Sani Ladan, écrivain : « Vous êtes présenté comme un immigré dans des espaces où d’autres personnes sont présentées en raison de leur profession » | future planète

Sani Ladan, écrivain : « Vous êtes présenté comme un immigré dans des espaces où d’autres personnes sont présentées en raison de leur profession » |  future planète

2023-05-12 06:30:00

Sani Ladan (Douala, Cameroun, 1995) est une carte ouverte dans laquelle on peut lire les nombreux chemins qui traversent sa vie. La première est physique, pleine de douleur et d’injustice. Celui qu’il a voyagé lorsqu’il a quitté la maison quand il était enfant, afin de poursuivre ses études. Celle-ci se termine à Ceuta, où il est entré, déjà adolescent, traîné par l’eau lorsqu’il a perdu connaissance après avoir été frappé à coups de matraque par un garde civil qui voulait lui interdire l’accès. Puis il a continué à travers le Centre d’internement des étrangers (CIE) de Tarifa, les rues de Cordoue, l’institut et l’université où il a obtenu son diplôme en relations internationales.

Tout cela et plus compte dans La lune est en Duala et mon destin en connaissance (Plaza Janés, 2023). Mais Ladan, aujourd’hui militant antiraciste et chercheur à l’université, ne s’attarde pas sur les détails, il existe déjà d’autres livres qui les approfondissent. Il s’appuie sur l’excuse du voyage pour se plonger dans les autres routes qui ont jalonné son parcours migratoire : celle de la prise de conscience qui l’a conduit au militantisme, celle du savoir ou celle de la spiritualité, entre autres.

DEMANDER. Vous êtes un militant antiraciste et pour la défense des droits de l’homme bien connu. Il a consacré près de 10 ans à sensibiliser et à travailler étroitement avec la réalité de la migration à la frontière sud de l’Europe. Comment êtes-vous arrivé là?

RÉPONDRE. Je ne sais pas si je suis un militant ou non parce que ce n’était pas prémédité. Mon propre processus vital m’a fait voir ce qu’il y a. Vivre en Europe, voir comment les Noirs sont traités, quelque chose devait faire. D’abord pour moi — parce qu’on commence toujours comme ça, en regardant vers l’intérieur — mais ensuite envers mes pairs. Quand je vais à Ceuta, je garde des épisodes avec des sentiments doux-amers. Chaque fois que je vois la clôture, la frontière, qu’il y a des arrivées ou qu’il y a des nouvelles sur la migration, ça me remplit d’impuissance. Mais cette impuissance ne peut pas rester ainsi. Même en sachant que nous faisons face à des forces assez puissantes, nous devons faire quelque chose.

P Comment s’est passé le processus de sensibilisation ?

R Il y avait un livre Discours sur le colonialisme, d’Aimé Césaire, qui a été révolutionnaire pour moi. Je l’ai lu quand j’avais 12 ou 13 ans, en duala. Il a cassé beaucoup de choses pour moi ; cependant, à l’époque, je ne l’ai pas compris. Puis, chemin faisant, j’ai commencé à prendre conscience, à mettre des mots sur les injustices. J’ai relu le livre quand je suis arrivé en Espagne et c’était comme si j’avais vécu avec un mur devant moi qui s’est soudainement effondré. Aussi le livre de Jean Ziegler Les nouveaux maîtres du monde. Ces deux livres étaient comme un appel constant à l’action, un « ça ne peut pas être ». Et je me souviens toujours de cette phrase de Césaire sur l’Holocauste, qui disait que ce qu’on reproche à Hitler, ce n’est pas le fait d’avoir commis un génocide, mais de l’avoir fait au cœur de l’Europe envers les Blancs. C’est la phrase qui a mis à nu la hiérarchie raciale pour moi. Ma prise de conscience a évolué à travers la lecture, les documentaires ou les discours des révolutionnaires africains du temps des indépendances.

Mon père disait que la connaissance, où qu’elle soit, il faut aller la chercher.

P Dans son processus d’immigration, il a trouvé beaucoup de mauvaises personnes, mais beaucoup plus de bonnes personnes qui l’ont aidé. Était chanceux?

R Le sort des migrants ne doit pas dépendre de la chance. Il m’est difficile de comprendre que pour obtenir quelque chose qui est censé être un droit, mon destin doit être soumis à la chance ou à quelqu’un qui se présente. Parce que s’il n’apparaît pas, le système met des obstacles que nous devons éviter. Une chose très compliquée. C’est pourquoi nous ne pouvons pas le faire seuls, et nous avons besoin de quelqu’un pour nous donner un coup de pouce pour aller de l’avant.

P Vous avez entrepris de poursuivre vos études, d’où vous est venue cette obsession du savoir ?

