt and Road, BRI. C’est précisément la définition de Pékin comme “rival systémique” en mars 2019 qui a marqué un changement de rythme dans la stratégie européenne et ouvert la voie à un plus grand activisme de l’Union sur la question des infrastructures, véritable terrain de jeu mondial de la transition verte. . Cependant, l’attention portée par l’UE à ses propres valeurs indique comment les projets financés dans ce nouveau cadre devront se soumettre à des normes strictes en matière de durabilité tant financière qu’environnementale, de transparence dans les procédures d’attribution, de conditions sociales dans les pays de destination ainsi que le respect des droits humains fondamentaux et de l’État de droit.

Une nouvelle approche structurelle qui, sans rupture nette avec le passé, entend présenter un cadre plus simple et plus cohérent pour les investissements extérieurs de l’Union dans les infrastructures, créant une véritable alternative durable à la BRI. En fin de compte, l’UE est candidate pour devenir un acteur mondial des investissements dans les infrastructures en augmentant sa connectivité avec le reste du monde. Le plan Global Gateway entend mobiliser jusqu’à 300 milliards d’euros d’ici 2027 : c’est la tentative européenne de contribuer à réduire le déficit mondial d’infrastructures et d’offrir un modèle d’investissement alternatif à celui proposé par Pékin et d’autres pays. Les secteurs identifiés comme centraux dans la stratégie européenne sont le numérique, le climat et l’énergie, les transports, la santé, l’éducation et la recherche. Les partenariats que l’UE mettra en place seront basés sur certains principes fondamentaux tels que la haute qualité des projets, les normes et le respect des valeurs démocratiques ; bonne gouvernance des projets et transparence ; partenariats égaux; investissements verts; approche basée sur la sécurité ; enfin, attraction des investissements privés.

Ce dernier point est au cœur de la stratégie européenne. Les fonds européens sont destinés à catalyser l’investissement privé, ce qui se traduit par un effet multiplicateur des ressources déployées. La Commission a l’intention de travailler en étroite coordination avec la Banque européenne d’investissement, la BEI, et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la BERD, en catalysant les instruments existants et en dirigeant leur “puissance de feu” vers les objectifs du Global Gateway . Après les hésitations initiales, des projets commencent à être financés, de manière à multiplier le montant des investissements privés attirés.

Ce qui change, c’est l’hypothèse d’une compétition stratégique avec d’autres modèles, rendant explicite et introjectant une dynamique sur laquelle l’Union avait toujours été plutôt prudente dans le passé. Un changement qui s’accompagne, en outre, de l’insistance renouvelée de l’UE sur l’autonomie stratégique, objet d’une discussion importante entre les États membres et d’un thème central également du lancement du plan industriel EU Green deal et de l’industrie Net Zero qui en découle agir. A une époque caractérisée par l’hyper-compétitivité entre puissances, pour reprendre les propres mots d’Ursula von der Leyen, toute ambition d’autonomie stratégique ne peut faire l’impasse sur une action extérieure solide visant à renforcer les liens avec les pays partenaires et à réduire les dépendances stratégiques de l’Union.

Les caractéristiques mêmes de l’initiative Global Gateway démontrent cependant à quel point l’Union européenne veut aller bien au-delà d’un simple mécanisme d’investissements futurs dans les infrastructures à travers le monde. Bruxelles, en effet, se retrouve à mener l’une des actions qui a tant critiqué le système BRI, à savoir celle de vouloir proposer un modèle économique et de développement aux pays bénéficiaires, sans s’arrêter au simple financement des infrastructures. Cependant, un modèle alternatif basé sur la durabilité, y compris la durabilité économique, des projets financés. Les principales incertitudes concernent l’accueil que recevra cette initiative dans les pays cibles et son attractivité par rapport à la BRI. Une autre faiblesse possible réside dans les taux appliqués aux prêts : habituellement, les conditions financières proposées par Pékin sont en moyenne plus avantageuses que les prêts accordés par les pays occidentaux.

Ensuite, justement la forte dimension géo-économique de l’initiative européenne suggère que Global Gateway deviendra inévitablement aussi un instrument de projection de l’influence politique de Bruxelles. Enfin, il y a les quelques investissements envisagés pour l’espace méditerranéen. Il s’agit d’un domaine crucial pour l’Union européenne, surtout aujourd’hui où les chaînes de valeur mondiales sont reconfigurées et régionalisées, avec les pays de la rive sud de la Méditerranée comme candidats aux destinataires naturels des processus de nearshoring. Lors du sommet de février 2022 entre l’Union africaine et l’Union européenne, la ferme intention de l’UE de lancer un plan d’investissement régional pour l’Afrique, dans le cadre du Global Gateway élargi, a été immédiatement claire.

Un plan d’investissements publics et privés visant à accroître la contribution du secteur privé à la croissance de l’Afrique et à la transformation du continent. Les infrastructures d’interconnexion numérique entre l’Europe et l’Afrique et l’énergie, qui seront au cœur des engagements du Global Gateway for Africa, joueront un rôle de premier plan avec des investissements prévus pouvant aller jusqu’à quinze milliards d’euros. A terme, le financement des infrastructures à l’étranger favorisera la diffusion des normes et des valeurs européennes dans le monde, renforcera les objectifs de politique industrielle et la capacité de pénétration des entreprises européennes et, enfin, facilitera l’atteinte des objectifs de décarbonation dans le monde, principes clés de la stratégie verte de l’Union.

L’ambition d’aller au-delà du simple financement d’investissements et d’infrastructures est en effet confirmée non seulement par la Commission mais aussi par l’implication dans la maîtrise d’ouvrage du Haut Représentant pour la politique étrangère et de défense commune, Josep Borrell, ainsi que des commissaires pour voisinage et élargissement et pour les partenariats internationaux. Global gateway est donc candidat pour devenir l’un des principaux instruments de l’action extérieure de l’Union européenne dans l’immédiat et l’une des pierres angulaires de sa politique industrielle. La porte d’entrée européenne représente un élément fondamental pour atteindre les objectifs économiques et géopolitiques de l’Union, ainsi que pour renforcer sa compétitivité et sa résilience dans un scénario de tensions croissantes. A condition que les fonds et les mécanismes de décaissement nécessaires pour y parvenir soient efficaces et à la hauteur de la concurrence internationale.

*Cet article a été publié dans le magazine Formiche de mai 2023



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