2024-07-12 10:44:53
“On a rarement vu face à face deux armées aussi courageuses et brillantes”, pouvait-on lire dans le numéro de “Blanco y Negro” publié le 27 août 1898, l’année même du désastre cubain. L’Espagne venait de perdre les derniers territoires d’outre-mer de son grand empire et la presse semblait vouloir se souvenir de nos gloires passées pour retrouver l’esprit des lecteurs. “Le nom de cette célèbre bataille est devenu un idiome populaire”, ajoute le magazine.
La fierté que de nombreux Espagnols ont ressentie dans cette bataille a été présente tout au long des 120 dernières années. « Le moment universel de San Quentin », ABC a intitulé un long reportage de 1951, qui décrit le lieu où s’est produit l’affrontement entre les deux armées les plus puissantes du monde au milieu du XVIe siècle : « San Quentin C’était une ville frontalière occupée par les Français pendant soixante-dix ans. C’était aussi grand que Madrid et ses environs. Elle était entourée de vergers et défendue par une bonne artillerie. Du côté de la Flandre, il y avait un lac, et à côté, un faubourg aux portes en bois. Le faubourg comptait une centaine de maisons. A l’entrée il y avait un bastion, plus loin à l’intérieur du mur et après le pont-levis.
Le triomphe remporté par l’Espagne le 10 août 1557, jour de San Lorenzo, restera gravé à jamais dans les mémoires, ne serait-ce que parce que le célèbre monastère de l’Escorial a été construit en son honneur. En 1944, Francisco de Cossío qualifiait l’affrontement dans ce même journal de « point culminant de la puissance impériale espagnole » et de « moment décisif pour le monde ». Et la victoire fut écrasante, digne du complexe dans lequel sont encore enterrés aujourd’hui les rois espagnols des dynasties autrichienne et bourbonienne, à l’exception de Philippe V et Ferdinand VI.
La bataille a eu lieu dans le cadre des guerres d’Italie, un an après que les troupes françaises du duc de Guise eurent envahi le royaume de Naples. Cet affront poussa Philippe II à commencer sa vengeance et à ordonner immédiatement aux troupes qu’il avait aux Pays-Bas espagnols d’envahir la France. A cette époque, la guerre ouverte entre Henri II de France et le roi d’Espagne entre dans sa phase la plus cruciale. La première confrontation a eu lieu en Italie, où les Gaulois avaient le soutien du pape Paul IV, mais les principales batailles se sont déroulées à la frontière entre la France et la Flandre.
L’offensive
L’offensive débute avant la fin juillet 1557, avec un mouvement de diversion du commandant des troupes espagnoles, Manuel Filiberto, pour faire croire aux Français que lui et tous ses alliés vont envahir la Champagne pour ensuite se diriger vers Guise. Cela motive les Français à envoyer un important contingent pour la défendre, alors qu’en réalité, le commandement espagnol se dirige à toute vitesse vers la route de Saint Quentin, une ville de Picardie située au bord de la Somme.
Ruy Gómez de Silva, un aristocrate portugais de grande importance à la cour de Philippe II, réussit à recruter 8 000 fantassins et des fonds importants pour le roi d’Espagne. Lui, pour sa part, se rendit en Angleterre pour recevoir l’aide de sa seconde épouse, Mary I Tudor, de qui il obtint 9 000 livres et 7 000 hommes. Tous marchèrent vers Bruxelles, où ils formèrent une armée de 42.000 soldats, 30.000 fantassins et 12.000 cavaliers, ainsi que quatre-vingts pièces. Parmi eux, seuls 6 000 étaient espagnols ; le reste, flamand, bourguignon, savoyard, hongrois, italien et surtout allemand.
Cependant, prendre la ville n’a pas été facile. Saint Quentin dominait depuis une colline une superficie de plus de deux lieues, et sa partie sud-sud-ouest était alors inondée par quelques marécages et la rivière Somme. En revanche, la garnison française de la ville ne comptait que quelques centaines de soldats sous le commandement d’un capitaine. L’armée espagnole lance l’attaque le 2 août en s’emparant du faubourg situé au nord, composé d’une centaine de maisons et défendu par quelques douves et batteries.
Montmorency
La réponse française fut d’envoyer rapidement l’amiral Gaspar de Coligny à la tête d’un contingent de secours composé de seulement 500 hommes qui entra à San Quentin dans la nuit du 3 août. Il sait que toute l’armée française est derrière lui, avec quelque 22 000 fantassins, 8 000 cavaliers et 18 canons sous le commandement du connétable De Montmorency et de son frère Andelot. Lorsqu’il tenta d’attaquer le mur, il échoua suite à une embuscade préparée par le comte allemand Ernest de Mansfeld, commandant une partie des troupes de Philippe II.
Le 10 août, Montmorency décide de réessayer et fait traverser la Somme en bateau à ses hommes dans le but de pénétrer dans la ville, tandis que le gros de l’armée française attend, caché dans une forêt voisine. Sous-estimant les compétences militaires de Filiberto, il ordonna finalement à ses troupes d’abandonner leur cachette et de se déployer devant l’ennemi de l’autre côté du fleuve. Ce fut sa grosse erreur, puisqu’il permit aux Espagnols de franchir le pont du Rouvroy et de surprendre les Gaulois en pleine opération. Le massacre est spectaculaire : seuls 200 Français parviennent à rejoindre la ville.
Ce fut un carnage dans lequel même Montmorency ne put éviter d’être capturé par un simple cavalier qui reçut 10 000 ducats en récompense de son action. Philippe II reçoit la nouvelle le 11 à Cambray et le 13 il se rend au camp pour remercier ses soldats de lui avoir offert sa première victoire depuis son couronnement. Ce jour-là, il obtint le titre de Roi Prudent, car au lieu de dévaster immédiatement la ville, en franchissant la grande brèche qui s’était ouverte dans le mur après l’explosion d’une poudrière, il décida d’attendre jusqu’au 27 août.
“Je n’étais pas là”
Ce jour fatidique pour les survivants gaulois, les Espagnols et leurs alliés attaquèrent San Quentin par le nord, le sud et l’est. C’est cette action qui a clôturé l’opération et mis fin à une bataille gagnée avec intelligence et grande habileté dans l’organisation de stratégies militaires par le duc de Savoie, qui a commis un carnage aux dimensions historiques. La plupart des assiégés furent passés au fil de l’épée. On estime que 12 000 Français sont morts, 2 000 ont été blessés et 6 000 autres ont été faits prisonniers. Il faut y ajouter environ un millier de nobles, dont Montmorency lui-même. Et plus de 50 drapeaux et toute l’artillerie furent capturés.
En apprenant le résultat, Philippe II regrette de ne pas avoir été présent à la victoire écrasante de Saint-Quentin. Seuls 500 de ses hommes sont morts. “Je n’étais pas là et je suis désolé de ce que Votre Majesté peut penser, mais je ne peux raconter ce qui s’est passé que par ouï-dire”, a-t-il commenté à son père, Charles Ier, déjà retiré au monastère. Yuste, par lettre.
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