R J’ai grandi dans une famille où mes parents ont donné beaucoup – et je dirais même trop – de poids à l’entraînement. J’ai étudié les études islamiques, étant musulman, mais aussi l’éducation réglementée. Mes parents nous ont toujours montré la valeur de la formation, avant tout pour l’indépendance intellectuelle qu’elle procure. Je me souviens que mon père, quand il nous envoyait à l’école catholique et que nous rentrions à la maison et que nous lui disions que nous récitions le Notre Père ou l’Ave Maria, il nous demandait : « Comment voyez-vous cela ? Pour nous, c’était un choc, étant d’une famille musulmane, mais il a dit que c’était nécessaire.

P Leur père est imam et il les a envoyés dans une école catholique, quelle ouverture d’esprit.

R Mon père disait que la connaissance, où qu’elle soit, il faut aller la chercher. Quand il m’a reproché de partir — et il continue de le faire à chaque fois que le sujet revient — je le lui ai répété.

Par élitisme, avoir un titre fait écouter. Mais, même après avoir traversé l’académie, à plusieurs reprises, pour le simple fait d’être une personne noire, votre discours n’est pas considéré comme valable.

P Que signifie pour vous l’obtention d’un diplôme universitaire ?

R Un sentiment de satisfaction. J’allais vers quelque chose et je l’ai réalisé, ou je le réalise, car je n’ai toujours pas satisfait ma soif de savoir. L’académie est un milieu par lequel je suis passé et je passe — parce que je suis toujours dans le monde de la recherche —, mais je dois le faire consciemment. Sachant que ce n’est pas une fin, que c’est un moyen pour pouvoir atteindre certaines choses.

P Lequel est-ce?

R Parfois, par élitisme, avoir un titre les fait vous écouter. Mais, même après être passé par l’académie, plusieurs fois pour le simple fait d’être une personne noire ou africaine, votre discours n’est pas considéré comme valable. Ils continuent de vous réduire. Ils vous présentent comme un immigré dans des espaces où d’autres personnes sont présentées par leur profession.

P Bien qu’il soit né dans une famille musulmane et ait fréquenté une école coranique, lorsqu’il a quitté la maison, il n’était pas croyant. Maintenant oui, la spiritualité est fondamentale dans votre vie, à quoi est dû ce changement ?

R Avec mon processus migratoire, j’ai développé une approche plus consciente de la partie spirituelle. Parfois, je ne me l’explique pas. Je me dis que j’ai vécu des moments difficiles où je n’avais rien à quoi me raccrocher, et la spiritualité a été comme mon salut. Mais, d’un autre côté, je pense que si c’était uniquement à cause du processus d’immigration, en arrivant ici, je l’aurais abandonné. Renouer avec elle ou l’embrasser à nouveau, mais avec plus de conscience, m’a fait voir qu’on ne peut pas contraindre quelqu’un sur le chemin de la spiritualité et c’est une erreur que commettent de nombreux parents, de nombreux prêtres, de nombreux imams.

Je ne me vois pas en Espagne dans le futur. Je dois retourner en Afrique car c’est là qu’il faut faire quelque chose et je ne veux pas être en retard.

P Comment est votre spiritualité ?

R Je comprends la spiritualité à partir de la conscience et aussi loin du fanatisme, car je suis un croyant, une personne avec un chemin spirituel ; cependant, je ne cesse d’être critique envers les religions. Si nous ne sommes pas des critiques, nous sommes des fans. Je critique les dommages que les religions ont causés aux spiritualités africaines elles-mêmes. On nous dit depuis longtemps qu’ils sont impies, que nous devons nous en éloigner. Je sais que l’islam a fait du mal dans ce sens, ainsi que la religion chrétienne en Afrique. Je ne peux pas m’empêcher de critiquer les religions monothéistes. Maintenant, j’essaie de trouver un équilibre entre cette spiritualité africaine, la considérant comme née de nos essences, et le fait d’être musulman.

P Comment voyez-vous l’avenir ?

R J’ai quitté ma maison en raison d’une soif de connaissances, que je n’ai pas satisfaite, je ne vais pas m’arrêter. Cela signifie que je suis en Espagne aujourd’hui, mais je ne me vois pas ici à l’avenir. Je continuerai avec mon regard toujours tourné vers l’Afrique. Je dois y retourner car c’est là qu’il faut faire quelque chose et je ne veux pas être en retard. Je ne dis pas le Cameroun, car c’est une construction complètement étrangère : j’ai une perspective plus large, plus panafricaine, et ça pourrait être n’importe où ailleurs. Un endroit où je sais ce que je vais apporter et où je suis nécessaire. De par ma formation, j’aime beaucoup la diplomatie. Pas celui du bureau, mais celui du terrain. Je ressens un profond besoin de contribuer de quelque manière que ce soit à la réforme de l’Union africaine afin qu’elle soit une véritable institution africaine et non une courroie de transmission des ordres de l’Occident.

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