2025-01-08 02:02:00
Francesco Pallante
Dans la difficile tentative de ramener le régionalisme différencié, introduit avec la réforme constitutionnelle souhaitée par l’Ulivo en 2001, aux principes de solidarité, d’égalité et d’unité de la République, la phrase n. 192 de 2024 de la Consulte sur la loi Calderoli réalise une reconstruction qui dépasse la question de la délégation des pouvoirs aux régions.
Au centre, dans le raisonnement de la Cour constitutionnelle, est l’insistance sur la nécessité pour toute décision concernant la répartition territoriale des fonctions de répondre non pas à des intérêts particuliers, qu’ils soient imputables à des partis ou à des organismes territoriaux, mais “la meilleure façon de mettre en œuvre les principes constitutionnels”. Avec pour conséquence – fatale pour la boulimie de pouvoir des tenants d’un régionalisme différencié – que seules les demandes régionales « justifiées et motivées en référence notamment aux caractéristiques de la fonction et du contexte (social, administratif, géographique, économique, démographique, financier, géopolitique) ) seront admissibles et autres) dans lequel s’effectue la déconcentration, afin de mettre en valeur les avantages – en termes d’efficacité et d’efficience, d’équité et de responsabilité – de la solution retenue”.
Peut-être plus pertinent encore, en raison du caractère incisif de ses conséquences, est le passage de la phrase dans laquelle la Cour constitutionnelle souligne la différence entre les niveaux essentiels de performance (Lep) concernant les droits constitutionnels, d’une part, et le noyau minimum de droits constitutionnels, d’autre part. La Cour explique : « en résumé, le noyau minimum de la loi est une limite découlant de la Constitution et doit être garanti par cette Cour, également en ce qui concerne le droit de l’État, indépendamment des considérations financières : “[è] la garantie de droits incompressibles à impacter le budget, et non le solde de celui-ci pour en conditionner le bon décaissement » (sentence n° 275 de 2016). Les Lep sont plutôt une contrainte imposée par le législateur de l’État, compte tenu des ressources disponibles, et adressée essentiellement au législateur régional et à l’administration publique ; leur détermination fait alors naître l’obligation pour l’Etat lui-même d’en garantir le financement”. Cela signifie que le noyau minimum d’un droit constitutionnel est un fait objectif, bien que variable dans le temps, qui peut être obtenu à partir de la Constitution ; tandis que le niveau essentiel des services relatifs au même droit est une donnée subjective fixée par le législateur. Ce Lep peut correspondre voire dépasser le noyau minimum de la loi, selon ce que décide le législateur à sa discrétion ; cependant, il ne peut jamais être inférieur, car dans ce cas il y aurait violation du droit constitutionnel.
Le point décisif est que, une fois qu’un droit est inscrit dans la Constitution, la mise en œuvre au moins de son noyau minimum n’est pas laissée au bon vouloir des autorités compétentes, mais se présente comme une véritable contrainte juridique.. Celui qui en est particulièrement chargé est le législateur, qui est tenu à la fois de préparer la législation d’application (de l’exécution de laquelle découlera ensuite la « mise en œuvre » concrète de la loi par l’administration publique) et de la répartition dans le loi budgétaire des ressources économiques nécessaires (puisque, comme l’écrit encore la Cour Constitutionnelle dans la sentence n° 275/2016, l’effectivité d’un droit « ne peut dériver que de la certitude de la disponibilité financière pour la satisfaction de celui-ci »). La Cour constitutionnelle sera donc chargée vérifier que les lois, y compris la loi de finances, respectent effectivement l’obligation légale visant à assurer la mise en œuvre effective des droits: du moins, en ce qui concerne leur contenu minimum ; mais, si le législateur a défini la Lep, également en ce qui concerne cette dernière (on notera, à cet égard, la jurisprudence antérieure qui annule certaines lois de finances régionales pour avoir détourné des ressources destinées au financement de la Lea vers d’autres dépenses : c’est-à-dire par exemple, les niveaux essentiels de services liés au droit à la santé).
Quelques jours après “l’arrêt Calderoli”, suivant le schéma qui y est défini, la Cour Constitutionnelle est donc intervenue avec le jugement n°. 195/2024 pour annuler la loi de finances pour 2024 dans la partie où elle procède à une réduction généralisée « des ressources à quelque titre que ce soit dues à chaque région ».La loi, estime la Cour, aurait dû distinguer entre les ressources destinées à alimenter les “dépenses constitutionnellement nécessaires” – c’est-à-dire celles visant “au financement des droits sociaux, des politiques sociales et familiales, ainsi qu’à la protection de la santé” – et des ressources destinées à soutenir des dépenses « qui n’ont pas la même priorité », en concentrant les coupes uniquement sur ces dernières.
