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l’identité et l’histoire se croisent dans le nouveau roman obsédant de Jenny Erpenbeck

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l’identité et l’histoire se croisent dans le nouveau roman obsédant de Jenny Erpenbeck

L’identité personnelle et l’histoire collective sont deux éléments intrinsèquement liés qui se croisent et s’entremêlent dans le nouveau roman obsédant de Jenny Erpenbeck. En explorant ces notions complexes, l’auteure offre une réflexion profonde sur le poids du passé et l’influence qu’il exerce sur notre présent. à travers une prose captivante et émouvante, Erpenbeck évoque les destins individuels qui se déploient au sein d’un contexte historique mouvementé, nous invitant ainsi à plonger dans les profondeurs de l’âme humaine et de l’histoire elle-même. Dans cet article, nous explorerons les thématiques centrales du roman de Jenny Erpenbeck et analyserons comment elles se manifestent dans l’écriture vive et évocatrice de l’auteure.

Le nouveau roman de Jenny Erpenbeck Kaïrostraduit par Michael Hofmann, est l’histoire d’une relation entre une jeune femme et un homme marié plus âgé, dans le contexte des dernières années de la République démocratique allemande.

Mais Kairos est bien plus qu’une histoire d’amour. Il s’agit de rencontres fortuites et de trouver sa place dans un monde au bord de la désintégration.


Critique : Kairos – Jenny Erpenbeck, traduit par Michael Hofmann (Granta)


Son titre est l’un des deux mots grecs anciens désignant le temps. Où chronos fait référence au temps linéaire, Kairos fait référence au moment le plus propice pour une action ou un argument. Dans rhétoriqueil décrit une capacité à faire « exactement la bonne déclaration exactement au bon moment ».

Le roman d’Erpenbeck commence avec sa protagoniste Katharina fouillant deux boîtes de papiers ayant appartenu à Hans, son ancien amant. Cela amène Katharina à se remémorer leur relation :

Kairos, le dieu des moments heureux, est censé avoir une mèche de cheveux sur le front, qui est le seul moyen de le saisir. Car une fois que le dieu s’est glissé sur ses pattes ailées, l’arrière de sa tête est lisse et glabre, sans nulle part où se saisir. Était-ce alors un moment heureux lorsqu’elle, à peine âgée de dix-neuf ans, rencontra Hans pour la première fois ?

La fortune et les rencontres heureuses sont des aspects importants de Kairos, tout comme le temps et le timing. Cela s’applique au moment de la relation entre Katharina et Hans, qui coïncide avec l’effondrement imminent de la république est-allemande. Le roman capture l’air du temps des dernières années de la République démocratique allemande et l’avenir incertain auquel sont confrontés le pays et ses citoyens à la fin des années 1980.

Lorsqu’on lui a demandé dans une interview pourquoi elle avait écrit sur cette période de l’histoire de l’Allemagne de l’Est, Erpenbeck expliqué:

Ce qui m’a intéressé, c’est comment quelque chose qui a commencé comme une idée géniale, comme une sorte de vision utopique, comment cela peut se transformer en quelque chose qui ne va pas ?

Cette idée d’une utopie qui a mal tourné est explorée à un niveau personnel à travers la relation de Katharina, 19 ans, avec Hans, marié et père d’un enfant et de 34 ans son aîné. Erpenbeck n’utilise pas cette relation simplement comme une allégorie de la désintégration de la république, mais pour aborder des questions plus larges sur la politique et l’histoire, en particulier la politique de la mémoire en Allemagne.

À mesure que la relation progresse et que la fin de la République démocratique allemande approche, Hans se tourne de plus en plus vers le passé. Il se sent nostalgique de son enfance, une enfance marquée par sa méconnaissance de l’histoire. Cela se reflète dans son traitement envers Katharina, qui trouve son origine dans sa fascination pour son innocence : « Son plaisir ne serait pas aussi intense si le visage de Katharina n’avait pas l’air si pur. »



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Le fardeau du passé

Hans, apprend-on, a grandi pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque ses parents ont quitté Riga en Lettonie pour Gotenhafen, aujourd’hui Gdynia, en Pologne. Force est de constater que les précédents habitants de leur maison ont dû partir assez rapidement. Hans, six ans, ne réalise pas qu’on lui a donné la maison d’une famille juive, mais le lecteur ne peut s’empêcher de faire cette hypothèse.

Même si Hans n’était qu’un enfant pendant la Seconde Guerre mondiale, il envie à Katharina sa capacité à ne pas se sentir coupable de l’Holocauste, puisqu’elle est née après la guerre. Cela fait partie de la pureté et de l’innocence qu’il trouve si désirables chez elle, physiquement et émotionnellement. Pourtant, Katharina ressent cette culpabilité. Elle est très consciente du fardeau transmis aux générations suivantes d’Allemands :

Elle ne se souvient pas d’un moment de sa vie où elle ne savait pas qu’en Allemagne, la mort n’est pas la fin de tout mais le début. Elle sait que seule une très fine couche de terre est répandue sur les os, les cendres des victimes incinérées, qu’il n’y a jamais d’autre marche pour un Allemand que sur les crânes, les yeux, les bouches et les squelettes, que chaque pas remue. ces profondeurs, et ces profondeurs sont la mesure de chaque chemin, qu’on le veuille ou non.

