2024-06-07 10:45:03
Printemps 2010. J’ai quinze ans et je vis étrangement cette âge de l’adolescence. Une période où la découverte de soi est une priorité qui ne se négocie pas à cause de nos pulsions incandescentes. J’aborde avec une frénésie ardente, des réactions qui se bousculent en mon sein et qui font que les idées tonnent et détonent au rythme de mes humeurs éclectiques et consternées.
À contresens d’une vision limitée
Mes hormones au-dedans se trompent de cible et me font désirer autre chose de moins prosaïque. Je porte en moi une réalité qui échappe aux autres, naît de mes émois différents, bouillonnants et s’attarde à me sacrifier dans une obscurité pesante. J’avance cachée, derrière une porte épaisse qui ne s’ouvre pas et reste coincée par ma crainte constante d’être sévèrement jugée et recadrée.
Avec l’avènement d’une prédilection pour des instants damnés que je médite un peu trop, je suis une logique sentimentale esquivant la norme et qui pourrait affoler les plus vifs puritains. Même si j’ai l’impression alerte de cheminer loin de la raison, tout est moins confus dans mon esprit critique à la mesure que je succombe aux facettes nouvelles de mon identité naissante.
Je suis guidée par des propensions radicalement aberrantes selon la plupart des panoramas habituels, et troublée par leur volonté vitale de poursuivre des chemins magnifiés. Mais la symphonie de mes envies retentit comme pour sonner l’alarme de ma vérité. Elle me rappelle à chaque version de mon égo qui s’affermit, que je ne suis pas prête à me ranger du côté des diktats.
Des rôles sociaux féminins à bannir
Il est tellement éprouvant de prétendre à une vie toute apprêtée et ne pas pouvoir influencer les fils de l’avenir. Comme si nos destins fantoches s’avouaient vaincus sans même un effort de tenter à rompre ces lianes. Je me rends compte de la dépossession de nos consciences qu’on enveloppe dans des cases médiocres et des sillages désuets.
Je pourfends des situations familiales et quotidiennes qui ressemblent à une vaste mascarade créée par des personnes cyniques. Je le prends comme un drame monumental et une attaque personnelle quand on me crie davantage dessus que mes frères pour la même modique faute, et qu’on me réclame plus calme et douce.
J’ai de la colère que l’on me cantonne à des tâches qui salissent ma dignité et me vendent une liberté trafiquée. Pourquoi catégoriser des travaux domestiques ? Pourquoi en faire une sélection où certaines conviendraient plus à une fille qu’à un mec ? Surtout que celles-ci représentent pour les filles une préparation assidue à la vie de mariage. Je n’ai aucune envie d’investir ma jeunesse à être une cuisinière idéale pour plus tard aguicher un homme qui m’épouserait juste pour cette raison banale.
Je rejette cet espace qui me réduit à mon sexe et la servilité qu’on lui incombe. Rien est entrepris pour la gloire féminine. Tout semble rempoté dans les jardins sexistes qui fleurissent comme un secret de polichinelle. Je cherche une issue probable et je me retrouve piégée, séquestrée. Isolée dans une géographie lunaire qui pullulent de masculinistes sans réserve et de femmes emprisonnées dans une sphère incontrôlable
Se forger contre les outrages prépondérants
Je me désole de voir cette fresque sociale immuable qui n’offre aucune perspective réelle. Elle est l’épicentre d’un mouvement amorphe qui tiraille à s’émanciper des inégalités de genre. L’homme se consolide toujours par sa virilité imposante, indisposé à se satisfaire d’un rôle secondaire humiliant. Il est toujours l’acteur qui propulse sa propre vie, ne lâchant en rien les rennes de sa brutalité.
Tandis que la femme s’abandonne à ses complexes; elle s’érige en piètre scénariste incapable de se déterminer un rôle digne, qu’elle inhibe si bien pour un enjeu collectif qui la dessert irrémédiablement. Je sais la différence qui sépare les deux genres autant que les droits des femmes ont tardé à se manifester.
Je voudrais bien écrire un manifeste virulent et sérieux contre les outrages sexistes et sexuelles. Un papier violent dans la veine deconstructiviste de l’engagement initié par l’éminente Simone de Beauvoir alors qu’elle défendait le droit à l’avortement en 1971 dans les 343 salopes. Une tribune signée de plusieurs grands noms de femmes : Catherine Deneuve, Gisèle Halimi, Françoise Sagan… Ces révoltées qui hurlaient déjà à l’époque combien c’était injuste, dure et désagréable même à petite échelle d’être une femme.
