Lire le livre d’Edwidge Danticat Nous sommes seuls C’est comme s’asseoir pour écouter un vieil ami. Intimes, touchants, riches d’observations, intelligents, résonnants, vibrants et complexes, les huit essais qui composent ce recueil ouvrent une porte sur le passé et le présent de Danticat, son histoire et celle d’Haïti, sa relation aux choses du monde et à l’œuvre d’écrivains intemporels. Avec une prose claire et concise qui aborde des sujets difficiles sans perdre son sens de l’humour, Danticat prouve une fois de plus qu’elle est l’une des voix les plus fortes et les plus gracieuses de la littérature contemporaine.
Nous sommes seuls L’ouvrage s’ouvre par une préface dans laquelle Danticat explique que, pour elle, écrire des essais est une quête d’un « type de solitude/d’unité » très spécifique, ainsi que de quelque chose qui s’apparente à ce que l’anthropologue et artiste haïtiano-américaine Gina Athena Ulysse a qualifié compilationqu’elle définit comme « l’assemblage, la compilation, l’enrôlement, le regroupement (de personnes, d’esprits, de choses, d’idées) ». Cette solitude/unité est présente dans chaque essai. Nous vivons tous les choses différemment, mais la façon dont Danticat parle d’amour, de perte, de migration, de deuil et d’injustice, pour n’en citer que quelques-uns, les rend manifestement universels.
Cette courte collection ne contient aucun élément à jeter, mais certains éléments remarquables méritent une attention particulière.
« Ils attendent dans les collines : voyage avec Lorraine Hansberry, Audre Lorde, James Baldwin, Gabriel García Márquez, Paule Marshall et Toni Morrison » est, malgré son long titre, un essai merveilleusement rythmé dans lequel Danticat partage certains de ses propres voyages et expériences tout au long de sa carrière tout en engageant simultanément une conversation pleine d’admiration avec les auteurs nommés dans le titre. Danticat est une écrivaine accomplie, mais cet essai porte sur son amour de la littérature et sur la façon dont le travail des autres l’a impactée et a parfois fonctionné comme un prisme à travers lequel elle a pu commencer à traiter diverses expériences.
Dans « This Is My Body », nous sommes là avec l’auteur deux jours avant Noël 2017 alors qu’elle abandonne sa voiture, fuit un tireur dans un centre commercial et se cache derrière un buisson. La fusillade s’est avérée être l’un des nombreux canulars perpétrés cette année-là pour que les gens puissent voler dans les magasins pendant le chaos qui a suivi, mais pour Danticat, raconter l’expérience est une excuse pour lancer la conversation. À partir de là, l’article se transforme en un essai sur la parentalité, la mort de sa propre mère d’un cancer et la façon dont elle a essayé d’être parent même d’outre-tombe en laissant à Danticat et à ses frères une cassette avec des instructions de vie, y compris ce qu’elle voulait que l’auteur porte à ses funérailles. De là, l’essai se dirige — en douceur, toujours — vers une discussion sur la faim et, entre autres choses, sur l’éthique de l’alimentation forcée à Guantanamo et sur la façon dont « la grâce des jeunes survivants de Parkland, leur éloquence, leurs efforts pour inclure les jeunes moins privilégiés — parmi lesquels les jeunes de couleur dont les communautés sont chroniquement et disproportionnellement touchées par la violence armée — ont été particulièrement révélateurs ».
« By the Time You Read This » est une autre merveille qui tisse harmonieusement le passé et le présent tout en explorant la mort de George Floyd, en racontant le racisme observé par Danticat alors qu’il voyageait dans les bus de New York City Transit, puis en abordant la migration massive des Afro-Américains des zones rurales du Sud vers les villes du Nord des États-Unis.
Les autres essais partagent la même nature changeante. Cependant, ils le font tout en contenant au moins un des éléments cohérents qui donnent au livre l’impression d’être un tout : l’histoire, la famille, le racisme, Haïti, la migration, la littérature, etc. Danticat passe magistralement d’un sujet ou d’une idée à l’autre avec la fluidité puissante d’un fleuve en furie. De chaque Haïtien soupçonné d’avoir le sida aux souvenirs de la « dictature impitoyable de Duvalier », chaque essai ici contient au moins une tranche d’histoire. D’une discussion sur le statut de protection temporaire des Haïtiens qui se transforme en une conversation sur les arcs-en-ciel aux nombreux extraits de poèmes et de noms qui célèbrent l’excellence noire tout au long du recueil — Toni Morrison, Alice Walker, Audre Lorde, Gwendolyn Brooks, Nikki Giovanni, Maya Angelou — ce recueil montre exactement où Danticat s’inscrit et à quel point son travail est en dialogue avec celui d’autres géants.
Nous sommes seuls Danticat accomplit beaucoup de choses, mais ce qu’il fait le plus important, c’est peut-être qu’il parvient à donner l’impression d’être une invitation dès les premières pages. Oui, c’est Danticat qui parle du racisme et de l’injustice tout en creusant profondément et en nous montrant à quel point l’humanité peut être laide, mais c’est aussi un recueil plein d’espoir et une célébration de l’écriture. En fin de compte, c’est plus qu’un recueil d’essais ; c’est une invitation. « Tu es seul et je suis seul », dit Danticat d’une manière ou d’une autre dans chaque essai, « mais si tu me rejoins, nous pourrons être seuls ensemble ». Je vous encourage à accepter cette belle invitation.