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RÉTRO Paris-Brest-Paris. La géniale ruse de Terront en 1891

RÉTRO Paris-Brest-Paris. La géniale ruse de Terront en 1891

Cet article a été originellement publié le jeudi 6 septembre 1951

Paris-Brest et retour fut la première grande épreuve internationale de coureurs professionnels. Elle suivait à quelques mois d’intervalle le premier Bordeaux – Paris disputé uniquement par des amateurs et gagné originellement par les Anglais Mills (1er) et Hollœin (2e).

Notre compatriote. le Bordelais Jiel-Laval, avait fini cinquième. Dans sa comparaison entre les deux épreuves doyennes de 1891, notre confrère Maurice Martin, qui avait organisé la première, a écrit fort judicieusement à l’époque que Bordeaux-Paris, fut la sonnerie de clairon qui sonna la charge de Paris-Brest contre l’ennemi, lequel n’était autre que le préjugé de la foule contre la locomotion nouvelle.

Paris-Brest devait réunir à son départ, sur 300 engagés environ, 211 partants qui présentèrent leur machine aux opérations du poinçonnage : 205 bicyclettes, 4 tricycles et 2 bicycles. Les engagements de sept femmes avaient été refusés. Cinq concurrents ayant fait plomber leur monture ne se présentèrent pas au départ le dimanche 6 septembre : parmi eux, Émile Lamberjack, le frère aîné de Dominique, mon fidèle équipier de la triplette tricolore, mort il y a trois ans ! Le premier prix de cette course monstre ? 2 000 francs…

Dubois grand favori

Jules Dubois partait grand favori, précédant à la cote des paris Jiel-Laval, Charles Terront et Coullibeuf. La distance n’avait pas l’air d’effrayer leurs adversaires outre mesure. L’épreuve, d’une dureté inconnue jusqu’à ce jour. avait été conçue et organisée par Pierre Giffard (alias Jean Sans Terre), rédacteur en chef du Petit Journal », le quotidien de l’époque le plus répandu dans la France entière et qui s’enorgueillissait d’une clientèle de 950 000 lecteurs !

Pierre Giffard fut, en outre, le créateur de Paris-Belfort pédestre enlevé par Ramoge. puis organisateur de la première course d’automobiles entre Paris et Rouen. On lui doit aussi le premier Criterium de Natation disputé en France. Sa campagne populaire en faveur des petits trous pas chers est encore à la mémoire des survivants du siècle dernier.

Un règlement draconien

Le parcours de Paris-Brest avait été sérieusement étudié et particulièrement apprécié des lecteurs du journal organisateur. Il devait suivre l’itinéraire suivant : Versailles, Dreux, Mortagne, Alençon, Mayenne, Laval, Vitré, Rennes, Lamballe, Saint-Brieuc, Morlaix, Guingamp, Landerneau et Brest.

Retour par les mêmes chemins. Le règlement était sévère : Machines plombées ! Pas de roue libre, bien entendu ! La majorité des roues étaient garnies de caoutchouc creux. Quelques favorisés employaient des pneumatiques dont l’apparition en France ne datait que de quelques mois. mais dont on avait déjà pu louer les bienfaits dans Bordeaux – Paris couru précédemment.

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Le départ se trouvait fixe au premier dimanche de septembre. Appel devant le « Petit Journal », rue La Fayette. Défilé dans Paris jusqu’au Bois de Boulogne où le starter, le facteur Thomas, président de l’Union Vélocipédique de France, accouru spécialement d’Agen, donna l’envolée au peloton multicolore à 6 h 55 du matin.

L’épopée de Terront

Charles Terront, porteur du brassard nº5, démarrait sec tandis que ses plus redoutables adversaires, tout à fait en arrière, étaient gênés par la cohue de néophytes qui se croyaient cependant des chances d’arriver en premier à Brest, entraînée supérieurement par des coureurs de vitesse, entre autres par Antony.

Charles Terront activait le plus possible car il lui semblait prudent de conserver et même d’augmenter l’avance qu’il avait prise dans les premiers kilomètres sur des routes qu’il fréquentait journellement en raison de ses fonctions de porteur de dépêches à l’Agence Havas.

Avant Dreux, le chemin de fer borde assez longtemps la route : un train de Paris arriva et côtoya durant quelques minutes Charles Terront et ses entraîneurs. Des mouchoirs s’accrochèrent aux portières. C’étaient Pierre Giffard, le docteur Thomas et quelques journalistes accrédités pour cuivre la course officiellement. À cette époque, il n’était pas question bien entendu d’utiliser l’automobile pour ce genre de reportage. Signature à Dreux à 9 h 56. Il fallut donc 3 heures pour venir de Paris (moyenne 28 km/h).

De nouveaux entraîneurs venus d’Angers emmenèrent Terront jusqu’à Mortagne où la foule était tellement dense que l’on craignit un instant que Terront ne perdît son avance. Il n’en fut rien. Dans le sillage de René de Kryff, universellement connu de nos jours comme l’un des plus nobles sportsmen des générations contemporaines, Terront reprit sa course folle. Ses concurrents se trouvaient éloignés. Mais il avait une telle peur de crever ses pneus qu’il lui semblait qu’en marchant très vite, il tardait d’autant l’instant fatal. René de Kryff se vit force de quitter Terront à Alençon, laissant notre leader continuer sa route derrière des cyclistes de la région.

40 minutes pour réparer

Avant d’atteindre Laval, à Louverné. Terront sentit sa machine s’affaisser. Sa roue arrière venait de percer et l’on en retira un long clou tout neuf. Une réparation sur place paraissait bien aléatoire. Terront décida de rouler sur la jante jusqu’à Laval.

