avez-vous déjà songé à la raison pour laquelle il vous est si difficile de vous séparer de votre smartphone ? La réponse dépasse la simple psychologie. Elle est également physiologique et révèle bien plus que vous ne l’imaginez.
Il existe une forme de solitude inédite, plus insidieuse que les autres. Elle est invisible, non avouée. Elle ne se vit ni dans les déserts, ni dans les monastères, mais au sein d’une foule d’incitations bruyantes. C’est celle que l’on traîne avec soi lorsque l’on est partout, sauf en soi-même.
Une étude menée par l’Université d’Hokkaido a mis des mots sur une sensation que beaucoup connaissent sans pouvoir l’expliquer : les personnes facilement distraites par leur smartphone ne sont pas seulement plus sensibles aux stimulations extérieures. Elles sont également moins aptes à ressentir leur propre corps, à percevoir les battements de leur cœur, les tensions musculaires, l’air qui emplit leurs poumons. C’est comme si la frontière entre l’intérieur et l’extérieur s’était amincie jusqu’à disparaître.
Ainsi, un paradoxe se produit : nous sommes hyperstimulés, mais déconnectés. Réactifs à l’extérieur, sourds à l’intérieur.
le smartphone n’est pas qu’un simple outil. C’est un refuge. Pour certains, il s’agit même d’une sorte de doudou numérique. Mais lorsque ce refuge se transforme en prison, nous cessons de nous habiter nous-mêmes. Nous réagissons alors à tout, sans plus rien écouter, surtout ce qui se passe en nous.
L’étude révèle que les personnes les plus facilement distraites par leur smartphone présentent une réactivité physiologique plus intense, mais, paradoxalement, une conscience interoceptive moindre. Autrement dit : le corps parle,mais l’esprit n’écoute pas.
En tant que psychothérapeute, je sais pertinemment ce que cela signifie.Cela signifie que nous pouvons bénéficier d’une 5G ultra-rapide, mais avec des connexions internes hors service. Cela signifie que nous pouvons faire défiler des centaines de contenus par jour, sans parvenir à faire défiler une seule émotion authentique en nous.
C’est là que le numérique cesse d’être un outil pour devenir un anesthésique.
Nous ne ressentons plus l’inconfort, mais nous ne ressentons plus non plus le plaisir. Nous sommes anesthésiés par un excès de notifications, par une surabondance de stimulations qui ne laissent rien se déposer. Et lorsque la vie se fait concrète – une dispute, un silence, un refus, un ennui – nous ne la supportons plus.Nous nous sommes déshabitués au vide, mais aussi au plein.
Le corps, qui devrait être notre premier refuge, devient un étranger. Nous cherchons alors à combler chaque instant : un message en faisant la queue, une vidéo en mangeant, une notification en marchant. Nous ne prenons plus conscience de notre faim, de notre soif, de notre fatigue, de nos besoins, des émotions qui insistent pour être vues.
Et ainsi, peu à peu, nous disparaissons.
Nous ne sommes plus là, ni pour nous-mêmes, ni pour ceux qui nous entourent. L’amour devient également difficile, car comment aimer véritablement si nous ne sommes même pas présents à nous-mêmes ?
Nos enfants grandissent ainsi. Nous ne pouvons pas nous contenter de leur dire : « Décroche ton téléphone. » Ce serait comme dire à un naufragé : « Laisse tomber ton radeau. » Nous devons leur apprendre à nager, à vivre dans le temps sans avoir besoin de se distraire, à tolérer l’ennui, à écouter leur corps, à nommer leurs émotions, à ressentir.
Car celui qui ressent peut choisir. Celui qui ne ressent pas ne fait que réagir.
La technologie, en soi, n’est pas le problème. Le problème réside dans l’absence d’une éducation émotionnelle et corporelle qui nous aide à l’utiliser sans nous laisser utiliser, à en faire un moyen et non une fin.
Alors, il est peut-être temps de rentrer à la maison. Pas celle avec le Wi-Fi, mais celle faite de chair, de souffle, de limites : notre corps, nos pensées, nos émotions.Là où tout se meut lentement, mais où tout est vrai.
Éteindre son smartphone, cinq minutes par jour, n’est pas une renonciation. C’est une révolution silencieuse, un acte d’amour envers soi-même, un premier pas pour dire : « Je suis ici, pas ailleurs, pas connecté, mais présent. » Et lorsqu’un jeune apprend à le dire, il n’a plus besoin d’un like pour se sentir vivant.