2024-05-08 08:58:58
Au début des années 2000, j’ai écrit une lettre à Le pays hebdomadaire. Il a raconté en quelques lignes, non sans une certaine amertume, la situation précaire que nous, chercheurs, connaissions à cette époque. J’y disais que je devais me rendre dans un bureau de la Sécurité Sociale pour faire des formalités, mais le fonctionnaire de service m’a dit qu’il ne pouvait pas le faire parce que je ne travaillais pas. J’ai répondu que je travaillais beaucoup. Ce que je n’ai pas fait, c’est cotiser, par décision de mon employeur de l’époque, le ministère de l’Éducation et de la Culture du gouvernement espagnol.
Pour une raison quelconque, ce souvenir vif m’est revenu ces derniers jours.
A cette époque, je travaillais dans l’un des centres de recherche les plus prestigieux du pays, mais pour recevoir des soins médicaux, je devais continuer à bénéficier de la carte de sécurité sociale de mon père. Mais j’ai eu de la chance, à cette époque j’ai “bénéficié” d’une des bourses de recherche les plus difficiles à obtenir, une FPU (Formation Universitaire des Professeurs et Personnel de Recherche), qui m’avait permis de quitter ma ville, me promettant un avenir meilleur que celui-là. celui qui m’aurait correspondu par descendance. Mon père était soudeur dans les hauts fourneaux de la Méditerranée, qui furent démantelés au début des années 80, condamnant les enfants de ces ouvriers à un avenir incertain. Mais nos pères et nos mères ont serré les dents, ils ont lutté contre une décision qui condamnait l’avenir de toute une génération. Ils n’avaient aucune formation, mais ils savaient avec certitude que la seule façon d’atténuer les risques était d’étudier, de sortir de là, de chercher une destination qui ne nous appartenait pas.
Et c’est ce que nous avons fait. Nous avons étudié et nous avons serré les dents comme eux seuls nous l’avaient appris, au milieu de la confusion et de l’incertitude d’une famille dont le seul revenu est en danger. Et cet effort, le sien et le nôtre, nous a rendus excellents. Et nous avons été si excellents que nous avons réussi à transcender cet avenir qui ne comptait pas sur nous.
Et aujourd’hui, alors que nous en sommes aux dernières étapes de notre carrière, nombre de ces scientifiques regardent en arrière et conviennent que le chemin n’a pas été facile. Nous sommes conscients que nous avons dû faire de nombreuses concessions : enchaîner contrats d’intérim après contrats d’intérim jusqu’à une stabilisation plusieurs fois au-delà de cinquante, quitter notre pays ou notre ville, nous déraciner et nous réinventer maintes fois, voir comment les rêves de ceux qui ont bénéficié de notre nos amis les plus proches étaient désespérément en retard pour nous ; l’achat d’une voiture, l’hypothèque redoutée pour laquelle il a fallu demander de l’aide, des enfants à un âge qui ne correspond plus…
Mais pendant tout ce temps nous avons serré les dents et nous avons continué à faire, nous avons continué à mettre de l’enthousiasme, des heures, des efforts, de l’intensité, du dévouement, des sacrifices…
Et en chemin, nous avons amélioré le monde, nous avons fait des découvertes pertinentes, nous avons compris les mécanismes les plus intimes de certaines maladies, nous avons développé des vaccins et de nouveaux systèmes de diagnostic, nous avons découvert de nouvelles planètes, nous avons décrit de nouvelles formes géométriques et nous avons inventé et généré de la richesse, exactement comme ils nous l’ont demandé. Essentiellement, nous avons amélioré le monde que nos parents nous ont laissé. Et nous l’avons beaucoup amélioré. Il suffit de lever les yeux et de voir les différences.
Et au cours de ce voyage, ils nous ont vendu à quel point nous, les scientifiques, étions importants, ou que nous étions, à quel point notre travail était pertinent, jusqu’à ce que nous atteignions les plus hauts niveaux de responsabilité dans les étapes les plus sombres de la pandémie, dont ils ont dit que nous sortirions meilleurs. .
Et ce mirage s’est encore une fois brisé en mille morceaux le 1er mai 2024 (Fête des Travailleurs, pour ne rien arranger). L’avenir que nous avions gagné grâce à nos efforts a été déchiré une fois de plus, pour la énième fois.
Mme Elma Saiz a informé les scientifiques de la fin des années 90 et du début des années 2000 que nous allions à nouveau avoir notre part de carottes et de bâtons.
La proposition du ministère qu’il dirige est que nous régularisions les cotisations non payées par notre employeur, à l’époque, le gouvernement espagnol, dans la plupart des cas. Il demande que les stagiaires qui ont travaillé dur (mais sans sécurité sociale) il y a vingt ans paient non seulement le quota qui nous correspondrait en tant que travailleurs mais aussi celui de notre employeur, et avec un maximum de cinq ans pour reconnaître (quand beaucoup d’entre nous il y avait encore beaucoup d’années), et au prix de 2024, pas l’époque à laquelle nous aurions dû lister.
Lors de ma demande de bourse FPU en 1997, le salaire mensuel (12 versements) était de 100 000 pesetas bruts (600 €), avec obligation de payer l’impôt sur le revenu des personnes physiques, mais sans droit à la sécurité sociale, à la maternité ou aux vacances. La proposition du ministère est désormais de restituer 290 € par mois pendant 5 ans maximum, soit 17 400 € au total, un montant que beaucoup d’entre nous n’ont pas ou ne sont pas prêts à payer dans un horizon toujours incertain.
Et pendant que tout cela se produit, dans les couloirs des centres de recherche et des universités de ce pays pauvre, nous nous regardons dans les yeux et nous nous demandons si tous ces efforts en valent la peine, tout en continuant à améliorer le monde que nous la laisserons à nos enfants, et nous essaierons de résoudre le énième problème scientifique avec lequel la société nous défie. Et on se dit, tout bas, que c’est un pays pauvre parce qu’il ne prend pas soin de ses scientifiques, même si un jour on nous a écrit sur un papier que nous étions excellents.
Et, du coup, on se rend compte qu’on serre encore les dents. En fait, nous n’avons jamais cessé de les presser.
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