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Revue de Cornelius Castoriadis, Contre l’économie. Écrits 1949-1997 – mondoperaio

Revue de Cornelius Castoriadis, Contre l’économie.  Écrits 1949-1997 – mondoperaio

2022-05-19 13:55:04

Philosophe officiel, révolutionnaire, politique : c’est – avec bénéfice d’inventaire – le récit de la vie intellectuelle de Cornelius Castoriadis, dont certaines des œuvres majeures sont aujourd’hui accessibles au lecteur italien grâce au recueil d’essais intitulé « Contre l’économie. Écrits 1949-1997″, édité et traduit par Raffaele Alberto Ventura et publié par Luiss University Press.

Tout d’abord, qui était Castoriadis ? Embauché comme économiste à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) en 1948 – alors qu’il s’agissait encore de l’OECE, Organisation européenne de coopération économique – il y mènera une brillante carrière qui lui prendra plus de vingt ans pour devenir directeur de l’Organisation européenne de coopération et de développement économiques. Direction des études sur la croissance, les statistiques et les comptes nationaux.

À ce titre, il est l’auteur de l’une des études les plus importantes menées par l’Organisation au cours de ces années, à savoir le rapport de l’OCDE de 1970 (La croissance de la production, 1960-1980 : rétrospective, perspectives et problèmes de politique). Le contenu du document représente à lui seul une précieuse opportunité pour encadrer le travail du chercheur français ; en laissant parler l’OCDE, Castoriadis expose en effet un point fixe de son analyse, à savoir que l’objectif de croissance économique – en tant qu’aspiration transversale et impérissable de la politique au niveau mondial – lorsqu’il est poursuivi sans considérer les coûts sociaux relatifs représente un élément de mystification de l’action politique, qui sera amenée à sous-estimer le fait que, même dans un contexte de croissance économique appuyée par l’évidence des indicateurs, « les fruits de la croissance sont distribués [comunque, ndr] inégalement : certaines activités, certaines régions sont en régression ; certains groupes sociaux souffrent de pauvreté et de problèmes persistants et croissants. […] Le processus de croissance lui-même engendre des effets secondaires qui peuvent être indésirables, voire néfastes, sur le plan social, comme notamment la surpopulation ou au contraire la vidange des centres urbains, et la pollution de l’environnement. […] La capacité des processus de croissance économique à satisfaire les besoins et les aspirations de la société dans son ensemble ne dépendra pas uniquement du rythme auquel les capacités productives se développent ; il faudra également tenir compte du fait que les aspirations grandissent avec l’augmentation de la prospérité. Il s’ensuit que les dilemmes liés aux choix sociaux collectifs risquent de s’aggraver à mesure que le niveau des revenus augmente. »1.

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Or, le fait qu’un rapport de l’OCDE exprime ces perplexités et ces besoins pourrait surprendre le lecteur, ne serait-ce que par la nature même de l’organisation et le contexte de culture économique dont elle pouvait être considérée comme proche, du moins dans ces années-là. La surprise trouve cependant sa pleine justification si, en décrivant la figure intellectuelle de l’auteur du rapport – à savoir Castoriadis – on explicite un autre fait biographique : celui-ci, en effet, s’étant distancié du Parti communiste français, avait en 1948 créé – avec Claude Lefort – le groupe qui constituerait le noyau fondateur de la revue historique Socialisme ou barbarieoù, publication brochure anonyme, aurait développé et défini sa propre figure de militant politique, passant de la critique du marxisme à son dépassement, parvenant – et c’est sa particularité – à maintenir ensemble la tension d’un projet politique radical aux racines profondes de l’Europe libéralisme, comme en témoigne sa dure accusation contre la barbarie du socialisme réel.

Ce qui vient d’être révélé nous montre l’autre visage – ou l’autre vie – de Castoriadis ; comme l’observe Ventura dans l’excellente introduction de l’anthologie : «[a]Au cœur d’une bureaucratie massive, un responsable critique la bureaucratie. Exécuteur du plan Marshall, il en dénonce l’absurdité. Ennemi du capitalisme, il le conseille, l’analyse, le planifie. Dans le temple de la croissance, il déconstruit l’idéologie de la croissance. Mais cette contradiction est aussi, évidemment, la raison de l’originalité de Castoriadis : non seulement un philosophe qui sait de quoi il parle lorsqu’il parle d’économie, mais aussi un économiste capable de penser la société dans ses aspects historiques, symboliques et de valeurs. totalité fondée. ».

