2024-02-29 07:30:00
Journaliste, scénariste et auteur d’essais, de fiction et des podcasts, Il n’est pas exactement Pedro Bravo (Madrid, 51 ans) de ceux qui se taisent et pourtant, il vient de publier Silence! Manifeste contre le bruit, l’agitation et la précipitation (Débat), une réflexion calme contre le bruit qui vous invite à parler moins et à écouter davantage. Ce n’est pas, comme le prévient sa quatrième de couverture, un livre d’auto-assistance, même si grâce à son style divertissant et sa vocation informative, il peut servir de bouée de sauvetage en ces temps où le chaos qui nous entoure nous permet à peine de nous écouter. Il admet qu’il a été tenté de garder le silence. “Mais il semblait approprié de soulever des questions qui aident les gens à réaliser qu’il existe une autre façon de vivre la vie.”
Demander: Pourquoi ne pas faire comme John Cage avec 4’33” et laisser l’essai vide ?
Répondre: L’exercice de John Cage est toujours très valable. Ce qu’il a fait avec cette œuvre, en laissant la partition vide et en n’entendant rien d’autre que le son ambiant pendant ce temps, démontre non seulement que le silence absolu est impossible, mais aussi combien il est difficile pour nous de faire face au défi de la pause, du vide. Le livre, bien que court, est certes plein de texte, mais ce que j’essaie de faire avec, c’est de montrer que le silence est bénéfique. Se taire, s’arrêter, observer, écouter est sain ; en ce moment, plus que jamais.
P. Il dit que le calme est une façon de bouger, d’être nous-mêmes. Le mouvement vole-t-il notre identité ?
R. On se dit qu’en tant qu’espèce, nous sommes faits pour bouger, découvrir, avancer et pourtant, ce que nous trouvons le plus difficile, c’est l’immobilité et le silence. Ma thèse est que ce silence et cette immobilité sont des actions de résistance et, par conséquent, une forme de mouvement. Et cela, si nous les mettons en pratique, nous découvrirons peut-être une autre façon d’être nous-mêmes, beaucoup plus harmonieuse et équilibrée.
P. Ses réflexions sur le silence le conduisent inévitablement à revenir encore et encore au bruit. Qu’est-ce que le bruit pour vous ? Pouvons-nous vivre sans ?
R. Le bruit, ce sont ces sons de basse fidélité que nous subissons quotidiennement dans les villes, et parfois aussi à la campagne, et qui nous rendent malades et nous empêchent d’apprécier beaucoup de choses qui nous réconcilient avec notre être. Ce sont les pensées qui nous inquiètent et nous font déformer la réalité. La rapidité et l’anxiété inhumaines imposées par le modèle économique. Le contenu conçu pour nous accrocher et que les entreprises du secteur des soins nous publient. Peut-on vivre sans bruit ? Si nous voulons vivre plus paisiblement, je dirais oui.
P. Il souligne que les réseaux sociaux ont fait de nous des personnes de marque qui considèrent les autres comme des concurrents. N’est-ce pas un peu effrayant ?
R. Eh bien, il ne s’agit pas seulement des médias sociaux. L’évolution du modèle économique nous a conduits à être de plus en plus individualistes et narcissiques. Avec l’essor des réseaux et d’autres armes de l’économie de l’attention, ce processus s’est accéléré. Nous sommes désormais des milliards de personnes incapables d’écouter et essayant de nous dépasser les unes les autres. Non seulement c’est effrayant, mais c’est aussi extrêmement ennuyeux.
Avec l’essor des réseaux et autres armes de l’économie de l’attention, nous sommes désormais des milliards d’individus essayant de s’élever les uns au-dessus des autres.
P. Les villes sont-elles devenues des lieux inhabitables ?
R. Pour beaucoup de gens, oui. Les inégalités et l’exclusion augmentent, tout comme le bruit, l’inquiétude et l’anxiété. Mais pas seulement dans les villes. Ce que l’on appelle la campagne, le rural, est aussi dominé par le modèle qui lui est imposé depuis la ville, il travaille pour elle dans les mêmes conditions d’exploitation. Il devient difficile de bien vivre, ce qui pour moi est synonyme de vivre en paix.
P. Le silence est-il une idéologie anticapitaliste ?
R. Le silence est un outil de résistance. Pour moi, c’est quelque chose de beaucoup plus disruptif, transversal, profond et complexe, tout en étant un concept très simple. Est-ce anticapitaliste ? En ce moment, je dirais, pour paraphraser Eskorbuto, qu’il est anti-tout. Du moins anti-tout ce qui n’est pas naturel et donc humain.
P. Avez-vous déjà ressenti cette discrimination dont souffrent les introvertis et dont vous parlez dans le livre ?
R. Je ne sais pas si c’est de la discrimination, mais c’est un mal-être. Aujourd’hui, on a le sentiment de ne pas être compris, d’aller à contre-courant, d’être gêné justement par le fait de se taire. Une bonne partie de nos sociétés ont eu tendance à afficher et à bavarder et à exclure ceux qui, par tempérament, ne sont pas comme ça. Cela se produit à l’école, au travail, dans les loisirs… Laisser les gens tels qu’ils sont, les écouter est une excellente façon d’apprendre de nouvelles choses.
Laisser les gens tels qu’ils sont, les écouter, est un excellent moyen d’apprendre de nouvelles choses.
P. Le livre dit que l’obsession humaine de trouver des solutions fait partie du problème, mais en même temps, vous faites un grand effort pour ne pas tomber dans le fatalisme. Peut-on être optimiste ?
R. Ce que je soutiens, c’est que l’optimisme est une sorte d’imposition, une doctrine de religion économique qui nous empêche de dévier du chemin tracé. Nous croyons que nous faisons fausse route, mais nous sommes convaincus que, comme dans les histoires de fiction, quelqu’un ou quelque chose viendra nous sauver. Quelque chose ou quelqu’un du même système qui nous a amenés ici. La seule façon d’être optimiste est peut-être de commencer à être pessimiste, c’est-à-dire de ne pas nier l’évidence.
P. Après avoir lu le livre, vous avez envie de vous enfuir, jusqu’à ce que vous réalisiez que vous ne savez pas non plus où courir. Où devrait-on aller?
R. Comme premier pas, faire taire, faire une pause, se calmer, observer, écouter. A l’attention. Et, à partir de là, ce qu’il nous révèle.
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