Au terme de trois jours d’une manifestation sous tension, crispée par l’attente d’un «bougé» de la direction après la mise en cause de son délégué général, Franck Bondoux, pour sa gestion du Festival d’Angoulême, la cérémonie de remise des prix censée être l’acmé d’Angoulême semblait presque secondaire, ce samedi 1er février.
Plus d’une semaine après la parution de l’enquête de l’Humanité qui met au jour une «dérive mercantile» d’un festival qui vient de hausser ses tarifs et de signer un partenariat avec une marque de burger, évoque un cas de «népotisme» et de nombreux exemples de «souffrance au travail», de «Burn-out», jusqu’à provoquer une cascade de démissions, le monde de la bande dessinée, choqué par la gestion interne d’une affaire de viol durant l’édition 2024 et du «licenciement abusif» de sa victime, était dans l’attente d’un mouvement durant la cérémonie de remise des fauves, récompensant les meilleurs albums de l’année.
Une réaction des auteurs, empêchés de manifester durant la semaine par une préfecture de Charente qui a estimé qu’un défilé risquait d’entraîner des violences, faisant fi de la quantité d’expression de mécontentement passé, toujours pacifique. La préfecture visant en particulier le Syndicat des éditeurs alternatifs (représentant des indés), lui attribuant un «rdv la semaine prochaine pour foutre le bordel» pourtant jamais écrit par le SEA. Ambiance intimidation.
Ou une prise de parole des éditeurs, petits ou gros, qui ont déjà exprimé leur désir de voir le contrat confié à la société de Bondoux, 9eArt +, remis sur la table via un appel d’offres. Voire une réaction de l’organisation du festival, et de son délégué général Franck Bondoux au centre de toutes les attentions. Pas de chance, le festival a rompu avec les habitudes de ces dernières années en ne jugeant pas nécessaire de retransmettre sa cérémonie (l’organisation précisant qu’il n’y avait rien d’automatique et que l’an dernier non plus les Fauves n’étaient pas diffusés en direct). C’est donc en petit comité que la cérémonie s’est tenue.
Et la bande dessinée dans tout ça ? C’est Luz qui repart avec le Fauve d’or, récompensant le meilleur album, pour Deux Filles nues (Albin Michel). Un livre dans lequel l’ancien dessinateur de Charlie s’empare d’une peinture du berlinois Otto Mueller, tableau survivant qu’il suit un siècle durant de sa réalisation à sa condamnation comme art dégénéré par les nazis. «Revenant à des cases plus classiques, quittant les pleines pages d’explosion de couleurs, écrivait Libé lors de sa parution, Luz reste néanmoins fidèle à ses préoccupations de toujours : l’art et la politique, la manière dont une création va s’inscrire dans un contexte idéologique qui va influencer sa perception et provoquer des réactions parfois très différentes au fil du temps. […] Dans cette réflexion sur la liberté, dont on percevra facilement les échos avec notre époque et ce qu’il a pu lui-même vivre à Charlie, Luz montre les petits et grands renoncements du monde de l’art, de tous ceux qui sont prêts à changer d’idéologie pour ne pas perdre leur poste et suivre les dominants de chaque époque.»
N’arrivant à trancher, le prix du jury a été dédoublé et est attribué aux Météoresrécit choral et plein de gris de Jean-Christophe Deveney et Tommy Redolfi (Delcourt) sur le regret et la façon qu’ont les choses les plus précieuses à se dissimuler dans des tout petits riens, ainsi qu’à En Territoire ennemi (l’Association), première BD autobiographique de Carole Lobel réalisée au Bic quatre-couleurs. Un livre brutal sur le couple comme machine d’isolement et les liens entre les discours mascu et l’extrême droitisation des esprits.
Le prix remis à Carole Lobel ouvre une déferlante de récompenses pour les autrices. Les Contes de la mansarde, récit du milieu, entre le fantastique et la chronique de mœurs, le franco-belge enfantin et le récit plus adulte et sombre, se distingue en obtenant deux récompenses : le prix des Lycéens et celui de la meilleure jeune scénariste, pour Elizabeth Holleville.
