2024-03-21 12:38:12
Au début du dernier roman de Paul Auster, intitulé Baumgartner (Seix Barral), il y a une scène choc. C’est l’image de doigts amputés par une scie électrique. Un oubli, estime Baumgartner. Bien que l’accident n’arrive pas à lui, mais au mari de sa domestique, Baumgartner imagine le déroulement des scènes et reconstitue mentalement la tragédie. Il le fait en serrant les dents, comme si cela lui arrivait.
À partir de cet épisode, Paul Auster nous entraîne dans une histoire de solitude et de membres fantômes, identifiant la sensation qui assaille après l’amputation d’un membre avec le sentiment de perdre un être cher. Tout comme le membre détaché du corps continue de faire mal, de picoter ou de piquer, l’être perdu continue de se sentir plus proche que jamais malgré son absence. La cause de ce phénomène reste une énigme, mais l’hypothèse la plus couramment utilisée est celle qui considère ce phénomène comme un effet de la réorganisation corticale après amputation. Avec cela, Paul Auster réalise un roman crépusculaire où la perception du membre amputé devient le souvenir de l’être cher, en l’occurrence l’épouse de Baumgartner, une femme décédée en mer, de manière absurde.
De cette manière, le syndrome du membre fantôme flotte sur tout le roman, étant le thème autour duquel circule une intrigue hypnotique qui se fragmente avec des incursions dans des journaux intimes et des poèmes manuscrits ; Le jeu littéraire à la manière de Cervantès – marque de fabrique de l’écrivain de Brooklyn – s’invite dans un roman où les vérités scientifiques se croisent avec la vérité émotionnelle ; un roman où l’inconscient, le côté nocturne de l’âme humaine, surgit des profondeurs de la psyché de chacun des personnages qui se rapportent à Baumgartner, le protagoniste du roman, un homme de soixante-douze ans qui va vivre le dernier chapitre de sa vie parmi des paquets de livres entassés dans une maison trop grande pour lui.
L’une des thérapies pour traiter la neuropathie du syndrome du membre fantôme susmentionné est la thérapie dite du miroir et, plus ou moins et pour se comprendre, cela consiste à placer le membre non amputé d’un côté du miroir et le moignon derrière lui pour qu’il ne paraisse pas réfléchi. À partir de là, des mouvements « symétriques en miroir » sont effectués. Suivant ce schéma, Paul Auster place son protagoniste dans une galerie de miroirs où se reflètent ses relations avec d’autres femmes symétriques de son épouse décédée.
En raison de tous ces détails, le dernier roman d’Auster a une lecture superficielle, celle du veuf confronté à la solitude, et une autre lecture scientifique où le syndrome du membre fantôme sous-tend chaque paragraphe. L’écrivain de Brooklyn a réussi à tisser sa propre histoire où l’on ne voit pas la chose la plus importante – la substance quantique -, mais qui déterminera la direction que suivra Baumgartner à la recherche de sa propre réorganisation corticale.
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