Ne pas pouvoir voter, ne pas pouvoir avorter légalement, ne pas pouvoir étudier à l’université, ne pas pouvoir s’ouvrir un compte en banque, se faire gérer son argent par son conjoint. Toutes ses mesures saugrenues qui ont pris du temps à être torpillées au gré de batailles âpres et longues. Tous ces traitements visant à infantiliser le sexe féminin et à ne lui reconnaître qu’une place dérisoire.
La littérature comme arme et exutoire sacrés
J’irrigue mon vocabulaire de mots irrévérencieux qui déplaisent fortement à mon lycée et aux alentours. Je contredis chaque parole avilissante qui verrouille l’imaginaire lucide des jeunes écolières. Je combats chaque situation alarmante destinée à maintenir nos leviers d’émancipation dans l’obscurantisme.
Je défie les idées et devoirs péremptoires qu’on nous incite à assimiler et exécuter. Je m’emporte, dénonce, critique tout le fonctionnement social assourdissant de ma société patriarcale déchaînée. Je n’obtiens pas toujours gain de cause mais je ne faiblis pas de recenser les besoins urgents de ma condition : vivre selon soi.
Une philosophie bien difficile à embrasser sans passer pour une fille récalcitrante et trop exaltée. Celle qui refuse de s’accomoder à l’avenir plat et muet qui l’attend et que la société lui attribue sans concession. Mais la littérature me dévoile une manière de repenser, de m’évader, et semble être une parenthèse cruciale dans ma sphère bestiale.
Les livres me donnent la sensation d’être entourée, comblée, encensée et dominée par le sentiment légitime de poursuivre un but noble et de mériter une réflexion à contresens. Je dévore les mots d’auteur.e.s qui m’apaisent et me font savoir normale. Sans terreur à appréhender ni de stupeur à surmonter.
Roman féministe aux effets escomptés
En lisant, je m’attache à chaque essai, chaque histoire, chaque récit fictionnel et surtout autobiographique qui distille mes doutes et suffisent à me rassurer. Virginia Woolf a écrit en 1929 Un lieu à soiune synthèse des différentes raisons qui expliquent l’écart des femmes à une ambition littéraire avérée et plus globalement une démonstration de la satisfaction masculine à se réserver seul propriétaire et représentant du paysage intellectuel. Quand on questionne l’écrivaine sur ce qui fait défaut à l’imagination féminine constamment bridée, elle répond qu’il leur faudrait 500 livres de rente et une chambre à soi.
Virginia s’empare de cette idée en préambule pour écrire cet essai qui reflète ses intentions de mettre en lumière l’éloignement des femmes à la création, et une ode à des moments personnels que devrait privilégier une femme pour un épanouissement salutaire et harmonieux. Pour l’auteure britannique avant gardiste d’une époque où son féminisme paraît insolent et problématique, elle reçoit les critiques de nombreux médias et magazines littéraires en fait désaccord avec sa pensée trop progressiste.
Mais elle qui a déjà publié deux romans fameux en 1925, Mme Dalloway et Lectures intimesne démord pas d’être au coude à coude avec les difficultés palpables qui minent la condition féminine.
Elle affirme nette, franche et résolue : « Je ne veux pas être célèbre ni grande. Je veux aller de l’avant, changer, ouvrir mon esprit et mes yeux, refuser d’être étiquetée et stéréotypée. Ce qui compte c’est se libérer soi-même, découvrir ses propres dimensions, refuser les entraves »
Je suis ses recommandations comme une leçon de vie indélébile. Je m’y accroche jusqu’au moindre détail, essayant de m’affranchir des absurdités de discrimination et de vivre une existence sans commune mesure. Et cela, avec ou sans l’approbation des autres qui ne voient en moi qu’une gosse aux penchants effrontés et repue d’hymnes féministes.
N.B. : L’Hymne des femmes est une chanson créée collectivement en mars 1971 par des militantes féministes à Paris. Elle est devenue un emblème du Mouvement de libération des femmes (MLF) et plus généralement des luttes féministes francophones. Les paroles sont interprétées sur l’air du Chant des marais.
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