Les débats s’annonçaient houleux; ils l’ont été. Une proposition de loi controversée remettant en question l’interdiction du cumul des mandats, qui semblait sur le point d’être adoptée jeudi 14 mars au soir à l’Assemblée nationale, n’a finalement pas pu être soumise au vote, faute de temps. Le groupe Horizons, qui avait inscrit ce texte à l’ordre du jour de sa journée dédiée dans l’Hémicycle, a dénoncé une “obstruction” de la gauche, après que celle-ci a ralenti les débats jusqu’à minuit en multipliant les sous-amendements, les rappels au règlement et les demandes de suspension de séance.
Les “niches parlementaires” dédiées à un groupe prenant fin à minuit, sans possibilité de reprendre le lendemain, l’examen de la proposition de loi ne pourra pas être poursuivi. “Nous reviendrons !” a promis la députée Horizons Naïma Moutchou.
Le texte visait à “assouplir” une loi de 2014, adoptée sous François Hollande et en vigueur depuis 2017, interdisant d’être à la fois parlementaire national et titulaire d’un mandat exécutif local. L’objectif était de renouveler les élus, de féminiser le Parlement mais aussi de garantir que les élus se consacrent pleinement à leurs mandats.
Le camp présidentiel divisé
Le texte des députés du parti d’Edouard Philippe, alliés des macronistes de Renaissance et du groupe Modem au sein de la majorité présidentielle, ne proposait de revenir que partiellement sur ce principe. Il autorisait de nouveau les députés et les sénateurs à exercer des fonctions d’adjoint au maire (mais pas de maire), ou de vice-président (et non président) de département ou de région. Leur proposition aurait probablement été adoptée en première lecture en cas de vote final. Un scrutin sur son article principal a ainsi été remporté par 64 voix contre 44.
Soutenue par la droite et l’extrême droite, et farouchement combattue par la gauche, elle divisait le camp présidentiel. Mais dans un Hémicycle clairsemé en séance nocturne, les députés Renaissance favorables à l’initiative étaient surreprésentés, selon un cadre du groupe.
“Un équilibre a été rompu au sein de notre République” a plaidé le député Horizons Henri Alfandari, qui portait ce texte, estimant que le Parlement devrait bénéficier “de figures solidement ancrées dans un territoire” pour “contrebalancer le jacobinisme républicain”.
“Ce débat doit avoir lieu, il est normal, il est sain, il ne faut pas le repousser” a déclaré en début de soirée la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales, Dominique Faure, sans prendre position pour ou contre le texte. Le débat ainsi ouvert nourrira “les décisions collectives à venir”, a-t-elle ajouté.
“Il est difficile de comprendre pourquoi le débat est relancé alors qu’il semble être une régression” a estimé Ludovic Mendes (Renaissance), dont le groupe avait laissé une liberté de vote à ses membres.
“Fausse solution”
Lors d’une réunion en début de semaine, une majorité de députés macronistes s’était positionnée contre un retour au cumul des mandats. Cependant, certains étaient favorables, comme le député Karl Olive, qui a même défendu jeudi des amendements levant l’interdiction de cumul, y compris pour les maires, à l’instar des députés Les Républicains (LR).
“Jamais notre pays n’a connu autant de tempêtes causées par le manque de capteurs de terrain” a souligné le député LR Pierre-Henri Dumont. Pour Bruno Bilde, du Rassemblement national (RN), faute d’ancrage local des députés, “c’est l’administration qui prend la place laissée vacante”.
La gauche a fait front commun contre la remise en question du non-cumul, soulignant le risque d’accentuer la défiance envers les parlementaires. Craignant une adoption possible du texte à minuit, les socialistes ont déposé de nombreux sous-amendements en fin de séance pour éviter un vote.
“Je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup de députés ou de sénateurs qui ont le temps de faire autre chose que leur mandat de parlementaire” a argumenté la députée communiste Elsa Faucillon. “Vous êtes déconnectés” a lancé le député La France insoumise Carlos Martens Bilongo aux députés Horizons, tandis que l’écologiste Charles Fournier leur a reproché de nourrir “une sorte de nostalgie des baronnies locales”.
Erwan Balanant (Modem) a également contesté la “fausse solution” du retour au cumul, rappelant en outre que “50% d’entre nous sont des élus locaux” sans mandat exécutif.
Ce n’est pas la première fois que le non-cumul est remis en question. En 2021, l’Assemblée avait rejeté un texte sénatorial, qui avait déjà embarrassé la majorité macroniste de l’époque, accusée d’être “hors-sol” après la crise des “gilets jaunes”.