2025-02-18 14:58:00
Chaque février, c’est le même rituel : on sort les grandes figures de l’histoire noire, on organise des conférences, on diffuse des documentaires inspirants. Né aux États-Unis en 1976, adopté ensuite par le Royaume-Uni et le Canada, le Mois de l’histoire des Noirs a fait son entrée en France en 2018, à Bordeaux. L’idée est belle : célébrer les luttes et les réussites de la diaspora africaine. Mais au fond, est-ce qu’on raconte vraiment toute l’histoire, ou juste une version bien polie pour ne déranger personne ?
Février…
Ce mois où l’histoire des Noirs obtient son petit coin VIP dans le grand livre du monde. 28 jours – 29 si l’univers est d’humeur généreuse. On célèbre, on honore des figures illustres, on raconte les luttes et les victoires. Mais soyons honnêtes : que fait-on réellement ? Qui écoute ? Et surtout, jusqu’où peut-on aller sans déranger ?
Dès le 1er février, conférences et panels se multiplient. Les grandes institutions affichent quelques photos de Martin Luther King ET Nelson Mandelacomme si cela suffisait à prouver leur engagement. Les entreprises rivalisent de slogans sur l’inclusion.
On se félicite des avancées, on clame que les temps ont changé. Pourtant, derrière les discours inspirants, un malaise persiste. Entre un slogan sur l’égalité et une publicité sur la diversité, flotte un parfum d’hypocrisie. On édulcore l’histoire, on la rend inoffensive.
Mais derrière cette belle mise en avant, une question demeure : quelle histoire raconte-t-on vraiment ? Celle des luttes et des triomphes, ou seulement celle qui rassure et qui rentre dans les cases ? Car à force de répéter les mêmes récits, on en oublie une réalité essentielle : l’histoire des Noirs ne commence pas avec l’oppression.
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Une histoire tronquée
L’histoire des Noirs ne commence pas avec l’oppression. Bien avant la traite transatlantique, des civilisations africaines prospéraient en astronomie, médecine, architecture et philosophie. L’Empire du MaliSous Mansa Musacontrôlait un vaste réseau commercial reliant l’Afrique, l’Europe et le Moyen-Orient. Tombouctou abritait l’Université de Sankoréoù des savants africains enseignaient la médecine et la géométrie à des étudiants venus du monde entier.
Le Royaume du Kongo entretenait des relations diplomatiques avec le Vatican au XVIe siècle. Le Grand Zimbabwe prouve l’existence d’architectures monumentales en Afrique bien avant l’arrivée des Européens. L’Égypte antique, souvent appropriée par l’Occident, était une civilisation africaine dont l’influence s’étend encore aujourd’hui.
Mais on réduit trop souvent l’histoire des Noirs à la souffrance. On célèbre Rosa Parks, mais on oublie Claudette Colvintrop jeune et rebelle pour être intégrée au récit officiel. On évoque Harriet Tubman, sans les détails les plus féroces de son combat. Malcolm X est réduit à une alternative radicale à Martin Luther King, comme si la colère n’était pas une réponse légitime à l’oppression.
Pendant ce mois, les écoles organisent des journées culturelles où l’on mange du poulet frit sous prétexte d’hommage aux traditions culinaires afro-américaines. Mais où sont les contributions noires à la science et à l’innovation ? Qui sait que le Dr Ben Carson a réalisé la première séparation réussie de jumeaux siamois reliés par la tête ? Que des ingénieurs noirs ont participé à la construction du métro de New York et à de nombreux autres projets d’infrastructure à travers le monde ? Que l’haïtien Jean Baptiste Pointe du Sable a été reconnu officiellement comme le fondateur de la ville de Chicago ? Et que la NASA doit une grande partie de son succès aux calculs de mathématiciennes noires comme Katherine Johnson ?
L’histoire des Noirs ne doit pas se limiter aux récits de souffrance. C’est aussi une histoire d’innovation et de progrès.
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Le grand paradoxe : célébrer sans déranger
Pendant ces 28 jours (et surtout pas un de plus), on veut bien célébrer l’histoire noire… à condition qu’elle ne dérange pas. On préfère les récits de résilience aux récits de rage, les discours inspirants aux vérités qui grattent.
Par exemple, on adore rappeler que les Afro-Américains ont souffert sous l’esclavage et la ségrégation, mais on évite d’ouvrir la discussion sur les formes modernes d’exploitation économique des Noirs : inégalités salariales, surreprésentation dans les prisons, appropriation culturelle… Trop politique. Restons-en aux discours consensuels.
