quand la folie n’était pas un bruit cérébral à éliminer – La santé mentale dans les moments difficiles

quand la folie n’était pas un bruit cérébral à éliminer – La santé mentale dans les moments difficiles

2016-04-03 01:40:16

La commémoration cette année du 400e anniversaire de la mort de Cervantès et de Shakespeare est sans aucun doute une excellente occasion de réfléchir aux changements dans la conception de l’être humain qui se sont produits dans notre société pendant tout ce temps. Et l’un des changements les plus pertinents concerne la conception de la folie.

Un élément central de toute conception de l’être humain est son contact avec la réalité, sa façon d’interpréter le monde. Pour Cervantès et Shakespeare, la folie faisait partie de la nature humaine, c’était une réalité indissociable de notre condition humaine. Selon les mots de Foucault, la folie pour ces auteurs était “un phénomène humain intégral”, on ne pouvait pas comprendre l’être humain, sans comprendre sa folie.

Aujourd’hui, 400 ans plus tard, la folie est pour la psychiatrie officielle liée aux pouvoirs dominants, un bruit cérébral intempestif et stupide qu’il faut éliminer à tout prix. Et cette vision a été transmise à l’opinion publique à travers des médias puissants.

N’y a-t-il pas une grande contradiction entre ces deux perspectives de l’être humain ? Face à cette situation, certaines questions se posent inévitablement. Cervantès et Shakespeare se sont-ils tellement trompés dans leur conception de l’être humain ? Avons-nous vraiment avancé au cours de ces 400 ans ?

Il faut noter que dans l’œuvre de Cervantès et de Shakespeare, la folie occupe une place très importante, constituant, on le sait, dans le cas de Don Quichotte de la Manche, le thème central, l’axe de l’œuvre.

Chez Shakespeare, la folie est liée à la raison et il considère qu’elle peut même fournir des significations plus riches que la raison. La folie apporte de nouvelles perspectives sur le monde et la démarcation entre raison et folie devient difficile.

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La complexité et la richesse conceptuelle avec lesquelles Shakespeare perçoit la folie peuvent être vues, par exemple, dans “Hamlet” où chaque personnage de la pièce a sa propre explication de ce qui arrive au protagoniste. Pour Horace, ami d’Hamlet, dans la lignée de la pensée de la Renaissance, la folie vient de la stupeur, de l’excès d’émotions d’Hamlet. Pour Polonius, le père d’Ophélie, la folie d’Hamlet vient de la passion, de la force d’éros qu’il a pour Ophélie, avec une vision stoïque liée à l’excès de passion. De son côté, Claudio, le roi, croit que la folie vient de la mélancolie et a une vision néoplatonicienne liée au déséquilibre.

Dans « King Lear », le fidèle Gloucester voit la folie du vieux monarque comme une consolation, comme une expérience positive face à une douleur insupportable. Ainsi dit-il “Le roi est devenu fou. Il faut que ma raison soit forte devant la connaissance de mes grandes souffrances. Il vaudrait mieux que je sois fou : alors j’oublierais mes souffrances. Une imagination hors de la réalité nous fait inconscients de nos maux” ( 4.7).

Dans Don Quichotte, comme nous l’avons souligné, les méditations sur la folie sont l’essence du livre, mais si je devais choisir une réflexion, je préférerais ce que Sancho a dit à Don Quichotte lorsqu’il a recouvré la raison, après le sentiment d’échec de ses aventures de chevalier errant, déjà à tomber par terre :

“Oh! Ne mourez pas, Votre Grâce, monseigneur, mais suivez mon conseil et vivez de nombreuses années: car la plus grande folie qu’un homme puisse faire dans cette vie est de se laisser mourir, sans plus ni plus, sans que personne ne le tue ..Regardez, ne soyez pas paresseux, mais sortez du lit et allons au champ habillés en bergers comme nous l’avons prévu : peut-être trouverons-nous derrière un buisson la désenchantée Dame Doña Dulcinée” (LXXIV, dernier chapitre de la deuxième partie).

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On peut voir dans ces textes de Cervantès et de Shakespeare sur la folie une vision très différente de celle de la psychiatrie officielle. Bien sûr, il existe d’autres branches de la psychiatrie et de la psychologie, comme la psychanalyse, la psychologie humaniste, la psychologie cognitive et d’autres écoles qui ont une conception beaucoup plus cohérente et profonde de la folie, mais elles sont déplacées par un courant fort aux intérêts puissants au sein du cadre de ce que Foucault appelait la biopolitique.

Pour Foucault, le diagnostic psychiatrique n’est pas quelque chose d’objectif, de neutre, mais est lié à ce qu’il appelle la « biopolitique » qui serait la tentative par le pouvoir de contrôler la santé, l’hygiène, l’alimentation, la sexualité, la naissance, etc. étant donné qu’ils constituent des enjeux politiques, essentiellement depuis le XVIIIe siècle.

Du point de vue de Foucault, au Moyen Âge, la folie était considérée comme un mystère sacré faisant partie du vaste champ de l’expérience humaine. De même, à la Renaissance, elle était considérée comme une forme particulière de raison de type ironique qui montrait l’absurdité du monde. La folie était à la fois tragique et comique. Cette image se cristallise dans le navire des fous, un groupe de personnes qui étaient en dehors de la société, mais qui étaient aussi considérées comme des pèlerins en quête de raison et par extension de la raison du monde, représentant le lien entre l’ordre et le chaos. La folie s’opposait à la raison, mais comme un mode d’existence humain alternatif, non comme son simple rejet. Jusqu’aux Lumières, la folie était perçue comme un lieu imaginaire, un lieu de passage entre le monde et ce qui se cache derrière, entre la vie et la mort, entre le tangible et le sacré.

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Ainsi, ce 400e anniversaire de Cervantès et de Shakespeare constitue une excellente occasion de susciter un débat approfondi sur notre conception de l’humain, et en son sein, de la folie, comme élément central.

Je voudrais terminer, comme un autre exemple de la complexité et de la richesse de ce débat, en citant ce qu’un autre grand penseur, Friedrich Nietzsche, a écrit avec perspicacité à ce sujet :

“Chez les humains, la folie individuelle est rare, mais ce qui est dans les groupes, les partis et les nations est la norme.”

Pour les personnes intéressées par ce sujet, nous annonçons la CONFÉRENCE suivante :

“Cervantès-Shakespeare, deux visions de l’humain”

Vendredi 8 avril 2016, de 9h00 à 14h00 à l’Aula Magna de l’Université de Barcelone. Il sera diffusé en direct par streaming depuis le site Web de l’Université de Barcelone.

Aussi via la page d’accueil de l’Université de Barcelone

Toutes les présentations seront en espagnol.

[email protected]



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