Cher Los Angeles,
Terrifié, je regarde tes collines flamber, tes demeures brûler et ta beauté, exagérée par un siècle de cinéma, convulser. Vous êtes comme un scorpion qui a longtemps été pris pour un scarabée argenté et qui a fini par s’accrocher au bout d’un film inflammable. De Santa Monica à Malibu, l’alerte rouge sonne dans le vide. Vos appels sont d’autant plus inaudibles qu’ils sont insolites et que, depuis toujours, vous nous avez habitués à négliger les consignes de sécurité pour ouvrir grand les hangars de l’usine à rêves. Vos Pacific Palisades, si bien nommées, ne sont que des barrières brisées par la surprise et des pare-feux piratés par le temps. Route escarpée où surgissent du col les villas des riches et célèbres, Mulholland Drive rayonne à l’heure où disparaît David Lynch, qui en a fait la métaphore de l’ascension des débutantes prêtes à toute amnésie pour vampir Hollywood. Du haut de cette voie réservée, nous regardons la grande horizontale que vous avez toujours été. Un smog laiteux comme les seins des bimbos des années 50 cache parfois votre grille et brouille vos veines de macadam perfusées par l’angoisse de devoir toujours bien paraître. De ce promontoire, on aperçoit à la fois les ateliers qui accélèrent leur dématérialisation et les canyons où dorment les serpents.
Cher Los Angeles, c’est aussi votre hégémonie culturelle qui fait sauter ses fusibles et endommage ses neurones. Jusqu’à récemment, vous dominiez le monde de la réalité artificielle, de la fiction améliorée et de la notoriété caritative. Vous forciez le passage du grand au petit écran et alliez blockbusters pour ados et séries pour baby-boomers. Vous avez été jumelé à San Francisco pour que la Californie héberge tous les startupers et geeks du numérique. Vous vous êtes rempli de votre inclusivité urbaine et de votre progressisme chatoyant que vos stars portaient en colliers.
Mon cher LA, tu as donné le « la » de bonne conscience démocratique face aux dérives républicaines et au conservatisme des petits blancs, au risque d’un wokisme très autosatisfait tempéré par ton cupidité accommodante et ta dépendance à l’égard du plaisirs les plus somptueux. Vous étiez une Babylone toujours fascinée et productrice de vers sirupeux, une Babel de plus en plus latine et la future hôtesse des Jeux Olympiques. Et voilà que les catastrophes s’abattent sur ta tête de melon et ton brushing laqué. C’est comme si des grêlons de titane criblaient vos plafonds de verre les plus transparents, dévastaient le bleu des piscines peintes par David Hockney et faisaient du boulevard du crépuscule une impasse écologique.
Hollywood a voté pour Biden et élu un maire du même parti. Aujourd’hui, Trump fait bouger les choses. Vengeur, il compte bien faire le spectacle de l’intelligentsia qui aimait tant laver ses cheveux blonds et s’arracher les cheveux. Pire, Musk et Zuckerberg entament la transhumance de leurs équipes du futur vers le Texas des cowboys, au bras d’honneur des pistoleros, donnant un coup d’éperon dans les flancs des haridelles fluidifiées et des rossinantes déconstruites.
Cher Los Angeles, vous faisiez des films d’horreur avec le Big One, l’ultime tremblement de terre, censé vous absorber dans sa faille spatio-temporelle. Mais désormais c’est par le feu que vous périssez et par le numérique que vous vous faites avoir. Vous aviez la main sur les acteurs les plus sexy et les actrices les plus canons, sur les scénaristes les plus inventifs et les réalisateurs les plus créatifs, et voilà que vous en êtes réduit à vous jeter au cou des pompiers en imperméable jaune venus vous sauver des flammes, de l’eau. vos palmiers désossés et évacuez les carcasses noires de vos Porsche et de vos Ferrari. Comme beaucoup, vous pensiez que le malheur climatique toucherait d’abord les quartiers en disgrâce et les personnes économiquement faibles. Et désormais, il ne reste plus rien des maisons de Mel Gibson, Jamie Lee Curtis, Paris Hilton, Læticia Hallyday ou encore Patrick Bruel. Avec amertume, les mauvais dormeurs se régalent de ces malheurs qui n’épargnent plus ceux gâtés par la vie. Ils ne voient pas que cela a aussi le mérite de rendre les classes moyennes toujours plus perturbées par les horreurs des privilégiés que par le sort des perdus.
Mon pauvre LA, tu payes aussi ta nostalgie de pionnier. Vos habitants ont toujours cru possible d’allier l’Occident, le vrai, et les satellites ultra-connectés, le chaparral, ce maquis corse, et l’ubérisation des services, les pumas qui, la nuit, rôdent sous les réverbères et les des robots qui prétendent être nos meilleurs amis.
Mon cher Los Angeles, tu es tellement brisé que les dieux ont abandonné tes anges. Mais tu t’en remettras. Vous n’êtes pas Jeanne d’Arc et vous n’avez aucune prédilection pour le sacrifice ou le dévouement. Demain, vous ferez une fiction de cette sauvagerie qui est revenue vous roussir les poils sous les aisselles, vous qu’on croyait ignifuges et chevelus au laser.
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