Naufrage de l’Église en France: au tour des évêques

Naufrage de l’Église en France: au tour des évêques

«Si c’est vrai, c’est un séisme!»nous confie Jean-Luc Bruninévêque du Havre et responsable de l’équipe «Emprise et dérives sectaires dans l’Église catholique» de la Conférence des évêques de France (CEF). Mardi 13 juin, on apprenait à travers trois enquêtes menées par La Croix, La Vie et Famille chrétiennequoi Georges Colombévêque de La Rochelle-Saintes et ancien supérieur des Missions étrangères de Paris (MEP)était visé par une enquête judiciaire pour agression sexuelle sur un jeune homme majeur.

Les faits se seraient déroulés entre 2010 et 2016 alors qu’il dirigeait les MEP, une société de vie apostolique qui évangélise des non-chrétiens en Asie et dans l’océan Indien depuis le XVIIe siècle. Les MEP sont actuellement soumises à deux autres enquêtes mettant en cause des prêtres pour des faits d’agressions sexuelles.

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Elles révèlent par ailleurs l’apparente implication de Gilles Reithingerlequel avait succédé à Georges Colomb à la tête des MEP en 2016 avant d’être nommé évêque auxiliaire de Strasbourg en 2021. Ces enquêtes laissent également entendre que des prêtres des MEP –dont Gilles Reithinger– ont eu des relations homosexuelles et favorisé l’existence d’un «réseau gay» en son sein. Tant Georges Colomb que Gilles Reithinger récusent les faits qui leur sont reprochés.

En réponse, les MEP, sous la houlette du supérieur Vincent Sénéchal –ancien bras droit de Gilles Reithinger–, ont mandaté en mai dernier le cabinet GCPS Consulting afin d’enquêter sur les cas de viols et d’agressions qui auraient été commis par ses membres depuis 1950.

Georges Colomb a déclaré se mettre en retrait de son diocèse afin de préparer sa défense. Selon nos sources, il a fallu que plusieurs de ses confrères le lui suggèrent fortement. De son côté, Gilles Reithinger s’estime innocent et charge son confrère de La Rochelle-Saintes, ce qui est du jamais-vu.

Démissions en cascade

Ce nouveau séisme qui secoue l’Église en France a sonné plusieurs responsables catholiques. Pascal Wintzerarchevêque de Poitiers, nous a précisé qu’«actuellement, il y a à peu près 10% des évêques français qui ont été retirés de leurs charges pour des raisons diverses. C’est énorme! On n’avait jamais vu cela avant. Cela montre bien qu’il y a un problème.»

De fait, Éric de Moulins-Beaufortarchevêque de Reims et président de la CEF, avait révélé à l’automne dernier que onze évêques, dont certains retraités, étaient «mis en cause devant la justice civile ou le tribunal ecclésial».

Parmi ceux-ci, Michel Santier, ancien évêque de Créteil qui pratiquait des «strip-confessions», et le cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque émérite de Bordeaux, qui avait reconnu une conduite «répréhensible» sur une mineure de 14 ans, trente-cinq ans après les faits.

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Ces dernières années, outre Georges Colomb, en retrait, et Gilles Reithinger, très affaibli dans sa charge, Michel Aupetit, archevêque de Paris, a présenté en décembre 2021 sa démission en raison notamment d’un «comportement […] ambigu».

En avril dernier, et après bien des péripéties, c’était l’archevêque de Strasbourg, Luc Ravel, qui avait dû présenter sa démission à la suite d’une visite apostolique menée en juin 2022 au sujet de sa gouvernance.

Deux jours après le séisme Colomb-Reithinger, Mediapart mettait en cause le comportement d’Hervé Gosselinévêque d’Angoulême et ancien responsable du Foyer de charité de Tressaint. Les Foyers de charité sont des communautés nouvelles qui animent les foyers spécialisés dans les retraites spirituelles: elles aussi sont concernées par des agressions sexuelles de prêtres prédicateurs et directeurs spirituels. Le média indépendant révèle que l’évêque d’Angoulême, responsable de l’équipe d’animation de Tressaint, n’aurait pas écouté les victimes d’un prédicateur qui s’étaient ouvertes à lui et, même, aurait usé de son autorité épiscopale pour les faire taire.

Enfin, il faut citer le très conservateur Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, lui aussi très critiqué pour sa gouvernance sans discernement –le mot est faible–, et rechignant à présenter sa démission au pape après la visite apostolique menée en février 2023.

