Un amour à voix basse : Rencontre avec François Bégaudeau

Un amour à voix basse : Rencontre avec François Bégaudeau

Lire : Un amour à voix basse consigné par François Bégaudeau

Sous le sable du conformisme sans bourrelets, le crabe de la satire. Le tableau est acide, mieux, addictif. Emmanuel, Brune et leurs enfants, Justine et Louis sont les figures d’une tribu qui s’en remet à la détox, au yoga kundalini et au placement malin. L’admirateur de Mikhaïl Bakounine ne porte pas cette France-là dans son cœur. Mais il s’en voudrait presque d’avoir trop accablé ses protagonistes. C’est ce qu’il vous confie un jour de février, dans un salon de la Société de lecture à Genève, après un entretien en public où ce bretteur, qui conserve dans sa poche la cocarde d’un anarchisme heureux, a parlé de la joie d’écrire et d’aimer. L’essentiel de la vie, en somme.

Le mirage de l’amour absolu

François Bégaudeau a le brio mat des marins pêcheurs quand il s’exprime. Rien ne va de soi, tout fait mouche pourtant. Alors, Jeanne et Jacques, ces modestes que les ciels d’été aimantent, ces rangés qui tracent la Voie lactée d’une liberté intérieure, ces provinciaux qui s’accordent sans un mot de trop, seraient-ils un antidote à Emmanuel et Brune? Et leur livre d’heures constituerait-il aussi une sorte d’anti-Belle du Seigneur, ce réquisitoire de 900 pages où Albert Cohen fait voler en éclats le fantasme de l’amour absolu. Misérable Solal, si brillant pourtant! Pathétique Ariane submergée de mousse dans la baignoire neurasthénique d’un palace!

«J’estime que toutes les vies se valent, celles de Jeanne et de Jacques comme celles de Solal ou de la Princesse de Clèves. Nous sommes tous Jeanne et Jacques, des gens qui font avec les moyens du bord et qui savent comme c’est difficile de vivre. Personne ne nous a expliqué comment embrasser la première fois, comment encaisser la maladie de l’être qu’on aime, comment supporter le deuil. Nos maladresses m’émeuvent, ce qui est pataud me bouleverse.»

Le style fait épée

Est-ce un hasard si ce fils d’enseignants communistes entre sur la scène littéraire en 2003 avec un récit titré Jouer juste? Il y faisait entendre la parole d’un entraîneur de foot qui, à la mi-temps d’une finale de Coupe d’Europe, prônait non la gagne, mais la beauté du geste. François rendait certes hommage au FC Nantes de son enfance, ce club qui a porté très haut un rêve de jeu. Mais il affirmait surtout une ambition: celle du style, c’est-à-dire du clavier maîtrisé.

Car la technique n’est pas un gros mot, mais une jouissance pour cet ancien critique des Cahiers du cinéma. Dans son podcast, La gêne occasionnée, il propose régulièrement le décryptage d’un film ou d’un roman. La forme lui ressemble: une maïeutique élémentaire à première écoute – toujours partir de ce qu’on voit – formidablement éclairante à l’usage. «J’aime lire mes confrères, tenter de comprendre comment ils parviennent à captiver leurs lecteurs, quelles formes ils mobilisent. C’est passionnant d’analyser pourquoi Emmanuel Carrère ne perd jamais ses lecteurs.»

L’ex-chanteur du groupe punk Zabriskie Point cogne dans des essais qui lui valent des inimitiés durables. Il est anticapitaliste tout en assumant ses contradictions, une boulimie d’activités par exemple qui est sa façon de rentabiliser le temps. «Je ne suis pas désenchanté non, même si rien ne va comme je l’espère. J’ai plongé dans la politique à l’adolescence au milieu des années 1980, sous l’influence de mes parents. La gauche avait gagné en 1981 et avait en vérité tout perdu, cet idéal de changement de société. Mais le combat politique est joyeux, par toutes les rencontres qu’il occasionne. Il y a une multitude de micro-émancipations, grâce à des mouvements féministes, écolos, anarchistes. Les gens fabriquent des changements dans leurs coins, c’est source de joie.»

Jacques et Jeanne, eux, sont apolitiques, ce qui ne les empêche pas de viser l’empyrée des desperados, lui avec ses maquettes de fusées, elle avec ses mots croisés. Parfois, elle s’exaspère devant tous ces engins qui envahissent la maisonnée. Jacques a ces mots: «Ça t’exaspère ou ça te ravit faut savoir./ Elle: «Les deux. C’est beau et encombrant.»/ Lui, benoît: «Comme moi, quoi.» Elle: «Comme toi oui.»

Dans Un Enlèvement, un goéland observe de haut le micmac d’Emmanuel et de Brune, leur vaudeville à la plage. Ce guetteur est une sorte d’avatar de l’écrivain. Il ne manque rien du spectacle des hommes et pique. François Bégaudeau le maritime est ce bec: il mord dans les mensonges romantiques pour que la vérité soit toujours romanesque – fût-elle dévastatrice. Jacques et Jeanne changent de dimension, leur amour devient métaphysique, on ne dira pas comment. Apollinaire aurait été surpris par leur feu d’artifice. L’absolu des cœurs simples.


Profil

1971 Naît à Luçon en Vendée.

2006 Publie «Entre les murs», inspiré de son expérience comme prof.

2008 Adapté au cinéma, «Entre les murs» obtient la Palme d’or à Cannes.

2020 Signe «Un Enlèvement», portrait drolatique et cruel de la France macroniste.

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