C’est la confirmation de ce qui a longtemps été soutenu dans la doctrine Lorenza Carlassare: les dépenses publiques ne sont pas toutes placées au même niveau. Certains sont nécessaires, d’autres facultatifs. D’autres encore – peut-on ajouter – sont interdits : par exemple, ceux avec lesquels devait être décidé l’achat d’instruments capables d’imposer la peine capitale, la peine de mort étant interdite par la Constitution. Le point délicat – difficile non seulement pour la politique, mais aussi pour une partie pas si limitée de la doctrine juridique – est que les dépenses nécessaires ne peuvent être réduites en dessous du seuil indispensable pour garantir le décaissement du Lep (ou, s’il n’est pas identifié, le minimum contenu du droit). Le pouvoir discrétionnaire du législateur est ainsi limité aux dépenses facultatives : et – dit la Cour constitutionnelle – ce sont ces dernières qui doivent être réduites en cas de nécessité, sous peine de violation des droits constitutionnels. Dans le cadre d’un système constitutionnel fondé sur la garantie effective des droits, l’espace de décision laissé à la discrétion du législateur est donc limité entre les dépenses nécessaires (celles qui doivent toujours être prévues) et les dépenses interdites (celles qui doivent on ne s’y attend jamais).
En fait, c’est la meilleure façon d’attribuer un sens normatif à la formule qui apparaît dans le deuxième paragraphe de l’art. 1 de la Constitution : celui selon lequel le pouvoir de décision découlant de la souveraineté populaire ne permet ni au peuple ni à ses représentants élus de décider de ce qu’il veut, mais « s’exerce dans les formes et limites de la Constitution ». Les « formes » : c’est-à-dire les démarches qui doivent être suivies sous peine de nullité formelle de la décision. Et les « limites » : c’est-à-dire les interdictions de contenu qui doivent être respectées sous peine de nullité substantielle de la décision. Ceux qui nient cette conclusion voudraient voir la loi budgétaire prévaloir sur les dispositions constitutionnelles : un renversement du juste rapport hiérarchique entre les sources du droit qui, à partir de la première phrase prononcée par la Cour Constitutionnelle – n. 1 de 1956, axée sur la reconnaissance du caractère prescriptif de l’ensemble de la Constitution, y compris ses règles de principe et ses règles programmatiques – n’a plus le droit de citoyenneté dans le débat doctrinal.
La cohérence voudrait que la Cour constitutionnelle déclare inconstitutionnelles les dépenses facultatives décidées par le législateur malgré l’insuffisance des dépenses nécessaires (par exemple, dans le cas du financement des écoles privées, compte tenu du sous-financement désastreux des écoles publiques) : ce qui lui permettrait de réorienter le budget vers la nécessaire mise en œuvre des droits constitutionnels. La même chose pourrait se produire à l’égard de toute dépense interdite : à cet égard, il conviendrait de remettre en question les dépenses militaires dépassant les strictes exigences de garantie du devoir de défense de la patrie consacré par l’art. 52 de la Constitution. Le problème est que le rôle de la Cour est plus facile lorsqu’il s’agit d’éliminer les violations commises, résultat d’antinomies : elle le fera par des condamnations d’acceptation totale ou partielle. C’est moins facile lorsqu’il s’agit d’éliminer les violations omissives, produites par les lacunes : dans ce cas, il faudra recourir à des phrases additives (qu’elles soient de principe, de rimes possibles ou de règles). Il est clair qu’il est plus facile d’éliminer de la législation quelque chose qui ne devrait pas être là, mais qui existe, que d’ajouter quelque chose qui devrait être là, mais qui n’y est pas : l’élaboration de textes normatifs est la tâche du législateur et non de la Cour constitutionnelle. Cela ne signifie pas pour autant que le cadre conceptuel ne change pas dans les deux cas : celui des violations par omission est un problème pratique et non théorique.
LLa Cour constitutionnelle elle-même a d’ailleurs affirmé son pouvoir d’intervenir également sur la loi budgétaire. C’est toujours la phrase n°. 275/2016 pour l’avoir fait, en rappelant ce qui a déjà été établi dans la phrase no. 10/2016 (et, avant même, dans la phrase n° 260/1990) : « lors de l’élaboration et de la gestion du budget, les choix d’affectation des ressources « susceptibles de révision car s’inscrivant dans le tableau global des valeurs constitutionnelles, de la mutuelle » dont la mesure et l’évaluation raisonnable sont laissées à l’appréciation prudente de cette Cour » (phrase no. 260 de 1990)””. Elle ne peut donc « faire l’hypothèse que la loi portant approbation du budget ou toute autre loi la affectant constitue une zone franche échappant à tout contrôle du juge constitutionnel, puisqu’il ne peut exister aucune valeur constitutionnelle dont l’exécution puisse être considérée comme exemptée de la garantie inviolable que représente par le jugement de légitimité constitutionnelle » (sentence n° 260 de 1990).
En fin de compte, comme l’écrit Gustavo Zagrebelsky, pour les dépenses qui correspondent à des droits réels de performance inscrits dans la Constitution « il n’y a pas de politique (et donc même pas de dépendance vis-à-vis de interposition appréciations discrétionnaires du législateur) mais seulement compétence au nom de la Constitution”.
Francesco Pallante, professeur de droit constitutionnel, Université de Turin.
#frein #régionalisme #différencié
1736480654