Relire Castoriadis aujourd’hui représente donc l’occasion de retracer la vie intellectuelle de l’un des penseurs les plus originaux du XXe siècle, une vie où l’idée et la pratique – bien que dans une apparente contradiction – étaient liées par la tension vers la libération de l’individu et vers son autonomie progressive, qui n’a jamais été comprise comme liberté absolue de, mais plutôt comme une condition essentielle d’un sujet social complet et responsable, c’est-à-dire capable de s’autodéterminer dans sa communauté de référence dans le respect des règles de la communauté elle-même. L’ouverture de l’un des essais contenus dans le recueil – intitulé « Which West ? » paraît éloquente sur ce point. – avec lequel Castoriadis introduit son analyse des relations entre libéralisme et culture occidentale : «[c]Il a fallu des montagnes de cadavres, des rivières de sang et de larmes, des millions de vies passées en prison. C’est ainsi que sont apparues en Occident les sociétés dites libérales. Les libéraux, non pas grâce aux bouts de papier qui servent de lois et de constitutions, mais parce qu’ils ont appris à donner à ces bouts de papier une importance centrale. »2. Dans cet essai, le caractère intellectuel de Castoriadis est montré avec force, soulignant sa sensibilité particulière en tant qu’économiste et philosophe politique pour savoir prendre en considération le système complexe de faits et de valeurs – ici surgit probablement la leçon wébérienne, dont il était attentif lecteur – qui affectent le développement de la société occidentale, d’autant plus que les valeurs culturelles et politiques du libéralisme se voient confier un rôle fondateur fondamental.

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Bien sûr, Castoriadis ne peut pas être considéré comme un intellectuel organique à la pensée libérale, mais il reconnaît une extrême importance au noyau dur des principes politiques du libéralisme, à commencer par la protection de l’État de droit comme défense d’une certaine culture libérale, sans que «chaque Constitution est simplement suspendue en l’air, comme une tautologie»3.

C’est cette approche qui a probablement fait de lui d’abord un marxiste critique puis un défenseur du marxisme, en vertu de la reconnaissance progressive dans la théorie marxiste d’une erreur fondamentale due à la considération du droit uniquement comme un élément superstructural et à la sous-estimation des relations entre l’État de droit et les conditions de réalisation et de protection des droits de l’homme. Pour Castoriadis, cependant, l’élaboration même du concept d’État de droit est l’expression d’une tradition culturelle de la société occidentale qui doit être valorisée pour deux raisons fondamentales. En premier lieu, et au niveau axiologique, cette culture représente la première condition pour qu’il soit possible de mettre en œuvre le programme politique radical de transformation et de dépassement du capitalisme dans le sens d’une société plus libre et plus égalitaire ; au niveau de la pratique politique, cependant, cette hypothèse révèle un autre problème, comme celui de l’éducation. En ce qui concerne ce dernier front, en effet, Castoriadis note combien la conservation des mécanismes libéraux dans la société dépend nécessairement du fait qu’elle est composée – au moins en majorité – d’individus également libéraux, et que donc, en fin de compte, le La conservation susmentionnée est intimement liée à la problématique de l’éducation et de la formation des citoyens. En effet, Castoriadis reconnaît le problème moderne et contemporain d’une éducation qui a été motivée par les besoins du capitalisme d’améliorer l’acquisition de techniques spécialisées au lieu de viser à se reproduire4 des individus autonomes, au sens particulier d’autonomie qui désigne un individu capable de remettre en question les institutions elles-mêmes, dans un espace de dissidence co-essentiel à la dimension libérale et démocratique : «[c]Capitalisme et autonomie, nous l’avons dit, sont les deux éléments constitutifs de l’institution des sociétés occidentales et de leur crise. Le principal effet de leur interaction, actuellement observable au niveau de l’ensemble de la société et des classes individuelles, est une usure généralisée du tissu social. […]. Sa manifestation la plus flagrante est l’effondrement de l’autoreprésentation de la société. […] ce qui conduit à une désarticulation des comportements de tous les acteurs sociaux – car personne ne sait plus dans quel monde ils se trouvent, ni dans quel monde ils aimeraient être”5.

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Au fonctionnaire révolutionnaire, au marxiste dissident d’Occident – ​​comme le définissait Luigi Covatta6 rappelant la conférence internationale de 1978 organisée à Rome par Mondoperaio sur “Marxisme, léninisme, socialisme”, à laquelle Castoriadis était présent, aux côtés de Flores D’Arcais, Craxi, Cafagna, Coen et Signorile – il faut donc reconnaître, outre la capacité lire avec acuité les conditions de la société moderne, aussi la grande valeur d’avoir su interpréter le rôle de l’intellectuel de manière exemplaire, en ne reconnaissant la dignité que dans la cohérence avec soi-même (comme l’a démontré le douloureux dépassement du marxisme) et jamais dans besoin d’approbation par des « cliques et clans »7 culturel, depuis le début de son activité jusqu’à sa mort en 1997. Aujourd’hui plus que jamais donc, une leçon de méthode pour l’intellectuel contemporain, trop souvent improvisé. C’est pourquoi il faut reconnaître non seulement la valeur de l’œuvre de Castoriadis, actuelle et précieuse pour les raisons que nous avons évoquées, mais aussi le mérite de Ventura d’avoir cultivé l’ambition de remettre en lumière un héritage intellectuel aussi complexe que riche.



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