Pasolini entre politique et monde paysan – le monde ouvrier

Pasolini entre politique et monde paysan – le monde ouvrier

2023-03-10 13:29:37

Pier Paolo Pasolini (1922-1975) – dont le 100e anniversaire de naissance a eu lieu en 2022 – est considéré comme un personnage brillant, l’un des révolutionnaires de la littérature, de la poésie, de l’art et du cinéma du XXe siècle. Cela ne nous empêche pas de souligner et d’examiner – devant le chœur souvent non critique de louanges que nous avons particulièrement écouté lors de l’anniversaire susmentionné de 2022 – ses positions dogmatiques et rétrogrades : quelqu’un est appelé à le faire aussi si ça coûte un peu d’aller à contre-courant

Massimo Recalcati, psychanalyste lacanien bien connu, nous aide dans cette épreuve, qui dans un essai concis publié par Feltrinelli, “Pasolini – le fantôme de l’origine” (Milan, 2022) présente Pier Paolo Pasolini (1922-1975) ainsi : « Les contradictions qui traversent la vie et l’œuvre de Pasolini sont diverses et bien connues : individualiste, il témoigne avec courage de l’engagement civil et collectif de l’intellectuel ; anticlérical, il s’oppose résolument à l’avortement ; communiste militant, il subit l’expulsion du PCI avec lequel il entrera au fil des années dans une relation conflictuelle de plus en plus âpre ; athée et marxiste, il reste profondément chrétien d’esprit ; non-conformiste, déteste le non-conformisme ; critique acerbe de l’outil télévisuel et du monde médiatique, il se révèle étonnamment à l’aise dans cet univers ; contestataire vigoureux du « système », il prend parti contre les jeunes contestataires de 1968 ; anti-paternaliste, il ne s’épargne pas de pointer le risque de déclin du père à notre époque ; expérimentateur de la langue et de ses grammaires les plus raffinées, il reste un critique irréductible de tout avant-gardisme ; extraordinaire poète civil, il reste fidèle à une poésie qui n’exclut nullement ses drames les plus secrets et les plus indicibles ; pédagogue libertaire, il reconnaît la figure de l’enseignant comme inégalée ; homosexuel et insoumis, il est conservateur des valeurs de la tradition et du monde paysan ; critique impitoyable de la bourgeoisie et de ses codes de conduite, il écrit dans le “Corriere della Sera” et dans d’autres journaux qu’ils sont l’expression la plus typique de ce monde».

Parmi ces contradictions – « dans un sujet si divisé » – il n’y aura pas de réconciliation stable ou de synthèse possible, est le diagnostic de Recalcati. Sur l’œuvre de Pasolini, deux questions en particulier méritent ici l’attention pour les aspects dogmatiques et rétrogrades évoqués plus haut.

1) Le fait qu’il ait été – quoique instable – un marxiste et un communiste est particulièrement surprenant. J’ai visité le Centre d’études Pasolini à Casarsa dans le Frioul. De cette visite je garde le souvenir de la photo de jeunesse de Guido Pasolini, qui se détache dans une des salles. Ce frère bien-aimé avait été un très jeune militant du Parti Action et partisan de la brigade Osoppo : il fut tué à l’âge de 19 ans par les partisans communistes italiens de la brigade Garibaldi. Ces derniers – pro-yougoslaves – ne supportaient pas qu’il y ait des partisans, comme ceux d’Osoppo, qui déclaraient “avec la tête haute qu’ils étaient italiens et qu’ils se battaient pour le drapeau italien, pas pour le “chiffon russe”. “”: déclarations expressément écrites par Guido dans une lettre datée du 27 novembre 1944 à son frère Pier Paolo, lui demandant d’intervenir “le plus tôt possible” avec des articles dénonçant les abus de la brigade Garibaldi, qui a “injustement” rendu le communisme slovène propagande dans le territoire défendu par la brigade Osoppo. Nous pouvons tous lire en entier la lettre de dénonciation sincère contre les communistes italiens pro-titonais : il suffit de la chercher sur le web sous le titre “Guidoalberto Pasolini dit Guido, nom de guerre Ermes”. On comprendra là la prise de position haineuse des partisans du PCI, qui les conduira à massacrer lâchement leurs camarades de la lutte antifasciste d’Osoppo : pour ces communistes pro-titonais, le drapeau rouge devait exceller avant tout. Guido Pasolini, qui avait réussi à échapper à l’embuscade initiale de Malga Porzûs, a ensuite été poursuivi et froidement tué par ces membres dépravés de la Brigade rouge.

