2024-11-04 15:46:00
L’auteur et ancien journaliste franco-algérien s’est vu récompensé face à Hélène Gaudy, Sandrine Collette et Gaël Faye, pour son roman sombre sur la guerre civile de la “décennie noire” en Algérie.
L’écrivain franco-algérien Kamel Daoud, lauréat du prix Goncourt ce lundi 4 novembre, à 54 ans, est un chroniqueur critique de l’Algérie dont la liberté de ton a fini par le contraindre à quitter sa ville d’Oran pour Paris, à contre-coeur.
Houris (éditions Gallimard), le roman primé par le Goncourt, n’a pas pu être exporté vers l’Algérie, encore moins traduit en arabe. Comme l’écrit l’auteur dans son roman, la loi algérienne interdit toute évocation dans un livre des événements sanglants de la “décennie noire”, la guerre civile entre pouvoir et islamistes entre 1992 et 2002.
En Algérie, “on m’attaque car je ne suis ni communiste, ni décolonial encarté, ni antifrançais”, disait cet “exilé par la force des choses” au Point, le magazine français où il est chroniqueur, en août.
Étiquette de traître
Il a pris la nationalité française. Jusqu’à dire, en référence au poète Guillaume Apollinaire, né Polonais et naturalisé en pleine Première Guerre mondiale: “J’ai le syndrome d’Apollinaire, je suis plus français que les Français”.
Auprès d’une bonne partie de l’opinion et de l’intelligentsia algériennes, il ne peut se défaire de l’étiquette du traître à son pays.
Beaucoup d’Algériens, au contraire, admirent sa plume, sa connaissance de l’histoire du pays et son entêtement à poser les questions qui fâchent. À commencer par l’éditeur Sofiane Hadjadj, des éditions Barzakh, qui publiait en 2013 Meursault, contre-enquête.
“Il a inventé sa propre manière d’écrire”, commentait-il au moment du succès fulgurant de ce roman, repéré par Actes Sud.
Sortie en France à 3.000 exemplaires en mai 2014, cette relecture de l’intrigue de L’Étranger d’Albert Camus va être l’une des sensations littéraires de l’année, avec plus de 100.000 exemplaires écoulés. Finaliste du prix Goncourt, l’oeuvre remportera le Goncourt des lycéens, entre autres.
Visé par une diatribe d’un imam salafiste
Des propos tenus à la télévision française vaudront alors à Kamel Daoud une diatribe d’un imam salafiste, qui aurait été une fatwa si son auteur en avait eu la légitimité. Un tribunal condamnera cet imam en 2016 pour “menaces de mort”, avant qu’une cour d’appel n’enterre le dossier.
Fils de gendarme, Kamel Daoud est né à Mostaganem (nord-ouest) en juin 1970, l’aîné de six enfants. Il a été élevé par ses grands-parents dans un village dont il est devenu l’imam à l’adolescence, frayant avec les islamistes, avant de s’éloigner de la religion.
Seul de sa fratrie à faire des études, de lettres, il s’oriente vers le journalisme, d’abord à Détective, version algérienne du magazine de faits divers, puis dans un grand journal francophone, Le Quotidien d’Oran.
“J’ai le droit de penser et de défendre mes idées”
Comme il l’expliquait lors de la promotion de Hourisdes places de journaliste s’étaient libérées après des assassinats. Le métier était dangereux et très délicat: il fallait donner des bilans de massacres que les uns et les autres voulaient dissimuler, minorer ou exagérer.
Sa réputation d’intégrité vient de cette période, puis d’articles et de chroniques où il a dénoncé crûment tout ce qui ronge la société algérienne: corruption, hypocrisie religieuse, incurie du pouvoir, violences, archaïsmes, inégalités. Père de deux enfants, il a arrêté le journalisme en 2016, au profit de la littérature.
C’était après une vive polémique, en France et au-delà, sur sa dénonciation dans Le Monde de “la misère sexuelle dans le monde arabo-musulman, le rapport malade à la femme, au corps et au désir”. Certains l’avaient accusé d’entretenir un cliché raciste.
“J’ai le droit de penser et de défendre mes idées”, répondait-il, dans un entretien avec l’AFP en 2017. “Chaque Algérien n’a pas besoin d’être sur la même longueur d’onde”.
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