Une fonctionnalité de la plateforme, déployée à grande échelle en décembre dernier, permet aux vidéastes de doubler leur contenu dans d’autres langues grâce à l’intelligence artificielle. Pour un résultat mitigé.
Illustration Richard Drury/Getty Images
Publié le 24 janvier 2025 à 15h29
Une alerte l’a informé de la nouvelle. Benjamin Brillaud, de la chaîne de vulgarisation historique Veuillez notera appris mi-décembre qu’il était éligible, alors que d’autres ne le sont pas encore, à une fonctionnalité très récente de YouTube : le doublage automatique, généré par l’intelligence artificielle (IA). “J’ai du mal avec l’IA pour plusieurs raisons, mais comme l’option était activée mécaniquement, je pensais voir à quoi ça ressemblait”rembobine-t-il.
L’épreuve a duré deux heures. « Le rendu de l’épisode a été catastrophique. Il n’y avait plus d’incarnation, la pertinence des traductions laissait à désirer… »énumère le créateur aux deux millions et demi d’abonnés, qui a partagé sa déception sur sa chaîne secondaire, Nota Bonus.
YouTube un a décidé, fin 2024, de rendre l’outil de doublage accessible à davantage de créateurs. Un bouton permet aux vidéastes de choisir de faire traduire leurs épisodes par l’IA, dans un nombre limité de langues. Mais, au passage, des retours d’abonnés très déçus ont orné les réseaux sociaux et les zones de commentaires sous les vidéos. Les voix robotisées, le mixage saboté et le fait que la version doublée s’active automatiquement lorsque l’appareil est configuré dans une autre langue sont autant de critiques adressées au système de traduction. Observations partagées lors de nos visionnages de vidéos doublées automatiquement, difficiles à regarder dans le temps car les voix perdent en émotion et masquent les intonations et l’originalité des vidéastes.
« Quand on voit ce que l’IA générative peut produire aujourd’hui, les résultats sont d’autant plus décevants »souligne Nicolas Lellouche, journaliste à Numérorama, à l’origine de nombreuses vidéos sur chaîne YouTube multimédia spécialisé dans le numérique. Pas convaincue, la rédaction dont il fait partie a choisi de désactiver l’option doublage mise en place automatiquement pour chacun de ses contenus.
A lire aussi :
« The Brutalist » critiqué pour l’édition vocale de l’IA
Elle suscite cependant un intérêt important chez les YouTubeurs francophones, à la recherche d’une audience internationale. « C’est une fonctionnalité que j’attendais depuis longtemps, car dans mon domaine – l’électronique – il y a un public anglophone à toucher »estime Benge Millo, de la chaîne Fabricant de moulin. Sa première tentative, dans sa vidéo la plus récente, est, dit-il “compréhensible”mais pas forcément agréable à regarder et à écouter. Le jeune créateur, qui travaille seul, s’apprête à bricoler en copiant sa propre voix avec l’IA afin de donner plus de sens à l’expérience, espère-t-il.
Traverser les frontières est en effet un rêve pour certains YouTubeurs. L’exemple connu dans ce domaine est celui de MonsieurBête. L’Américain possède la chaîne la plus suivie sur YouTube et fait appel aux services d’acteurs vocaux professionnels pour proposer ses vidéos dans plusieurs langues. Inoxtag a fait de même pour son ascension de l’Everest, racontée dans le documentaire Kaizen, traduit en anglais et en espagnol.
Benjamin Brillaud, de Nota bene, a également tenté l’expérience, en créant des versions espagnole et anglaise de sa chaîne avec des comédiens pour plusieurs dizaines de milliers d’euros. Cette volonté d’internationaliser son travail, qui l’attirait depuis de nombreuses années, n’a pas eu le succès escompté. « Avec le recul, je ne suis pas sûr que l’historiographie française intéresse un public non francophone. » il suppose.
Inclusif ou dangereux ?
Il peut encore arriver qu’il y ait une demande pour du contenu français traduit dans d’autres langues. Amélie Zimmermann, de la chaîne de mode Fashion Quiche, a répondu à son public étranger en activant le sous-titrage et le doublage. « Je trouve cet outil formidable pour adopter une approche plus inclusive et permettre à davantage de personnes de comprendre, estime le vidéaste, pour qui YouTube n’est qu’une activité secondaire. Je ne pouvais embaucher personne pour faire ce travail. »
Car derrière cette nouveauté il y a aussi des perdants : des doubleurs professionnels. Leur collectif TouchePasMaVF considère la multiplication du doublage génératif sur YouTube comme “un vrai danger” pour l’écosystème créatif, le respect du droit d’auteur et la qualité des contenus. Des craintes à peine audibles à l’heure où l’IA déferle sur la plateforme, que ce soit avec la création automatique de vidéos ou leur résumé mâché par un robot.
#Sur #YouTube #doublage #automatique #généré #par #lintelligence #artificielle #attire #autant #quil #déçoit