Au contrôle encombré par une foule énorme, Terront se trouve en face du directeur de la marque Humber, son patron, accompagné d’un ouvrier de la maison Michelin. Heureusement ! En 40 minutes, l’opération fut effectuée…

Mais Jiel-Laval faisait son apparition qui montait une bicyclette Clement, pneus Dunlop. Jiel-Laval signa la feuille de contrôle et repartit, laissant son rival assis, décontenancé, furieux même d’attendre encore la fin de la réparation. N’oublions pas que le pneu Michelin était bien démontable mais qu’il fallait un bon moment pour le débarrasser des tringles et de plusieurs écrous qui le maintenaient sur la jante. Tandis que Jiel-Laval possédait un système moins compliqué : le Dunlop était muni d’une tringle circulaire également, mais terminée par un seul écrou.

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Nocturnes dialoguées

Terront s’enfonça dans la nuit complète derrière deux bons entraîneurs : Tissier et Laine (de Laval). Il rejoignit son opposant à Vitré. Quelques fanatiques demeuraient au contrôle ; le reste de la ville dormait.

Derrière leurs entraîneurs, les deux rivaux roulent côte à côte, sans rien dire. Jiel semble harassé de fatigue. Où coucheras-tu ? » lui demande Terront soudainement. Je ne sais pas répond Jiel. O ù ils me feront coucher ! ». Jusqu’à Rennes, les deux leaders ne se quittèrent pas. Là, Jiel s’arrêta pour se reposer quelques instants.

Terront en profita pour filer dans le sillage de Gaëtan de Kryft, cousin de René. Il était 2 h. 15 du matin et le contrôleur de Montauban-de-Bretagne dormait dans son lit ! Terront attendra un quart d’heure pour signer. Jiel, qu’entraînaient Charron, Rollet et Harmonic (de Saint-Brieuc), le rejoint.

Jiel premier à Brest

Terront creva une nouvelle fois. Un télégraphiste et un ouvrier qui passaient le secoururent. Terront constata avec plaisir, non sans amertume, que les deux nouveaux venus travaillaient beaucoup plus adroitement que le spécialiste de Michelin.

Jiel-Laval a profité de l’aubaine pour traverser Guingamp et Morlaix à toute allure. Il arriva à Brest le premier. Ayant viré et pris quelques minutes de repos, Jiel reprit la direction de Paris Il croisa Terront. Ce dernier roulait dans un complet état d’exaspération : son retard était de 40 minutes. Il descendit à Brest au milieu d’une cohue invraisemblable. Comme Jiel, il but du bouillon, avala une poire et repartit après un arrêt de cinq minutes Il ne semblait pas fatigué.

La ruse de Terront pour passer incognito

Jiel-Laval mit 33 heures pour parcourir Paris-Brest. Un match poursuite s’engagea donc à mi-course. À Guingamp, vers deux heures, Terront apprenait que Jiel, très fatigué, venait de se coucher dans un hôtel auprès du contrôle.

À fond de train, Terront s’élançait dans les ténèbres. À 3 h 35, il atteignait Saint-Brieuc. Terront savait que Civry, le manager de Jiel, était à Lamballe. Le chemin indiqué sur la carte était dans Lamballe, en face de la gare, sur le macadam. Terront connaissait fort bien la ville pour y être venu souvent pendant son service militaire.

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Il recommanda à ses entraîneurs de passer droit dans le pays, sur les gros pavés afin d’éviter un café où il avait tout lieu de croire que se tenait Civry. Cette manœuvre explique qu’au moment où Jiel-Laval allait reprendre la route, Civry se soit écrié : Terront ? Il doit être couché, puisqu’il n’est pas passé ici ! ».

Or Terront était bien passé, mais non sous ses yeux ! Celui-ci continua son train endiablé, passant à Montauban-de-Bretagne 7 h 45 du matin. Rennes, Vitré, Laval furent traversés sans incident. Alençon fut atteint a 19 h 10. C’est là que Terront apprit avec certitude que Jiel-Laval était resté couché trois heures à Guingamp. Telle était alors son avance que la course paraissait dès lors à sa merci.

Le triomphe de Terront

Quand Charles Terront, triomphant alors de toutes les difficultés de la course, approcha de Paris, malgré l’heure matinale, ce fut un spectacle invraisemblable. Le boulevard Maillot était noir de monde. Sur la chaussée, les cyclistes arrivaient de Paris, en groupes compacts et se rendaient à la rencontre du triomphateur, prévue pour les premières heures de la matinée.

Le soleil perçait déjà de ses rayons dorés la majestueuse parure verte de la porte Maillot lorsqu’apparut dans un nuage de poussière et entouré d’une centaine de cyclistes le vainqueur du premier Paris-Brest et retour…

Il était 6 h 30, et 71 h 22 durant avait été sur sa machine le glorieux eux Charles Terront. Porté en triomphe jusqu’à la table du contrôle, il souffla quelques instants puis, dans une chambre. il s’endormit pour quelques heures. Il entendit soudain de nouvelles clameurs. Jiel-Laval arrivait et demanda à voir son vainqueur.

Après qu’il m’eut serré la main, déclara Terront, je le félicitais de tout mon cœur pour son courage, ce loyal adversaire et ce parfait sportsman. Il se retira pour me laisser dormir, mais je ne le puis. J’étais trop énervé ». Dix-huit banquets successifs furent offerts à Terront à la suite de sa grande victoire qui lui valut une popularité que seuls Zimmerman et Jacquelin égalèrent peut-être par la suite, pendant quelques lustres tout au moins.

En fin de compte, seuls cent concurrents terminèrent dans les délais.

Ce texte a été extrait des archives de Ouest-France avec l’aide technologique de Tekliastart-up lauréate d’off7l’accélérateur du groupe Ouest-France.

2023-07-31 15:27:45
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