Le processus de nomination en cause

Ces mises en cause interrogent sur le processus de nomination épiscopale. Si, en effet, c’est le pape qui nomme les évêques, leur nomination est préparée en amont par la Congrégation –devenue Dicastère– pour les évêques et le nonce apostolique. C’est ce dernier qui procède à l’enquête pontificale préalable et remet au Dicastère pour les évêques une liste de trois noms appelée «terne». Le pape choisit en général le premier nom de la liste présentée par le préfet du Dicastère pour les évêques.

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Or, depuis quelques années, il semble que ces enquêtes dirigées par le nonce apostolique aient été particulièrement mal menées. Elles consistent à consulter des évêques, des prêtres, des laïcs au sujet des qualités et défauts de tel candidat à l’épiscopat. Ces personnes doivent prêter serment de ne rien révéler de cette enquête, encore moins le nom du candidat pressenti.

Michel Aupetit, Luc Ravel, Georges Colomb et Hervé Gosselin doivent leurs nominations à l’ancien préfet de la Congrégation pour les évêques, le cardinal Marc Ouellet, personnalité réputée intrigante et aujourd’hui soupçonnée d’agressions sexuelles; à André Vingt-Trois, alors archevêque de Paris et membre de la Congrégation pour les évêques; à l’ex-nonce apostolique en France, Luigi Ventura, condamné pour agressions sexuelles en 2020.

Pour sa part, la nomination comme auxiliaire en Alsace de Gilles Reithinger est due avant tout au cardinal Pierre Parolinosecrétaire d’État du Vatican –qui l’a ordonné évêque–, et à l’actuel nonce apostolique, Célestine Meilleur.

Selon les enquêtes de La Croix, La Vie et Famille chrétienne, des alertes avaient été lancées, entre autres auprès de Marc Ouellet, de Luigi Ventura et d’André Vingt-Trois alors que Georges Colomb était pressenti devenir évêque. En vain. Selon nos informations, des alertes similaires ont eu lieu auprès de la nonciature apostolique lors de l’appel à l’épiscopat de Gilles Reithinger. Là encore, sans succès.

La réalité du pouvoir est exercée par des irresponsables

Ces «faiseurs d’évêques» exercent un pouvoir considérable au nom du pape sans pour autant partager sa responsabilité. C’est ainsi que ni Marc Ouellet, ni Pietro Parolin, ni André Vingt-Trois, ni Luigi Ventura, ni Celestino Migliore n’auront à répondre de leurs erreurs de jugement, voire de discernement. Autrement dit, la réalité du pouvoir est exercée par des irresponsables.

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Mais dans le même temps, dès qu’un problème apparaît avec un évêque, c’est la CEF qui doit gérer le cas et affronter le scandale. Aucun des faiseurs d’évêques n’intervient plus. Précisons encore que de même qu’elle ne participe pas non plus formellement au processus de nomination, la CEF n’a aucun pouvoir sur un évêque individuel, lequel détient sa charge du pape à qui il en répond personnellement.

Ces «irresponsabilisations», qu’ailleurs on trouverait scandaleuses, montrent combien le système est à bout de souffle et même entraîne dans le naufrage une Église particulière. Les enquêtes menées au sujet de tel ou tel candidat, nimbées de mystère et de secret, encouragent l’esprit de carrière et valorisent un système de cooptation digne de l’absolutisme monarchique.

De surcroît, il y aurait une réflexion à mener sur la qualité des prêtres retenus pour l’épiscopat. Selon l’une de nos sources, «on doit aujourd’hui chercher dans un vivier réduit de prêtres. La qualité du personnel ecclésiastique a chuté avec les vocations. Certains évêques actuels ne le seraient jamais devenus il y a vingt ou trente ans.»

Lors de la dernière assemblée plénière de la CEF, des recommandations ont été formulées à la suite du rapport Sauvé. Parmi celles –nombreuses– qui furent rejetées, la demande de «“publier les bans” entre la nomination et l’ordination [épiscopale]afin de permettre à toute personne ayant connaissance d’un obstacle à cette ordination de se manifester». Cette mesure serait pourtant essentielle tant l’épiscopat français est atteint par ces scandales en cascade impliquant des évêques. La CEF pourrait porter lors du prochain synode romain la demande d’une réforme profonde du processus de nomination épiscopale. Reste à voir si elle en aura le courage.

2023-06-20 20:37:00
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