Réflexions sur l’ASEAN à 57 ans

Le 8 août 2024, les peuples de l’Asie du Sud-Est commémoreront le 57e anniversaire de l’ASEAN, fondée en 1967 à Bangkok par cinq pays fondateurs : l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande et Singapour. L’ASEAN a été créée pendant la guerre froide pour créer de la stabilité et promouvoir la coopération dans une région souvent en proie à des turbulences politiques. Au fil du temps, l’ASEAN a accordé une plus grande importance à la promotion du développement économique et des échanges culturels entre ses membres, au maintien de la paix et de la stabilité régionales et à l’établissement de relations plus étroites avec des puissances étrangères partageant les mêmes idées.

L’importance stratégique de l’Asie du Sud-Est ne saurait être sous-estimée. Cette région est l’étendue tropicale la plus accessible du monde, située au carrefour des routes maritimes reliant l’Asie de l’Est au Moyen-Orient et à la Méditerranée. Il n’est pas étonnant que l’Asie du Sud-Est ait toujours suscité l’intérêt des puissances mondiales qui cherchent à s’y implanter. Néanmoins, l’ASEAN a jusqu’à présent réussi à maintenir la stabilité et la paix relatives de la région, permettant à ses dix pays membres de se concentrer sur leur développement économique tout en coordonnant leurs politiques au niveau régional par le biais de divers programmes de travail relevant du pilier économique de la Communauté de l’ASEAN.

Les partisans comme les critiques s’accordent généralement à dire que l’ASEAN a joué un rôle de plus en plus important dans la chaîne d’approvisionnement mondiale au cours des trois dernières décennies. Cependant, l’environnement stratégique dans lequel évolue l’ASEAN a radicalement changé par rapport à il y a dix ou quinze ans. Les guerres commerciales entre les principaux pays, la propagation du COVID-19, les guerres et les problèmes de sécurité dans des secteurs critiques de l’économie mondiale et la façon dont les pays réagissent à une économie mondiale de plus en plus fragmentée ont tous entraîné des perturbations continues dans la chaîne d’approvisionnement mondiale. Dans ce contexte, deux questions générales sont intéressantes à explorer alors que l’ASEAN entre dans sa 57e année : dans quelle mesure l’ASEAN a-t-elle intégré ses dix économies membres et comment l’ASEAN devrait-elle réagir à l’évolution de l’environnement économique mondial aujourd’hui et à l’avenir ?

En bref, le programme d’intégration économique de l’ASEAN repose sur trois accords fondamentaux qui ont été affinés et améliorés au fil du temps : l’Accord sur le commerce des biens de l’ASEAN, l’Accord sur le commerce des services de l’ASEAN et l’Accord global d’investissement de l’ASEAN. Ces accords sont complétés par divers accords, protocoles, directives, accords de mise en œuvre et procédures visant à faciliter la mise en œuvre de tous les accords économiques de l’ASEAN.

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L’ASEAN reconnaît également l’importance de la transformation numérique pour stimuler la croissance économique et l’intégration. À cette fin, une série de programmes de travail sont mis en œuvre pour tirer parti des avancées technologiques dans le cadre de l’intégration numérique de l’ASEAN afin de développer le commerce numérique, le commerce électronique transfrontalier et l’innovation pour soutenir l’économie numérique. Parallèlement, l’ASEAN élabore les initiatives du réseau des villes intelligentes pour promouvoir le développement urbain durable et améliorer la qualité de vie grâce à la technologie et à l’innovation.

L’ASEAN évolue dans un contexte mondial et s’attache donc également à favoriser la coopération économique avec les pays voisins. À cet égard, l’ASEAN a conclu et met en œuvre des accords de libre-échange avec ses partenaires, à savoir la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Inde, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Plusieurs de ces accords sont en cours de révision pour améliorer l’accès au marché, la facilitation ou la coopération afin de garantir des avantages équitables pour les pays membres. Plus récemment, en novembre 2020, l’ASEAN a signé le Partenariat économique global régional (RCEP) avec des partenaires clés, à savoir la Chine, le Japon, la Corée du Sud, ainsi que l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Le RCEP est le plus grand accord commercial au monde en termes de taille de marché (population) et vise à renforcer l’accès au marché et la coopération économique entre ses membres. Le RCEP peut être considéré comme un moyen de réaliser l’aspiration à faire de cette région un nouveau centre de croissance économique mondiale.

Avancer

Si les perspectives sont prometteuses, l’ASEAN doit faire face à au moins cinq défis majeurs qui nécessitent une attention particulière. Le premier est la disparité économique entre ses pays membres, qui peut entraver les efforts d’intégration. Ce défi ne peut être relevé efficacement que si l’ASEAN, à la fois individuellement et collectivement, parvient à promouvoir une croissance de qualité qui ne laisse aucun pays membre ni aucun segment de la société de côté.