Bien, Pier Paolo Pasolini à la fin de la guerre, d’abord resté proche du Parti d’action dans lequel son frère avait combattu, mais ensuite il a rejoint le Parti communiste dont sont issus les organisateurs de l’assassinat de son frère.. Possible? C’est une contradiction trop forte, que même le psychanalyste Recalcati n’est pas capable d’expliquer, qui d’ailleurs n’en parle pas dans son essai, peut-être trop bref pour aller aussi loin. Une consternation encore plus brûlante est d’apprendre qu’au cours de ces années, Pasolini a assumé des positions extrêmement hypocrites et s’est alignée sur la propagande pro-soviétique pendant son militantisme au sein du PCI. Une lettre conservée et exposée au Centre d’études Pasolini en témoigne : en tant que secrétaire d’une section du PCI frioulan, il dicta à ses compagnons le texte d’un manifeste diffamatoire contre le cardinal hongrois Mindszenty, emprisonné et torturé entre 1948 et 1949 par le nouveau régime pro-soviétique. Le manifeste voudrait expliquer « ce qui se passe en Hongrie », mais pour contrer les plaintes d’une véritable persécution contre l’Église catholique magyare, Pasolini se borne à déclarer que « c’est faux ! ». Bref, le cardinal aurait été légitimement “condamné par un tribunal magyar pour activité anti-nationale” et en tout cas il faut penser “plutôt qu’à un cardinal… aux millions d’hommes qui souffrent de la faim”. Comprenez-vous l’artifice « benaltrista » de la rhétorique officielle communiste ? Un drame de l’humanité – la faim dans le monde – est utilisé pour couvrir un autre drame, celui de la répression dans toute l’Europe de l’Est : mais ce dernier est fait passer pour un rien, en effet les tribunaux d’Europe de l’Est travaillent légitimement contre les subversifs anti-nationaux ! Désolant Pasolini, s’accrochant à la propagande des bourreaux qui l’incitaient à supprimer – certes pas intimement, mais en projection publique – le sort malhonnête subi par son frère…

Dans le image des contradictions de Pasolini présentées par le professeur Recalcati, on note que Pasolini par la suite « subit l’expulsion du PCI ». C’est arrivé au cours de la même année 1949, lorsqu’il a été radié pour “indignité morale” liée à son homosexualité, après avoir révélé qu’il l’avait fréquenté la nuit – lors d’une fête de village – avec de jeunes garçons remboursés de quelques pièces. “Je suis stupéfait de votre inhumanité” a-t-il répondu aux dirigeants du PCI, déclarant en tout cas : “Je reste et je resterai communiste” (nouvelle extraite des archives du journal “la Repubblica”, enregistrée le 30 octobre 2015). Possible tant d’automutilation?

2) Inexplicable. Au moins à égalité avec le grossissement du «valeurs de la tradition et du monde paysan », un autre thème – comme son militantisme communiste – vraiment contradictoire à Pasolini. Il va jusqu’à considérer la campagne comme “un monde parfait” par opposition à la “dégradation de la ville hypnotisée par le mythe du ‘développement'”. Pour Pasolini, la civilisation de la consommation a conduit à une véritable dévastation anthropologique, « à la disparition des lucioles » – comme il l’écrit dans le Corriere della Sera du 1er février 1975, qui symbolise le mystère d’un temps ancien en « continuité avec les origines du monde humain ». Mais l’adoucissement de ce monde bucolique apparaît semblable à la technique avec laquelle la douleur et la mélancolie de la condition humaine sont apaisées depuis l’époque de Virgile, pour affronter l’adversité et le stress de la vie réelle. Pasolini met à jour cette méthodologie, contrastant la campagne non contaminée avec le développement urbain. Mais heureusement – ​​observons-nous – que cette évolution a eu lieu ! Pasolini ne semble pas comprendre à quoi il fait référence : il parle d’un monde paysan qui n’a pas vécu sur sa propre peau, fils de soldat et instituteur. La campagne – celle du Frioul, si semblable à celle d’autres régions préalpines – l’a piétinée, mais sans en ressentir la dureté ; il imaginait cet univers rural mais sans scruter son retard. Michel Serres (1930-2019) – l’académicien français fils d’un paysan avec lequel il accompagnait périodiquement ses études sévères – a bien décrit ce monde, crûment rapporté dans l’essai “Contre le bon vieux temps”. Il faisait référence aux années entre les deux guerres mondiales, l’époque de la jeunesse de Pasolini. Le travail – dit Serres – m’a littéralement brisé le dos ; le « parfum » de l’étable s’attardait dans les écoles et les églises bondées de gens qui vivaient avec du bétail ; et la nutrition, combien elle était rare et malsaine… La mortalité infantile était incessante : combien d’enfants fallait-il mettre au monde pour en garder deux ou trois ? Ne parlons pas de l’eau potable courante, des toilettes, de l’électricité, de la protection sociale, des hôpitaux, des retraites… Ah, ces résultats du développement et de la technologie qui vont peu à peu s’étendre aux sociétés et campagnes européennes dans les années 1950-1980, pour Pasolini ce sont fruit du « temps post-lucioles, temps du Nouveau Fascisme, ou, mieux, du “techno-fascisme”, qui en proposant de nouveaux objets de consommation – superflus et hédonistes, qui satisfont des besoins artificiels et inutiles – configure un nouveau type de l’humanité et un nouveau type de relations sociales. Il s’est écarté de la réalité. Nous sommes au début des années soixante-dix, en Italie et en Europe nous nous remettons des dégâts et de la misère de la seconde période d’après-guerre, il commençait à y avoir un peu de bien-être pour tout le monde, après les difficultés et les réalisations de ce que l’économie les historiens définissent les ” Trente Glorieuses “. Pasolini vit dans un autre monde, il ignore l’accès de tant de personnes à un travail moins fatiguant et mieux rémunéré, à une éducation plus inclusive et à une bien-être auparavant inconnu; il éprouve presque du ressentiment et du mépris pour les nouvelles satisfactions de la vie timidement généralisées : il les considère comme anodines et hédonistes. Mais nous – je parle comme tout progressiste – que pouvons-nous partager avec cet argument pasolinien, aussi élitiste qu’irréel ?



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