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“Où vont les larmes quand elles sèchent” : Le portrait d’un monde médical en péril et d’une société confrontée à la violence sexiste

“Où vont les larmes quand elles sèchent” : Le portrait d’un monde médical en péril et d’une société confrontée à la violence sexiste

Médecin généraliste en France, Baptiste Beaulieu s’est inspiré de son expérience pour écrire son roman “Où vont les larmes quand elles sèchent”. Un portrait d’un monde médical en péril et d’une société dans laquelle les violences sexistes sont encore légion.

Le cabinet d’un médecin généraliste. N’existe-t-il pas meilleur poste d’observation pour mesurer la violence de notre époque et la détresse de nos contemporains? Celui du Docteur Jean, double de l’auteur Baptiste Beaulieu, est indéniablement l’endroit idéal pour cerner les maux de notre société. Mais Jean n’a pas toujours été médecin de famille.

Tout a basculé le jour où, urgentiste, il n’a pas pu sauver un enfant en pleine crise d’épilepsie. Jean n’est coupable de rien. La maman s’est trompée d’adresse en appelant les secours. Arrivé avec l’ambulance du Samu avec six minutes de retard, Jean n’a pu que constater que l’amour de cette mère pour son fils avait brouillé son discernement et causé sa mort. Fatale erreur. Cette horrible et insupportable tragédie conduit Jean à larguer les amarres pour se ressourcer le temps d’un congé. Cap sur Rome pour manger des pâtes carbonara, et dans un moment inattendu d’une rare tendresse, se faire sucer les orteils amoureusement dans un sauna gay.

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Des larmes qui ne coulent plus

Malgré sa douleur et le fantôme de ce gamin qui le hante, Jean, devenu médecin de famille, a depuis cessé de pleurer. Il est sec. Pourtant, dans son cabinet, dévalent les torrents de larmes de sa patientèle. Ce sont même parfois les chutes du Niagara, comme il dit. Lui aussi devrait succomber, ouvrir les vannes. Mais non. Jean ne pleure plus, sans doute trop submergé qu’il est par la colère. Jean travaille avec des foyers qui viennent en aide aux femmes victimes de violences conjugales.

“Parce que pleurer, c’est comme sourire: c’est donné à la naissance. Ça va avec la vie, avec la peur, avec l’espoir et toutes ces bizarreries sublimes qui font qu’on est un être humain et pas une grenouille froide.” – Baptiste Beaulieu, extrait de “Où vont les larmes quand elles sèchent”

C’est l’une des raisons de cette rage intérieure, bien palpable quand il retire des agrafes sur le front d’une femme battue alors que le mari attend tranquillement dans la salle d’à côté. Malgré cela, toujours pas de larmes. Alors Jean écoute, s’interroge en même temps qu’il apostrophe le lecteur, lui balance des blagues tout en prenant le pouls de tout le monde, sans œillères, du bourgeois au toxico, du bobo au punk à chien, de Zania gamine unijambiste qui peut enfin courir à Monsieur Soares qui saigne de partout sans raison et pleure de peur de ne pas retrouver sa tendre et douce décédée lorsqu’il la rejoindra. Même ce monsieur Soares ne provoque chez Jean aucune larme.

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Soulager ces âmes en souffrance

Pas plus qu’Alvaro. C’est à cause de son histoire que Jean retombe à chaque fois dans la cigarette. Il arrête une ou deux semaines, mais après chacune de ses visites à domicile, il rechute. Alvaro, le carreleur, souffre de rire spasmodique, une malédiction. Le cancer contrôle le mécanisme du rire dans son cerveau. Il peut prononcer une phrase terrible du style: “Je suis devenu une loque, docteur”, et aussitôt éclater de rire! Alvaro ne peut s’empêcher de ricaner malgré le crabe qui le dévore de l’intérieur. C’est comme ça. Docteur Jean doit faire avec.

Alors qu’il continue, imperturbable, à assister à longueur de journée dans son cabinet au défilé de la nature humaine dans toute sa diversité, sa complexité et trop souvent sa violence, Jean prend sur lui et fait ce qu’il peut pour, à défaut de guérir, au moins soulager ces âmes en souffrance, mais sans jamais pleurer.

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“Tout ce qui a pu être volé en salle d’attente a été volé. Le papier hygiénique aussi, mais je peux le comprendre. C’était du triple épaisseur molletonné, super absorbant. Qui pourrait résister?” – Baptiste Beaulieu, extrait de “Où vont les larmes quand elles sèchent”

Avec un style direct et incisif, caustique, aussi drôle que bouleversant par instants, Baptiste Beaulieu nous invite, avec ce sixième roman, dans le quotidien de son double fictif, Jean, ce médecin pas tout à fait comme les autres, qui partage avec nous ses réflexions sur la violence de notre monde.

Capable de rétablir la symétrie soignant-soigné et d’accepter la vision du patient qui n’est pas forcément celle du toubib, chose beaucoup trop rare dans cette discipline, Jean nous émeut autant qu’il nous fait rire. Reste à savoir si avant la fin du récit, il parviendra enfin à pleurer…

Philippe Congiusti

Baptiste Beaulieu, “Où vont les larmes quand elles sèchent”, ed. L’Iconoclaste.

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