Le deuxième défi est la coordination et l’harmonisation des politiques. La tendance mondiale récente à mettre en œuvre des politiques nationales de résilience économique pourrait inciter les pays de l’ASEAN à introduire de nouvelles réglementations qui pourraient ne pas être conformes aux engagements régionaux pris dans le cadre de l’ASEAN. Historiquement, l’ASEAN a eu tendance à introduire des variantes nationales des accords régionaux. Les différences dans les normes réglementaires et les pratiques commerciales se sont révélées être des obstacles à la promotion de l’intégration économique. Cela peut expliquer pourquoi le commerce intra-ASEAN n’a toujours représenté qu’environ 25 % du total des échanges de l’ASEAN avec le reste du monde.

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Pour mener à bien le processus d’intégration économique dans un contexte de tensions géopolitiques et géoéconomiques, l’ASEAN doit adopter une stratégie à multiples facettes mettant l’accent sur la résilience, la diversification, la coopération et les ajustements stratégiques. Plusieurs approches clés doivent être suivies pour garantir que l’ASEAN reste unie, pertinente et résiliente face aux divers défis contemporains et futurs. À cette fin, l’ASEAN doit renforcer le commerce et les investissements intra-ASEAN en améliorant continuellement les chaînes d’approvisionnement existantes au sein de l’ASEAN et en promouvant la complémentarité industrielle entre les pays membres afin de réduire la dépendance à l’égard des marchés extérieurs à l’ASEAN. Les efforts dans cette direction doivent être soutenus par une simplification accrue des procédures douanières et une réduction des barrières non tarifaires afin de stimuler le commerce intra-ASEAN. La mise en œuvre effective du guichet unique de l’ASEAN et l’harmonisation des normes pourraient être des étapes cruciales dans cette direction.

La mise en œuvre de l’accord RCEP peut encourager l’ASEAN à renforcer la coordination et l’harmonisation des politiques si elle souhaite tirer des avantages proportionnels du RCEP, et pas seulement pour ses partenaires non membres. Les efforts dans ce sens pourraient inclure l’harmonisation des politiques d’investissement, des normes du travail et des normes environnementales au niveau de l’ASEAN. En outre, l’élaboration de mécanismes clairs de réponse aux crises économiques et financières peut aider l’ASEAN à répondre efficacement aux futurs chocs externes, par exemple en renforçant le Bureau de recherche macroéconomique ASEAN+3 (AMRO) et l’Initiative de multilatéralisation de Chiang Mai (CMIM).

Parallèlement, l’ASEAN doit continuer à explorer et à approfondir le développement des échanges commerciaux avec d’autres grandes économies, notamment l’Union européenne, les États-Unis et d’autres marchés émergents. La diversification des partenariats commerciaux peut réduire la vulnérabilité de l’ASEAN aux perturbations sur l’un de ses principaux marchés. Une participation active aux forums commerciaux multilatéraux comme l’OMC peut également aider l’ASEAN à contribuer au renforcement du système commercial mondial fondé sur des règles et à atténuer l’impact du protectionnisme.

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Quatrièmement, l’ASEAN doit accélérer la mise en œuvre du Cadre d’intégration numérique de l’ASEAN pour promouvoir le commerce numérique, le commerce électronique et l’innovation. Cela implique d’investir dans les infrastructures numériques et de promouvoir l’alphabétisation numérique parmi les pays membres. En outre, des initiatives telles que le Réseau des villes intelligentes de l’ASEAN doivent être accélérées pour créer des zones urbaines durables et promouvoir l’innovation technologique afin de positionner l’ASEAN comme un pôle de croissance porté par les avancées technologiques. Parallèlement à cela, l’ASEAN doit également se concentrer sur le développement durable et la croissance verte, qui peuvent renforcer la résilience à long terme de la région. L’ASEAN peut s’appuyer sur des initiatives telles que les normes ASEAN Green Bond pour attirer les investissements dans des projets durables.

Le cinquième et dernier défi consiste à maintenir une approche équilibrée dans ses relations avec les grandes puissances telles que la Chine, les États-Unis et l’Union européenne. Des efforts diplomatiques préparés et exécutés conjointement pour empêcher l’ASEAN de se retrouver entraînée dans un camp géopolitique unique contribueront à maintenir la pertinence stratégique de l’ASEAN dans la région et dans le monde. Cela implique une prise de décision collective pour défendre des positions communes dans les négociations internationales.

La capacité de l’ASEAN à faire avancer son programme d’intégration économique dans un contexte de tensions mondiales dépendra en grande partie de sa capacité à renforcer les liens intrarégionaux, à diversifier les partenariats avec d’autres pays, à mettre en œuvre la transformation numérique, à renforcer la résilience économique régionale, à coordonner et harmoniser les politiques nationales et régionales et à mener une diplomatie proactive. Tout cela nécessite un leadership fort au sein de l’ASEAN, et en tant que masse critique au sein de l’ASEAN, il est raisonnable d’espérer que l’Indonésie jouera à nouveau son rôle clé pour mener l’ASEAN au niveau supérieur.


Iman Pambagyo est une ancienne directrice générale des négociations commerciales et ambassadrice indonésienne en charge de l’OMC.

Mots clés :

2024-08-05 04:32:00
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