Sarali Gintsburg : Manifestations en France : une haine qui dure depuis 30 ans

Sarali Gintsburg : Manifestations en France : une haine qui dure depuis 30 ans

2023-07-06 10:20:02

La France est en crise depuis près d’une semaine après la mort d’un Français d’origine algérienne de 17 ans, Nahel Merzouk, abattu par un policier.

Le matin du 27 juin, une patrouille a arrêté une Mercedes pour un contrôle de documents. Les passagers et le conducteur ont refusé de coopérer et ce dernier a appuyé sur l’accélérateur. L’un des deux officiers a tiré et Nahel, assis au volant, a été tué sur le coup. Puis vint le choc. L’incident s’est produit dans la banlieue parisienne défavorisée de Nanterre, qui pendant des décennies a été densément peuplée de citoyens français non natifs.

Les émeutes massives qui ont secoué la France ont contraint le gouvernement de la République à prendre des mesures assez drastiques. Les activités de loisirs ont été supprimées dans les “zones dangereuses” et les transports en commun ont été suspendus la nuit. Des couvre-feux ont également été imposés dans certaines communautés.

On est tenté de comparer ce qui se passe en France avec le mouvement Black Lives Matter. En fait, apparemment, la situation en France est comparable à celle des États-Unis : la police retient un membre d’une minorité ethnique, cette personne désobéit aux forces de l’ordre, ce dernier abuse du pouvoir qui lui a été accordé par l’État et , en conséquence, le représentant de la minorité ethnique décède sur le coup.

Cependant, le cas de la France n’est pas si simple. Contrairement aux États-Unis, la partie la plus “problématique” de sa population vient des pays du Maghreb, ou plus précisément d’Algérie. La France entretient une relation amour-haine de longue date avec ce pays, puisque l’Algérie s’est battue pour l’indépendance contre la colonisation française de 1830 à 1962.

Comment la France a traité l’Algérie

La France, en revanche, n’a jamais traité l’Algérie comme une de ses colonies, mais comme une partie intégrante de la République française. Ou presque, car cette attitude ne s’étendait pas au peuple algérien et à sa culture.

Le mouvement massif d’Algériens vers la France a commencé après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le pays avait besoin de main-d’œuvre pour reconstruire son économie déchirée par la guerre.

Le nombre de Maghrébins a commencé à croître rapidement, tout comme les banlieues ou les zones suburbaines où ils résidaient dans leur ensemble. Cela a donné naissance à la culture distinctive des beurs, un terme français péjoratif pour les personnes nées en Europe dont les parents ou grands-parents sont des immigrés du Maghreb.

Les natifs d’Afrique du Nord furent bientôt rejoints par les natifs d’Afrique sub-saharienne, pour la plupart issus des anciennes colonies françaises. Dans les années 1990, le problème des banlieues a pris des proportions importantes. Mais alors, il était impensable de parler publiquement des problèmes des banlieues et du racisme qui dévorait la société française.

Ce tabou a été brisé par le très jeune réalisateur français Mathieu Kassovitz et son film désormais emblématique El Odio (1995). Le film est basé sur une histoire vraie, celle de Makome M’Bowole, un garçon de dix-sept ans d’origine zaïroise qui avait été abattu par la police deux ans plus tôt.

Le film dépeint la vie de trois jeunes de banlieue : un Juif, un Marocain et un Africain subsaharien, et invite la société française à réfléchir au fait que la haine n’est pas la réponse, mais quelque chose d’intrinsèquement destructeur. “La haine attire la haine”, dit Hubert, un jeune homme d’origine subsaharienne et l’un des principaux protagonistes du film.

Le manque d’intégration

Pendant près de trente ans après le film, le gouvernement français a tenté de remédier à la situation, mais ces tentatives se sont principalement concentrées sur l’investissement dans les infrastructures, et non sur l’intégration des immigrés et de leurs enfants dans la société.

Depuis trois générations, les enfants des banlieues vivent plongés dans une haine qu’ils semblent éprouver pour tout. Au milieu des protestations, Laurent-Franck Liénard, l’avocat du policier qui a tiré sur Nahel, a rappelé que son client, accusé de meurtre, est à la prison de Paris La Santé en attente de jugement. Et il a demandé : “Le policier est en prison, que veulent d’autre les manifestants ?”

Dans le même discours, l’avocat a répondu à sa propre question rhétorique : “Ils ne veulent pas de justice, ils expriment leur colère”.

Derrière, il y a une grande vérité, si l’on regarde les objectifs poursuivis par ceux qui protestent. Ce sont les bâtiments publics qui étaient censés les desservir ainsi que leurs familles, les transports en commun, les écoles, les crèches, les restaurants et les commerces. La gare routière incendiée d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) desservait les mêmes banlieues qui se plaignent toujours de carences.

Il semble que les banlieusards, français de deuxième ou troisième génération, expriment une haine pour tout ce qui est signe de vie « normale » du point de vue traditionnel.

Les émeutiers ne se contentent pas d’exprimer leur colère : ces derniers jours, dans les conférences télévisées et les déclarations du gouvernement, nous avons entendu des expressions telles que « calmer les passions » et « trouver un terrain d’entente ». C’est comme si nous ne parlions pas de membres d’une même société, de citoyens d’un même pays, mais d’une armée étrangère.

De plus, cette armée – ce qui a surpris la police – est composée d’adolescents âgés de 14 à 18 ans, voire plus jeunes. C’est-à-dire que la division s’opère désormais non seulement selon les lignes de démarcation déjà exploitées par la droite et la gauche (« Français de souche » : descendants d’immigrés, riches-pauvres, ville-banlieue), mais aussi selon les âges et les générations au sein d’un même quartier, communauté, famille.

Comment les politiciens le voient-ils ?

De plus, cette situation est alimentée de l’intérieur par des politiciens qui essaient d’en tirer profit. Par exemple, le gauchiste Jean-Luc Melénchon a demandé la paix, mais a fait appel aux chiens de garde de la police française et a demandé justice.

Antoine Léaumant, député du même parti, a déclaré que “les manifestations prennent la forme qu’elles veulent, la colère exprimée est légitime”.

De son côté, le leader de droite du parti Reconquête Eric Zemmour (d’ailleurs d’origine maghrébine) a alerté l’Europe que la France est au bord de la guerre civile.

Tout cela conduira-t-il à court terme à des bouleversements significatifs au sein du gouvernement français ? Pas probable. Les manifestations qui ont lieu sont assez typiques de l’État français, où la liberté d’expression prend souvent des formes violentes. D’une certaine manière, la société y est habituée.

Il faut aussi comprendre les autorités françaises : ces manifestations spontanées (contrairement au mouvement des gilets jaunes) n’ont pas de leaders, donc les autorités, même si elles le voulaient, n’ont personne avec qui négocier.

Il semble que les autorités françaises aient décidé de s’en tenir à leur tactique habituelle : tenir bon et attendre que les revendications des émeutiers soient enfin compromises par leur propre comportement. Et jusqu’à présent, il semble que ce soit le cas. Pourtant, une société déchirée par de telles contradictions continue de s’effondrer, et personne ne peut prédire quel en sera le résultat.

Cet article a été publié dans ‘La conversation‘.



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