Certaines entreprises en profitent pour afficher leur inclusivité : elles changent leur logo en noir et or, lancent une collection spéciale avec des t-shirts floqués de poings levés, et publient des messages génériques, des slogans vides, du type : « Nous célébrons la richesse de l’histoire noire. » Mais combien d’entre elles mettent réellement en place des politiques de promotion et d’embauche équitables pour les Noirs ? Combien agissent contre le racisme systémique ? Combien d’universités enseignent sérieusement l’histoire des Noirs sans se limiter à quelques figures emblématiques ?
Pourquoi ne pas profiter de ce mois pour parler aussi des grands stratèges militaires noirs comme Toussaint Louverture en Haïti ou Shaka Zuludont les innovations tactiques ont révolutionné la guerre en Afrique du Sud ? Pourquoi ne pas évoquer les intellectuels noirs comme, W. E. B. Du Bois, Antenne, Lévite dans l’asan, Frantz Fanon ET Jean Price Mars. Sans oublié Aimé Césaire ET Léopold Sédar Senghorqui ont théorisé la Négritude et influencé la littérature mondiale ? Pourquoi ne pas rappeler que des styles de combat africains anciens ont influencé la capoeira au Brésil et bien d’autres arts martiaux ?
L’histoire des Noirs ne se limite pas à la lutte contre l’oppression. C’est aussi une histoire de grandeur et d’innovation.
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Et si on racontait TOUTE l’histoire ?
L’histoire des Noirs est aussi une histoire de science et de technologie. Trop souvent, seuls quelques noms émergent : Neil Armstrong, Buzz Aldrin, John Glenn… Mais qui connaît Leland Melviningénieur et astronaute ? Guy Blufordpremier Afro-Américain dans l’espace ? Dorothy Vaughanpionnière des calculs informatiques ? Mary Jacksonpremière ingénieure noire de la NASA ?
Mais au-delà des réussites, il y a aussi des vérités inconfortables qu’on préfère taire :
- L’implication de nombreuses nations dans l’esclavage et la colonisationbien au-delà d’une simple prise de conscience tardive.
- L’exploitation des ressources africainespillées par des multinationales pendant que les populations locales luttent pour survivre.
- Les violences policièresqui touchent de manière disproportionnée les Noirs aux États-Unis, en Europe, en Amérique latine.
- Les discriminations systémiques dans l’éducation, le logement et l’emploi, maintenant des inégalités profondément ancrées.
- Le traitement différencié des migrants noirssouvent relégués à des statuts précaires et victimes de politiques arbitraires.
- L’oppression spécifique des femmes noiresà l’intersection du racisme et du sexisme.
- Les stéréotypes médiatiquesqui réduisent les Noirs à des rôles de victimes ou de criminels.
- L’appropriation culturellequi transforme des éléments issus des cultures noires en tendances commerciales tout en marginalisant leurs créateurs.
Pourquoi se contenter de recycler la même liste de figures historiques chaque année ? L’histoire des Noirs ne se limite pas aux oppressions subies. Elle est aussi une histoire de création et d’influence mondiale.
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Un mois… et après ?
Parce que, soyons réalistes, une fois le 1er mars arrivé, tout ce cirque se termine. Fini les documentaires à la télévision, les affiches inspirantes et les événements thématiques. Les bibliothèques remettent les livres de James Baldwin et de Dany Laferrière au fond des étagères, les médias arrêtent de diffuser des documentaires sur l’histoire des Noirs, et les entreprises reprennent leur logo habituel.
Parce que l’histoire des Noirs, ce n’est pas un bonus, un chapitre optionnel. C’est une partie intégrante de l’histoire du monde. Elle mérite mieux qu’un hommage temporaire et des slogans vides.
Si on veut vraiment célébrer l’histoire des Noirs, alors faisons-le toute l’année. Pas juste en février. Pas juste quand ça fait bien. Pas juste quand c’est politiquement correct. Mais tous les jours, en racontant la vérité, même quand elle dérange.
Et surtout, en agissant pour que l’histoire ne se répète pas.
L’histoire des Noirs ne doit pas être perçue comme une simple annexe à l’histoire dominante. Elle est centrale, essentielle, omniprésente. Elle ne s’arrête pas aux frontières de l’Afrique ou des Amériques, mais s’étend jusqu’en Asie, en Europe et au Moyen-Orient, où des communautés noires ont laissé une empreinte durable.
Les Siddis de l’Ed à l’intérieurdescendants d’Africains de l’Est, ont influencé la culture et les arts martiaux indiens. Les Afro-Européens ont joué un rôle clé dans les résistances locales et les luttes pour l’égalité en Europe.
Il ne s’agit pas seulement de se souvenir.
Il s’agit de réintégrer ces vérités dans le récit global.
Parce que l’histoire des Noirs, c’est l’histoire de toute l’humanité.
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