« Ma fille et sa copine de 10 ans ne veulent plus rentrer de l’école et du conservatoire toutes seules. » Louise (le prénom a été modifié) a décidé de passer à l’action avec le collectif Héroïnes 95. « Les messieurs me fixent, me font des mimiques et des gestes », lui a raconté sa fille. Alors, plutôt que de supporter une fois de plus — et une fois de trop — le harcèlement de rue, cette mère de famille a décidé de s’installer à ces tables de café depuis lesquelles certains hommes se croient tout permis.
« Depuis que j’habite à Argenteuil, je ne m’habille plus pareil », confie Manon, assise face à Louise ce samedi matin. Cette grande brune de 24 ans, raconte son quotidien en sirotant un expresso, à la table d’un café de l’avenue Gabriel-Péri. Elle rencontre pour la première fois des membres du collectif Héroïnes 95 à l’occasion de l’un de ces « cafés féministes ». Autour du petit groupe d’habitantes, des hommes de tous âges entrent et sortent. Ici comme dans bien d’autres établissements de la ville, rares sont les femmes qui osent franchir ces portes pour s’accorder une pause.
C’est précisément pour remédier à cette réalité qu’Héroïnes 95 a décidé de lancer ces rendez-vous un peu particuliers en ce mois d’octobre. « Nous avons constaté qu’il y avait de moins en moins de femmes dans l’espace public », pointe Eina l’un des piliers du collectif féministe val-d’oisien. « Elles ne font que passer. Nous avons donc décidé d’occuper cet espace, et les cafés sont importants. »
« À un moment, on essaie de devenir invisible »
Pour Louise il y avait urgence. « Ma fille de 10 ans a peur de passer devant les cafés. » C’est là qu’elle subit en effet des gestes, regards ou mots déplacés. « Pour le moment, avec mon mari nous allons la chercher après les cours. Mais c’est ici, dans cette ville, qu’elle va grandir, je ne veux pas que cela continue », confie l’énergique Argenteuillaise.
La quadragénaire a remarqué depuis longtemps que les femmes avaient déserté les bars. « Cela m’arrive d’entrer avec mon mari qui va acheter un ticket de jeux à gratter. Tout le monde me fixe, il y a un silence. Même mon mari trouve cela bizarre. » La mère de famille estime que la situation s’est dégradée ces dernières années. « Avant, le mercredi, les mamans déposaient souvent leur enfant au conservatoire et venaient attendre au café. Maintenant on les voit attendre debout, devant le bâtiment de musique. »
Manon avoue se « sentir beaucoup moins seule », en entendant ces témoignages. Dès son emménagement dans la ville, il y a deux ans, elle raconte avoir tout de suite senti le poids des regards trop insistants. « La première semaine, une voiture m’a suivie dans la rue où je marchais. Vitre baissée l’homme me parlait. Il a fini par me barrer la route en voiture sur le passage piéton car je ne voulais pas lui donner mon numéro, j’ai dû escalader son capot », se souvient la jeune femme. « Il y avait du monde, personne n’est intervenu ! Il y a une dimension humiliante, j’étais vraiment très gênée. »
Au fil du temps, et parce que les interpellations déplacées dans la rue ne cessaient pas, Manon confie avoir mis en place toute une panoplie de stratégies d’évitement. « Avant je ne serais jamais sortie en jogging, maintenant je le fais souvent volontairement. Et j’ai remarqué que quand je suis en noir j’attire moins l’attention. À un moment on essaie de devenir invisible. »
Dans une tentative de sensibilisation de la population, le collectif Héroïnes 95 multiplie les opérations d’affichages. Les militantes partent coller des slogans évocateurs, « je ne suis pas en libre accès » ou encore « je ne suis pas là pour te plaire. » Le collectif propose également des ateliers self-défense féministe justement pour que les femmes sachent comment réagir en cas de harcèlement de rue (la prochaine séance a lieu le 25 novembre).
Héroïnes 95 espère aussi sensibiliser les cafetiers, « il y en a un près de la gare qui m’a dit qu’il n’en pouvait plus de ce qui se passait sur sa terrasse, pointe Eina. Nous pensons que tout le monde a à y gagner si les femmes reviennent dans les cafés ». Il fut un temps où les populations qui fréquentaient les bars d’Argenteuil étaient beaucoup plus hétéroclites. « Je venais ici à l’étage pour réviser mon bac quand j’avais 18 ans, poursuit la militante en montrant l’escalier du café de l’Avenue. Aujourd’hui, on ne voit plus du tout d’étudiants dans ces établissements. »
Le collectif compte bien pérenniser ses cafés féministes, le prochain rendez-vous est prévu le samedi 4 novembre à 10 heures au café Michel rue Paul-Vaillant-Couturier. À l’heure actuelle, la seule initiative du même type à avoir vu le jour dans le département était à Sarcelles. Héroïnes envisage d’étendre l’initiative à d’autres communes sans se limiter à Argenteuil. « Nous irons là où c’est nécessaire. »
2023-10-23 07:45:00
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