Roméo Dallaire: 30 ans après le génocide au Rwanda, un cri d’alarme pour l’action internationale

Roméo Dallaire: 30 ans après le génocide au Rwanda, un cri d’alarme pour l’action internationale

OTTAWA | Trente ans après le génocide au Rwanda, le lieutenant-général à la retraite Roméo Dallaire déplore que la communauté internationale ait choisi d’ignorer les leçons du conflit.

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Durant ces 100 jours fatidiques de 1994, 800 000 Tutsis et Hutus modérés ont été massacrés dans ce petit pays d’Afrique de l’Est, dans l’indifférence généralisée des États de la planète.

Pire, le rôle de certains pays occidentaux, comme la France, demeure nébuleux et controversé.

Fermer les yeux

Encore aujourd’hui, la communauté internationale laisse trop souvent s’embraser des conflits en restant sur les lignes de côtés, sans trop se soucier du sort réservé aux civils innocents, de l’Ukraine en passant par Gaza et la Birmanie, note celui qui a dirigé la mission de paix des Casques bleus de l’Organisation des Nations unies (ONU) au Rwanda.

« Je trouve que la communauté internationale est encore plus coupable aujourd’hui qu’elle l’était il y a 30 ans, de son incapacité de trouver le leadership et le courage d’intervenir, de prévenir ou de participer à un conflit », tranche Roméo Dallaire, en entrevue téléphonique.

À 77 ans, le lieutenant-général Dallaire a retrouvé une certaine sérénité, grâce à des années de thérapie. Il a trouvé l’amour de sa vie, s’est remarié et s’est établi face au fleuve près de Kamouraska, dans le Bas-Saint-Laurent.



Photo Marie-Claude Michaud, fournie par Roméo Dallaire

Il offre cette discussion depuis son atelier où il planche sur ses nombreux projets, dont son quatrième livre, qui est paru cette semaine, intitulé La Paix : le voyage d’un guerrier, dont la traduction française est à venir.

Chasser les fantômes du Rwanda et retrouver la paix constitue l’effort d’une vie après avoir vu, impuissant, l’horreur d’aussi près.

L’horreur

Dès le début du génocide, les Nations unies ont retiré l’essentiel de leurs troupes au lieu d’envoyer les renforts que leur demandait M. Dallaire, qui a décidé, lui, de rester avec quelques centaines de Casques bleus et une dizaine d’officiers canadiens.



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Des milliers de Rwandais ont fui le génocide pour se réfugier dans des pays voisins.


Photo d’archives, AFP

Sans le mandat ni les ressources pour faire stopper les massacres, il a tout de même réussi à protéger plus de 30 000 Tutsis.

« Personne n’est venu nous aider, se rappelle-t-il. Il n’y avait pas de pétrole au Rwanda, il n’y avait pas d’intérêt stratégique. L’être humain ne comptait pas. Ils s’en sacraient pas mal. »



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Un réfugié tutsi attend sous la pluie dans un campement sous protection française, à la fin du mois de juin 1994.


Photo d’archives, AFP

À son avis, peu de choses ont changé, c’est pourquoi une certaine « rancœur » persiste en lui, lorsqu’il observe l’état du monde.

« On fait face à des scénarios de génocide encore aujourd’hui, que ce soit en Birmanie ou à Gaza, à des guerres civiles épouvantables, et personne ne veut aider. Ça n’a pas changé. Les êtres humains ne comptent pas dans ça. Ce sont les intérêts de chaque pays qui comptent », se désole-t-il.



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Des victimes soignent des blessures causées par des éclats d’obus et des coups de machette sous une tente de la Croix-Rouge, en mai 1994.


Photo d’archives, AFP

Se souvenir

Tous les cinq ans, Roméo Dallaire se réunit avec la dizaine de ses officiers canadiens envoyés au front durant le génocide. Cette année, la rencontre aura lieu à Québec.

