Qui est frère Paul-Adrien d’Hardemare, moine youtubeur à la rencontre des jeunes catholiques, à Chartres ?

C’est l’un des religieux les plus connus des jeunes et des moins jeunes grâce à sa chaîne YouTube, où il aborde des thématiques telles que le divorce, comment comprendre la crucifixion de Jésus, la Trinité expliquée en cinq minutes, les abus sexuels dans l’Église… Il compte plus de 260.000 abonnés sur sa chaîne YouTube et sur 64.000 abonnés sur TikTok.

Comment est né votre engagement dans l’évangélisation sur le web?
C’était il y a quatre ans. J’étais déjà prêtre, moine et religieux. J’étais prof de maths et aumônier scolaire. Je me suis rendu compte que j’avais envie de me consacrer davantage à l’évangélisation. J’ai demandé à arrêter d’être prof. Le jour où j’ai cessé, j’ai posté une vidéo sur Instagram qui, à l’époque, a été vue 2.000 fois. Ce qui, pour moi, était absolument sidérant. Je me suis dit que j’étais en train de louper quelque chose et qu’il fallait aller sur les réseaux sociaux. C’est à peu près la même chose que ce que je faisais avant, sauf que c’est vu mille fois plus. Maintenant, je me suis professionnalisé dedans et ça marche bien.

Est-ce que vous arrivez à avoir une vie fraternelle, une vie de religieux classique, ou bien êtes-vous toujours devant votre PC ou votre smartphone? Dans l’ordre des frères dominicains, c’est considéré comme une vie tout à fait normale d’être constamment en prière et constamment devant un écran. Parce que c’est l’ordre des frères prêcheurs. Mon activité sur les réseaux sociaux se marie extrêmement bien avec mon engagement. Je suis devenu encore plus moine et encore plus dominicain depuis que je suis sur les réseaux. Je me lève, je fais mes heures de prière. Ensuite, je bosse, je prêche, je bosse, je prêche. Mes supérieurs savent que c’est un apostolat de la prédication.“Au début, c’était quand même compliqué dans ma tête parce que j’avais vraiment l’impression d’être ridicule”, indique le frère Paul-Adrien d’Hardemare.

“Je vise en priorité le public qui vient le moins dans les églises”

Comment votre activité est-elle perçue par les anciens chez les Dominicains? Au début, ils ne savaient pas ce que c’était. Moi non plus d’ailleurs. Ils m’ont dit : “Si ça ne fait pas de mal, on laisse une chance au produit et on verra bien.” Maintenant, ils sont très contents. Ils sont très contents aussi que ce ne soit pas eux?! Parce qu’à 40 ans, en étant moine, on a quand même le sentiment d’être vaguement ridicule quand on dit devant la caméra “Salut YouTube, lâchez-moi vos com’etc”. J’aime bien, parce que ça oblige à sortir de son piédestal.

On a l’impression que cela vous amuse beaucoup de faire cela?
Au début, c’était quand même compliqué dans ma tête, parce que j’avais vraiment l’impression d’être ridicule, et certainement que je le suis un peu. Mais ça faisait juste marrer les gens. Maintenant, j’en rajoute parce que ça me fait hurler de rire.

À qui vous adressez-vous?
Ma cible type, c’est un étudiant de 18-20 ans, masculin. Parce que c’est généralement le public qui vient le moins dans les églises. Ce sont eux que je vise en priorité. Si j’arrive à rejoindre cette cible, j’arrive quasiment à rejoindre tout le monde.

Vous faites partie des ovnis dans l’Église, non?
Non, il y en a quelques-uns. Il y a la sœur Albertineil y a le père Gaspard Craplet, le père Matthieu… On est quelques-uns quand même. Ma particularité, c’est que je suis le seul à faire ça, je crois, sur mes heures professionnelles. Je vis de ça.

Père Matthieu, le curé de Joigny (Yonne) aux 400.000 abonnés Tik Tok

C’est-à-dire? Les gens me font des dons sur Internet, sur Tipeee ou Paypal. De temps en temps, je fais une vidéo en disant “je vous aime, mais aidez-moi à payer les patates”. Quand les vidéos sont bonnes, les gens me donnent de l’argent, quand elles sont mauvaises, ils me donnent moins d’argent. Et je trouve que c’est une manière honnête de gagner sa vie.

Le frère Paul Adrien d’Hardemare, prêtre youtubeur, en mission dans le diocèse de Chartres

Êtes-vous seul pour gérer la vidéo, le montage, les réseaux?
Non, on est une équipe maintenant, parce qu’il y a trop de travail. Répondre aux commentaires demande énormément de temps. Je n’ai quasiment plus le temps de monter les vidéos. Avant, je faisais tout. J’ai embauché quelqu’un pour m’aider.

Êtes-vous confrontés à des trolls (polémistes anonymes qui cherchent à créer la controverse) qui participent sur votre chaîne?
Ah oui?! On a aussi les haters (haineux). Il y a ceux qu’on bannit. Les gens ne sont pas forcément toujours très intelligents sur TikTok, peut-être un peu moins qu’ailleurs. Dès qu’on parle de sexualité, de politique ou de religion, ce sont des sujets délicats. Les gens ne comprennent pas qu’on puisse avoir des convictions marquées. Généralement, c’est plutôt intéressant d’avoir quelqu’un en face de vous qui a de vraies convictions, parce que ça met du sel dans la vie.

Quel regard porte l’Église, en général, sur ce que vous faites?
Très bon, je pense, même si je ne peux pas trop vous dire exactement. Si jamais un évêque se mettait à râler, je pense que ce n’est pas à moi qu’il irait le dire, mais à mon supérieur. J’ai l’impression que c’est plutôt bien accepté.

Vous dites que la cible de votre site, c’est le jeune de 18 ans. Vous avez 42 ans. Est-ce que vous avez l’impression d’être ringard à leurs yeux?
C’est une bonne question. Il y a des trucs sur lesquels de manière claire, je suis ringard. Par exemple, je ne connais pas la moitié de leurs tiktokeurs ou de leurs instagrameurs (NDLR : les personnes très connues sur Internet qui ont aussi leur chaîne sur les réseaux sociaux). C’est aussi pour ça que je viens voir mes abonnés. C’est aussi pour moi une manière de me remettre au goût du jour. Mais, manifestement, il y a un langage, un vocabulaire commun. Il y a forcément un décalage de génération, mais il y a une culture commune des réseaux sociaux. On vit vraiment dans le même monde.

Interview : François Feuilleux
Vidéo : Stéphanie Zeimet