Lors de la remise du Fauve de la BD alternative, qui récompense des œuvres autoéditées (l’ouvrage collectif et 100 % féminin Frustration féminine fanatique en hommage à Aline Kominsky a été distingué), le Syndicat des éditeurs alternatives a mis les pieds dans le plat et invité l’organisation du FIBD à effectuer des changements radicaux, estimant que le Festival d’Angoulême est un «bien commun». Rare remous de la soirée.
Le prix Patrimoine (une valeur sûre en général) revient au merveilleux Viens venir, de l’Américaine Lynda Barry, dans lequel cette grande passeuse de bande dessinée chronique la vie de deux ados pleines d’acné et de colère. On ne peut que célébrer également le choix de Camille Potte et de son pétillant Ballades pour le prix Révélation. «Une grande et tordante épopée pseudo-médiévale au rythme enlevé où s’entrecroisent les mésaventures d’un prince fat transformé en batracien, d’une princesse mourant d’ennui dans sa tourelle et de la chevalière venue la sauver, d’une sorcière râleuse coiffée comme Tahiti Bob, tous en goguette dans des paysages dignes du Génie des alpages» écrivait Libé au moment de le prépublier dans ses pages. Sur scène, Camille Potte rend hommage à «Chloé», le pseudo utilisé par il dans son article pour évoquer l’ex-directrice de la com du FIBD violée l’an dernier.
Une vraie surprise dans le palmarès : la présence de Shintaro Kago, récompensé du prix de la meilleure série pour le second tome de Démence 21 (éd. Huber). Explorateur des potentialités de la bande dessinée, d’une forme de pataphysique doublée d’une recherche sur la chair et la cruauté, le Japonais, grande figure du mouvement J’étais guro, se voit attribuer un prix avec un manga plus sous contrôle, plus sage et presque grand public autour d’une aide à domicile.
Grand Prix de la ville d’Angoulême : Anouk Ricard
Fauve du meilleur album – Deux Filles nuesde Luz (Albin Michel)
Fauve spécial du Jury (ex æquo) – Les Météores : histoires de ceux qui ne font que passerde Jean-Christophe Deveney et Tommy Redolfi (Delcourt) et En Territoire ennemi de Carole Lobel (l’Association)
Fauve Patrimoine – Viens, viensde Lynda Barry (éd. çà et là)
Fauve Révélation – Balladesde Camille Potte (éd. Atrabile)
Fauve de la série – Démence 21 (Vool.2) De Shink à Kago, Éd. Huber
Prix jeunes talents – Lise Rémon, pour Endorphines
Prix Goscinny du meilleur scénariste – Serge Lehman pour les Navigateurs (Delcourt)
Prix Goscinny du meilleur jeune scénariste – Elizabeth Holleville pour Contes de la mansarde (l’Employé du moi),
Prix Konshihi de la traduction de manga – Yohan Leclerc pour les Saisons d’OhgishimaLe Kanka Hamana (Glona.
Fauve jeunesse – Retour à Tomiokapar Michaël Crouzat, Laurent Galandon, Clara Patiño Bueno et Andrés Garrido Martin (Éd. Jungle)
Fauve BD alternative (ex æquo) – Frustration féminine fanatique (France, collectif) et Hairspray Magazine (Allemagne, collectif)
Fauve du polar – Revoir Comanche, de Romain Renard (le Lombard)
Prix Eco-Fauve – Vert de rage – les enfants du plomb, de Martin Boudot et Sébastien Piquet (Michel Laffon)
Fauve des Lycéens – Contes de la mansarded’Elizabeth Holleville et Iris Pouy (l’Employé du moi)
Prix du Public France Télévision – Impénétrable d’Alix Garin (le Lombard)
2025-02-01 23:33:00
1738539260
#Luz #repart #avec #fauve #dor #meilleur #album #dun #palmarès #très #féminin #Libération