Le général se dit « soucieux » qu’il s’agisse peut-être d’une dernière réunion avec ses compagnons d’armes.

« On perd des troupes », dit Roméo Dallaire, qui précise que le suicide et la maladie causée par le choc post-traumatique a fait des victimes chez ses anciens proches collaborateurs.

« Ce sont les seuls renforts du monde entier qui sont venus m’aider durant le génocide. Ils ont été l’épine dorsale du quartier général », tient-il à rappeler.

Les origines du conflit entre les deux ethnies

Avant la période coloniale, qui a débuté en 1884 sous l’Allemagne, puis la Belgique, les Tutsis, surtout des éleveurs, occupent le haut de l’échelle sociale, même s’ils sont minoritaires, les Hutus étant surtout des paysans.

Les conflits ethniques ont débuté à la fin des années 1950, lors de la décolonisation. Les Hutus souhaitaient chasser les Tutsis de leur position socialement favorable. Les tensions se sont exacerbées après l’obtention de l’indépendance du pays, en 1962. Des centaines de milliers de Tutsis se sont réfugiés dans les pays voisins pour fuir les violences.

Dans les années 1980, ces réfugiés réclamaient de revenir chez eux au Rwanda, mais le président Juvénal Habyarimana a refusé. Au début des années 1990, le Front patriotique rwandais (FPR), créé en 1988 par les réfugiés tutsis, a lancé des attaques.

Haine et propagande

S’est ensuivie une opération de propagande haineuse lancée contre tous les Tutsis du Rwanda, que le gouvernement accusait d’être complices du FPR.

En 1993, un fragile accord de paix a été signé, mais pendant ce temps, des extrémistes hutus préparaient une campagne d’extermination des Tutsis et des Hutus modérés.

Quand l’avion transportant le président du Rwanda a été abattu par un tir de roquette, le 6 avril 1994, ce fut le début du génocide.

Source : ONU

Le Canada, un grand parleur…

La présence du Canada dans les missions de paix de l’ONU a été réduite à peaux de chagrin dans les dernières décennies.

À l’heure actuelle, il est le 69e pays contributeur, avec seulement 47 membres déployés, selon les données de l’ONU, sur plus de 75 000 personnes.

Cette faible participation de nos Casques bleus désole le lieutenant-général à la retraite Roméo Dallaire, qui assure que la réputation internationale du pays en a pris pour son rhume.

Émasculé

« Tout ce que j’entends du Canada, de tout le monde, c’est : “Ah oui, le Canada, de grands parleurs, mais des petits faiseurs”.

« Les gens ne se gênent pas de me le dire. On est rendu quasiment à un niveau d’insignifiance », insiste-t-il.

Le gouvernement Trudeau avait pourtant promis de renouer avec les missions de paix, après les années Harper, durant lesquelles le corps diplomatique a été « émasculé », selon Roméo Dallaire.

« Nous n’avons plus de sens d’initiative. Nous sommes réticents à prendre des risques. »

Cent jours de massacre

6 avril 1994
L’avion du président Juvénal Habyarimana, un Hutu, est abattu.

7 avril
Les premières tueries de Tutsis à la machette débutent dans la capitale, Kigali. Elles s’étendent rapidement à tout le pays avec les milices d’extrémistes hutus, qui entraînent une partie de la population avec elles.

10 avril
Le Front patriotique rwandais tutsi réplique avec une offensive vers Kigali.

9 au 16 avril
Les Occidentaux évacuent le pays.

21 avril
L’ONU réduit la présence de ses Casques bleus de 2600 à 270 hommes.
Dès la fin mai, la majorité des massacres sont déjà commis.

4 juillet
Le Front patriotique rwandais prend la capitale et renverse le régime génocidaire en place.

17 juillet 1994
Fin du conflit. Selon l’ONU, 800 000 personnes ont été tuées. Deux millions de Hutus ont aussi fui le pays pendant ce mois.

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