Les injections d’hormone de croissance prélevées sur des cerveaux de personnes décédées (une pratique aujourd’hui abandonnée) auraient transmis la maladie d’Alzheimer à certains patients : telle est la conclusion d’une étude récente parue dans la revue Nature. En effet, des chercheurs affirment avoir identifié de nouvelles preuves à l’appui d’une hypothèse controversée, selon laquelle les protéines à l’origine d’agrégats qui sont la signature de la maladie d’Alzheimer peuvent être transmises d’une personne à l’autre par le biais de certaines procédures chirurgicales.
Les auteurs de cette étude, ainsi que d’autres scientifiques consultés, soulignent que ces travaux de recherche reposent actuellement sur un petit échantillon d’individus et qu’ils portent sur des pratiques médicales qui n’ont actuellement plus cours. Ces travaux ne suggèrent pas que les formes de démence telles que la maladie d’Alzheimer pourraient être contagieuses.
Néanmoins, “nous aimerions prendre des précautions à l’avenir pour réduire ces rares cas”, signale le neurologue John Collinge, de l’University College London, qui a dirigé cette recherche publiée dans la revue Médecine naturelle datée du 29 janvier.
Une démence anormalement précoce
En quoi a consisté cette enquête ? Depuis dix ans, John Collinge et son équipe ont étudié des patients au Royaume-Uni qui, pendant leur enfance, ont reçu de l’hormone de croissance dérivée d’épiphyses de personnes décédées [comme cela a pu être fait en France au cours de la même période, où des centaines d’enfants ont eu des injections de cette hormone de croissance contaminée par des protéines du même type responsables de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, ndlr] pour traiter des problèmes médicaux tels qu’une taille trop petite.
La dernière étude révèle que, des décennies plus tard, certaines de ces patients ont développé des signes de démence précoce. Les symptômes, tels que les troubles de la mémoire et du langage, ont été diagnostiqués cliniquement et, chez certains, sont apparus en même temps que des plaques du peptide β-amyloïde dans le cerveau, une caractéristique de la maladie d’Alzheimer. Les auteurs suggèrent que cette protéine, présente dans les préparations hormonales, aurait été “ensemencée” dans les cerveaux et aurait causé les dommages que l’on constate aujourd’hui.
L’hormone de croissance contenait de l’amyloïde
Ces travaux s’appuient sur des investigations antérieures de la même équipe, qui portaient alors sur des individus ayant reçu de l’hormone de croissance prélevée sur des morts, une pratique à laquelle le Royaume-Uni a mis fin en 1985 [et la France en 1988, ndlr]. En 2015, l’équipe de John Collinge a décrit la découverte post-mortem de dépôts de peptide β-amyloïde dans le cerveau de quatre personnes qui avaient été traitées avec l’hormone de croissance. Elles étaient décédées, à un âge moyen, de la maladie neurologique mortelle de Creutzfeldt-Jakob, qui est causée par des protéines infectieuses mal repliées appelées “prions”. Ces derniers étaient présents dans les lots d’hormone de croissance.
Les quatre cas analysés dans cette étude sont décédés avant que les signes cliniques liés à l’accumulation de peptide β-amyloïde n’aient pu être observés. Mais la présence de ces plaques dans les vaisseaux sanguins de leur cerveau suggère qu’ils auraient développé une maladie appelée “angiopathie amyloïde cérébrale” (AAC) – qui provoque des hémorragies dans le cerveau et est souvent un précurseur de la maladie d’Alzheimer.
L’équipe de chercheurs a également localisé et étudié des lots archivés de l’hormone de croissance obtenus post-mortem. Dans une étude de 2018, ils ont rapporté que certains lots de la préparation hormonale contenaient du peptide β-amyloïde et que, lorsque ces préparations étaient injectées à des souris, cela se traduisait par le développement de plaques amyloïdes et l’apparition d’AAC chez ces animaux.
Cinq personnes sur huit ayant reçu le traitement hormonal contaminé au cours de l’enfance ont développé des signes comportementaux de démence précoce entre 38 et 55 ans.
L’équipe de John Collinge s’est donc demandé si les préparations hormonales contaminées auraient également pu provoquer l’apparition de la maladie d’Alzheimer chez les patients qui les avaient reçues, les plaques amyloïdes étant censées provoquer la perte de neurones et de tissus cérébraux.
Dans sa dernière étude, elle a constaté que cinq personnes sur huit ayant reçu le traitement hormonal dans leur enfance – mais sans développer la maladie de Creutzfeldt-Jakob – ont présenté des signes comportementaux de démence précoce plus tard dans leur vie, entre 38 et 55 ans. Les scientifiques affirment que ces cinq individus – que les chercheurs ont étudiés en clinique ou par le biais de dossiers médicaux et de scanners cérébraux – répondaient aux critères de diagnostic de la maladie d’Alzheimer à début précoce.
Un Alzheimer transmissible ?
La maladie d’Alzheimer précoce est généralement causée par certaines variantes génétiques, mais les chercheurs n’ont pas détecté ces dernières chez trois des patients qui présentaient des signes d’Alzheimer et dont les échantillons d’ADN étaient disponibles pour des tests. “Ce constat est cohérent avec le fait que ces patients ont développé une forme de maladie d’Alzheimer à la suite d’un traitement pendant l’enfance avec cette hormone hypophysaire contaminée”, déclare John Collinge. Prises dans leur ensemble, ces études suggèrent que, dans de rares cas, la maladie d’Alzheimer pourrait être transmise par un transfert de matériel biologique, affirment les auteurs.
Toutefois, la petite taille de l’étude limite la solidité des résultats, explique Tara Spires-Jones, neuroscientifique à l’Institut britannique de recherche sur la démence, à l’université d’Édimbourg. “Les traces de peptide β-amyloïde issues du traitement hormonal jouent-elles un rôle dans le développement de la démence ? Il est difficile de le déterminer sur la seule base d’un échantillon de huit personnes”, reconnaît-elle.
Selon Mathias Jucker, neuroscientifique au Centre allemand des maladies neurodégénératives, de Tübingen, il n’est pas exclu que certains patients aient pu développer une démence indépendamment du traitement hormonal. “Ces personnes présentaient de nombreuses pathologies différentes qui auraient pu augmenter le risque de développer une maladie neurodégénérative comme la maladie d’Alzheimer”, explique-t-il. Les chercheurs se demandent également si les cas atteints de démence étaient réellement touchés par la maladie d’Alzheimer, indépendamment des diagnostics cliniques.
“De fréquentes erreurs sont commises dans le diagnostic du type de démence dont souffre un patient de son vivant”, reconnaît Andrew Doig, chercheur en neurosciences à l’université de Manchester, au Royaume-Uni. En stricts termes de santé publique, il n’y a pas lieu de s’inquiéter aujourd’hui d’une démence “transmissible”, affirme ainsi Tara Spires-Jones, qui rappelle que ce traitement n’existe plus aujourd’hui.
Alors, beaucoup de bruit pour rien ? Malgré les limites de l’étude, la recherche permet de mieux comprendre les maladies neurodégénératives, de l’avis des scientifiques. “Je suis heureux que des gens poursuivent des recherches aussi minutieuses pour nous aider à mieux comprendre l’ensemencement des maladies neurodégénératives par le peptide β-amyloïde”, résume Tara Spires-Jones. Et selon Mathias Jucker, “de nombreux autres scientifiques vont maintenant chercher des preuves supplémentaires pour explorer l’idée d’une maladie d’Alzheimer transmissible”.
#Des #cas #dAlzheimer #liés #lhormonede #croissance
2024-03-01 09:39:26