2024-05-17 21:59:37
Succession Picasso by SIAE 2024 Photo © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau |
Pablo Picasso, La Baie de Cannes, Cannes, 19 avril 1958 – 9 juin 1958. Huile sur toile, 130×195 cm. Musée national Picasso-Paris. Rencontre Pablo Picasso, 1979. MP212
Tout a déjà été dit sur Picasso, ou presque. Beaucoup d’entre nous ne savent cependant pas qu’à Paris, le grand artiste espagnol a porté pendant des décennies le stigmate d’un « étranger » : un individu à surveiller selon la diligente Police des étrangers, qui l’a enregistré sous le numéro 74.664 – si rien d’autre, était en bonne compagnie – le qualifiant d’« anarchiste » et d’« artiste d’avant-garde » (!). Mais cela ne s’arrête pas là. L’État français a refusé à plusieurs reprises la citoyenneté à Picasso, pour ensuite la lui offrir sur un plateau d’argent alors qu’il était déjà au sommet de sa gloire. Le maestro décline alors l’offre, restant pour toujours étranger, malgré les 60 années qu’il a passées en France.
La méfiance à l’égard des institutions artistiques était peut-être encore pire. En 1947, Picasso dominait la scène internationale depuis plus de 30 ans, mais seules quelques-unes de ses toiles figuraient dans les collections des musées français. L’un des deux est un don.
En 1955, l’artiste quitte définitivement Paris pour vivre sur la Côte d’Azur, “au milieu de céramistes, photographes, sculpteurs et lithographes, face à la Méditerranée, dans un espace de cultures multiples auquel il a toujours appartenu”, dit Cohen-Solal. Picasso « choisit la région plutôt que la capitale, les artisans plutôt que les universitaires, la province plutôt que l’establishment parisien, et gère avec bonheur sa renommée désormais mondiale ».
Giulio Romano et ses élèves, Chambre d’Amour et Psyché, 1527, huile sur plâtre sur support en bois. Mantoue, Palais Te I Ph. Gianmaria Pontiroli
Quel a été l’impact de la condition « d’étranger » sur l’œuvre de Picasso ? Comment l’artiste a-t-il réagi face à l’hostilité du pays dans lequel il vivait ? Que peut nous apprendre cette histoire, toujours d’une grande actualité ? C’est ici que commence le voyage de Cohen-Solal, qui a exploré la question en profondeur dans le livre Picasso. Une vie d’étranger, publié en Italie par Marsilio. Grâce à des prêts d’importantes collections comme celle du Musée National Picasso de Paris et à la collaboration de la famille du maître, les deux expositions exploreront l’expérience de Picasso selon des trajectoires différentes et complémentaires. C’est précisément pour cette raison que, grâce à la collaboration entre le Palazzo Te et le Palazzo Reale, avec le billet d’entrée à une exposition, les visiteurs pourront accéder à l’autre à un prix réduit.
A Mantoue à partir du 5 septembre prochain, Picasso au Palais Te. Poésie et salut raconte comment, au cours de ses premières années à Paris, l’artiste fut accueilli par un groupe de poètes bohèmes, trouvant dans la poésie et les relations les moyens de surmonter les obstacles liés à sa condition d’étranger. Picasso choisit la métamorphose comme stratégie pour gérer les tensions de la société française, devenant – sur le plan esthétique, personnel et professionnel – un artiste caméléon que très peu de critiques peuvent déchiffrer. Comme nous le savons, métamorphose et poésie sont chez elles au Palazzo Te : de nombreuses fresques monumentales peintes par Giulio Romano pour les Gonzague sont en fait inspirées par Métamorphose d’Ovide. Les 50 œuvres exposées – dessins, peintures, sculptures et documents rares – dialogueront donc avec le spectaculaire appareil décoratif du bâtiment mantouan, révélant des similitudes inattendues. « La relation entre Giulio Romano, le Palazzo Te et l’art de Picasso passe par le travail sur Métamorphose d’Ovide que l’artiste espagnol exécuta à la demande d’Albert Skira en 1931″, dit le directeur du Palazzo Te Stefano Baia Curioni : “Mais les questions et les mystères soulevés par l’œuvre de Picasso et de Giulio Romano vont au-delà des affinités thématiques : les deux artistes sont des « amis » du changement et considèrent la métamorphose comme le thème dominant. Tous deux extraient la nourriture et le salut de la littérature et de la poésie, ensemble ils suggèrent une manière de participer à l’art et à la vie”.
Giulio Romano, Gigantomachie. Palazzo Te, Mantoue I Avec l’aimable autorisation du Palazzo Te
À partir du 20 septembre, le voyage se poursuivra à Milan, au Palazzo Reale, avec l’exposition Picasso l’étranger, où Cohen-Solal sera rejoint au commissariat par Cécile Debray, présidente du Musée National Picasso Paris, avec la collaboration de Sébastien Delot, directeur des collections du musée parisien. Nous verrons ici plus de 80 œuvres de Picasso, ainsi que des documents, photographies, lettres et vidéos choisis pour reconstruire la trajectoire esthétique et politique de l’artiste et comprendre comment sa condition d’immigré a façonné son identité. « La découverte de la précarité cachée de l’artiste et des obstacles sur son chemin, demande Cohen-Solal, ne nous renvoie-t-elle pas une image brutale et méconnue de la xénophobie commune, de notre contemporain et de nous-mêmes ? Ces deux expositions complémentaires deviennent aussi une radioscopie de la France, avec les rêves qu’elle inspire, les défaites qu’elle impose et les démons qui l’affligent. Dans les temps chaotiques comme aujourd’hui, Picasso devient notre contemporain : son exemple est une leçon d’optimisme, un modèle à suivre, un stimulant pour l’engagement politique et la pratique artistique.
Pablo Picasso, La lecture de la lettre, 1921, Olio su tela, 184 × 105 cm, Musée national Picasso-Paris | © Succession Picasso – Gestion droits d’auteur by SIAE 2023 | Foto: © RMN-Grand Palais / Mathieu Rabeau
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