Pour le Professeur Edouard Louis, un tel scénario pourrait devenir réalité dans “cinq à dix ans” en Wallonie. Cette technique viendrait certes “révolutionner” les soins de santé tels qu’ils sont pratiqués actuellement, mais les études qui cherchent à les concrétiser sont déjà bien avancées dans certains pays comme le Royaume-Uni et la Lithuanie. Alors que des initiatives similaires sont lancées en Flandre, Edouard Louis et ses collègues de l’ULiège viennent de débuter une première recherche en Wallonie visant à rendre à terme applicable dans le sud du pays ce que l’on appelle les “scores de risque polygénique”. De quoi s’agit-il exactement ?
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Des analyses de risques
Concrètement, ces scores sont établis à partir des gènes d’un individu et des éventuelles mutations présentes. En comparant les scores d’un patient à ceux d’autres personnes génétiquement différentes, il est possible d’évaluer le risque de survenue de certaines maladies dites “communes complexes” (pathologies cardiovasculaires, neurologiques, inflammatoire, rhumatologique, cancers…) chez ce patient particulier. “Le fait qu’il y ait une association entre des combinaisons génétiques et ces maladies communes complexes, c’est une évidence”affirme le Dr Louis. Celle-ci fait aujourd’hui consensus au sein de la communauté scientifique.
Des scores de risque polygénique (SRP) de plus de 80 maladies existent déjà pour la population britannique. Le projet liégeois aura pour objectif d’adapter (ou recalibrer) ces scores à la population wallonne.
Dix mille patients, parmi ceux fréquentant le CHU de Liège, sont actuellement recrutés dans ce but. “Par exemple, pour une maladie comme le cancer du sein, on a besoin d’environ 250 à 300 patients qui auront développé cette maladie et autant qui ne l’auront pas développéedétaille la Dr Sophie Vieujean, coordinatrice clinique du projet. Chez les gens qui ont développé la maladie, on va réajuster les données génétiques en se basant sur ce qui existe dans d’autres bases de données disponibles comme l’UK Biobank au Royaume-Uni. On va regarder comment les variations génétiques favorisant le risque du cancer du sein sont différentes chez nous par rapport à là-bas. Et donc, on va pouvoir identifier pour chaque patient, en fonction de ses variantes propres, le risque qu’il a de développer le cancer.”
Le CHU a acheté des puces spécifiques qui permettent d’analyser environ 2 millions de variants, à partir desquels on peut avoir une idée globale du génome. Réaliser avec ces puces un génotypage (détecter les variations dans un génome) coûte 90 euros auquel s’ajoute le prélèvement de l’ADN (sang ou salive) du participant. Les initiateurs du projet espèrent à terme s’étendre pour intégrer de plus grands groupes de patients (100 000 voire 500 000) afin de réaliser leurs “propres” scores de risques polygéniques pour d’autres maladies pour lesquelles il n’existe pas encore de SRP. Leur souhait est aussi que l’outil soit utilisé à large échelle pour les patients chez nous.
Améliorer le dépistage
“Notre idée, c’est de nous demander comment on peut utiliser cette stratification du risque via le SRP pour améliorer demain notre stratégie de dépistage et de prévention. Car chez nous, le dépistage ne marche pas toujourscadre le Pr Louis. Une des raisons est que ce ne sont pas les bonnes personnes qui se font dépister, ce ne sont pas les personnes qui ont les plus hauts risques pour des raisons sociales, de mode de vie ou de par leur génétique qu’elles ignorent… Si on peut arriver à stratifier la population en termes de risque, on pourra cibler des mesures d’éducation, d’information personnalisée auprès de ces personnes peut-être à plus risque. Pour les convaincre ou les aider à prendre des décisions appropriées en termes de dépistage ou d’application de mesures préventives pour certaines pathologies.”
Pour l’initiateur de ce projet baptisé “Ensemble”, les grands obstacles à cette ambition ne sont ni scientifique ni technique, mais bien éthique et social. Car les questions que suscite l’utilisation des scores polygéniques à large échelle dans une politique de santé publique apparaissent innombrables. Le projet doit donc faire surgir ces questions et essayer d’y répondre, mais aussi analyser l’acceptabilité des SRP par la population.
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Des enjeux éthiques et juridiques
Parmi ces questions éthiques : à quel âge faire passer le test ; devrait-il être obligatoire (on peut imaginer que certains régimes plus autoritaires en passent par là, avec des dépistages aussi obligatoires…) ; les patients pourraient-ils laisser au médecin seul le soin de connaître les résultats… Mais aussi : comment exprimer le risque : en chiffres (deux fois plus de risque, par exemple) ou en mots (“accru” )… Les autorités publiques auront-elles la volonté et les moyens de mettre en place les mesures de prévention devant résulter de la prise de connaissance d’un score ? L’aspect de la sécurité des données sera aussi crucial, de même que les implications juridiques : qui pourra faire quoi avec ces données ?
En pratique, on pourrait en tout cas faire cette prise de sang à n’importe quel âge, imagine le Pr Louis. “Car le génome est en place dès la naissance et pour toute la vie. Le génotypage pourrait être conservé en sécurité dans le dossier du malade, uniquement à la disposition du patient s’il le souhaite et du médecin. Cette unique prise de sang pourrait être utilisée pour toutes les pathologies pour lesquelles ils existent un PRS et donc une stratégie de traitement et de prévention.” Le moment opportun pour connaître les résultats varierait selon la maladie. “Si elle se déclare en général à 30 ans, ça ne sert à rien de faire le test à 15 ans et d’aller embêter des patients et de les stresser…”
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2024-03-29 11:33:00