Ce passage d’une beauté envoûtante illustre le style poétique d’Erpenbeck et l’utilisation précise de l’imagerie. Il résume bien la relation paradoxale de l’Allemagne divisée et réunifiée avec son passé nazi, à la fois lointain et omniprésent, presque tangible mais pas tout à fait.

Jenny Erpenbeck.
Amrei-Marie, via Wikimedia Commons, CC BY-SA

Hans vit aussi dans le passé. Il pense que « le présent n’avait de sens pour lui que lorsqu’il pouvait le voir comme un passé en attente qu’il pouvait contrôler ».

Ce désir de contrôle est un aspect clé de sa relation avec Katharina. Le traitement de plus en plus abusif qu’il lui inflige est lié à ce qu’il perçoit comme des moments de transgression et des tentatives d’échapper à son contrôle.

La première fois que Hans attache Katharina et la bat avec sa ceinture, elle réfléchit : « Est-ce qu’il s’est livré à elle, ou à elle ? Mais peu de temps après, le besoin de Hans de contrôler Katharina se manifeste par de la jalousie et de la suspicion lorsqu’elle rencontre des amis masculins. À cela s’ajoute son incapacité à écrire son livre et le fait que sa femme le jette dehors lorsqu’elle trouve une photo de Katharina dans la poche de sa veste.

Après que Katharina ait effectué un stage dans un théâtre de Francfort, Hans est convaincu qu’elle a eu une liaison avec un collègue nommé Vadim. Il pense que tous les aspects de leur vie ont été entachés par Vadim, de la musique qu’ils écoutent ensemble à l’écriture de Katharina, alors il commence à faire des cassettes pour Katharina, s’enregistrant en train de parler de ses transgressions, attirant l’attention sur ses défauts, réels et imaginaires. Sur la première cassette, il dit :

Notre « ensemble » est terminé. Nous nous opposons désormais les uns aux autres.

Mais alors que le roman continue de montrer comment, même en opposition, Hans et Katharina entretiennent un lien qui ne peut être rompu, aussi malsain et abusif qu’il puisse être.



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Le miroir

Kaïros a des significations contradictoires dans le domaine de la rhétorique. Il peut être défini comme un « principe d’adaptation et d’accommodement aux conventions, aux attentes et à la prévisibilité ». Mais cela peut aussi signifier « ce qui est unique, opportun, spontané, radicalement particulier ». C’est quelque chose qui peut « nous encourager à faire preuve de créativité pour répondre à l’imprévu, au manque d’ordre dans les circonstances humaines ».

Hans peut être considéré comme un exemple de quelqu’un qui s’est conformé aux attentes, mais qui a du mal à s’adapter au nouveau monde qui l’attend. Katharina, en revanche, apparaît comme l’exemple d’une nouvelle génération – une génération qui devra également lutter contre la perte de son identité est-allemande, mais qui s’adaptera pour devenir citoyenne d’une Allemagne réunifiée.

Katharina et Hans représentent ainsi deux manières possibles de répondre au changement. Ceci est souligné dans le roman à travers l’idée de reflet et l’image récurrente du miroir. Lorsque Katharina rend visite à sa famille à Cologne, en Allemagne de l’Ouest, elle a la pensée suivante :

Chaque fois que Katharina est dans la salle de bain, elle se dirige vers le miroir de la porte, et chaque fois qu’elle réfléchit, ce n’est pas le miroir de Hans. Elle se tenait devant lui avec lui, main dans la main, dans le couloir sombre.

Le miroir de la maison de sa grand-mère ne reflète que Katharina, pas Hans, ce qui donne le sentiment que son identité est incomplète sans sa présence. La scène laisse entendre que son identité ne se reflète pas pleinement en Allemagne de l’Ouest, où elle éprouve un sentiment de malaise, mais aussi de désillusion. Malgré toute la liberté que promet et offre le pays capitaliste, Katharina voit aussi ses côtés les plus sombres, comme les sans-abri mendiant dans la rue.

Kaïros se termine sur une note énigmatique. Dans ses dernières pages, Katharina lit le dossier que la Stasi, la police secrète est-allemande, conservait sur Hans en tant que collaborateur non officiel. Sa phrase presque finale est : « Si seulement j’avais su que j’étais ton image dans un miroir. »

En tant qu’image miroir de Hans, Katharina se considère, dans une certaine mesure, comme une collaboratrice et potentiellement une traîtresse pour avoir adapté son identité est-allemande après la chute du mur de Berlin. Mais les images miroir sont aussi opposées. Le dernier moment du roman confirme et infirme à la fois la similitude entre Hans et Katharina, entre l’Orient et l’Occident, ainsi que la difficulté et l’ambivalence de la réunification.

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