Un paradigme de victime

2024-08-17 09:23:24

Faut-il croire la victime ?

Issue des mouvements d’activisme social #Me Too, nom des actions initiées de manière virale sous forme de hashtag sur les réseaux, la phrase est devenue populaire : « il faut croire la victime. Il s’agit avant tout d’abus ou de menaces physiques ou psychologiques contre une femme, une personne perçue comme une femme ou comme une personne non binaire ou une personne ayant une identité divergente.

Le concept du mot victime fait appel à deux sens. Vincire : animaux sacrifiés aux dieux et divinités, ou vincere qui représente le sujet vaincu. Puis victime en anglais, victime en français et vittima en italien. La victime offerte dans le respect d’un rituel sacré – qu’il s’agisse d’un animal ou d’une personne humaine – n’aurait apparemment aucun rapport avec la criminologie. On continue de faire des sacrifices devant les autels pour éviter le malheur ou la colère de quelque dieu. Cependant, la victime qui intéresse la victimologie classique est l’être humain qui subit des dommages aux biens légalement protégés par le droit pénal, à savoir : la vie, la santé, la propriété, l’honneur, l’honnêteté, etc. Au début le couple s’est compris : victime-agresseur puis a dépassé le duo criminel. Ainsi, une multiplicité de sujets apparaît dans les délits d’abus de pouvoir politique, comme la corruption ou les pots-de-vin.

Les autoritaires n’aiment pas ça

La pratique du journalisme professionnel et critique est un pilier fondamental de la démocratie. C’est pourquoi cela dérange ceux qui croient détenir la vérité.

Dès les premiers récits mythiques, un sujet verse le sang de son frère, faisant de lui une victime. De là, lui, Caïn, porte une marque qui l’identifierait comme porteur du crime. Le premier colloque sur la victimologie, organisé par la Société internationale de victimologie à Jérusalem en 1973, a défini cette discipline comme l’étude scientifique des victimes de crimes. Le dommage correspondra à la violation de biens légalement protégés par la réglementation pénale. Si nous nous référons à ce domaine, nous nous concentrons sur un cadre procédural où il y a : procès, acteur et accusé. La première instance de l’action est la plainte auprès de la police ou de la juridiction judiciaire et le procès ultérieur.

Je reviens à la phrase : il faut croire la victime. Compte tenu de la plainte, il faudrait parler de la « victime présumée ». La responsabilité ou la culpabilité des sujets n’a pas encore été clarifiée devant le tribunal. Cette phrase entre donc en conflit avec un élément essentiel de la structure démocratique occidentale : tout le monde est innocent jusqu’à preuve du contraire. La dialectique juridique comprend le processus comme un espace de confrontation de deux positions antagonistes devant lequel le juge, interprétant les normes en vigueur, doit rendre un verdict sous réserve des preuves fournies par les parties. De telle sorte que le fait au niveau du droit est un acte qui doit être démontré, et la justification de cette preuve est placée avant la discrétion du juge. En effet, la forme républicaine de gouvernement qui s’adapte aux démocraties depuis la Modernité repose sur trois pouvoirs : l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire. Et cette dernière fait référence à la relation entre les citoyens et au lien entre les citoyens et le pouvoir.

Dire « il faut croire la victime sans procès préalable, c’est détruire ce principe, c’est modifier la machine mythologique, c’est transformer la victime en instrument royal. La modification du pacte émotionnel lie le fait au ressentiment. L’aristocratie de la douleur ennoblit l’individualité de quelqu’un qui élève une voix qui cherche à ressentir à nouveau. Le dispositif victimiste suppose la crise radicale des éléments républicains et la manière d’ériger une sacralité d’une politique post-démocratique.

Michel Wieviorka dit : « le visage inquiétant de l’ère des victimes, faisant allusion à la victime comme nouvel acteur social qui s’oppose au citoyen. L’empire du traumatisme suppose aussi des actions qui n’ont pas été judiciarisées ou qui n’ont pas pu l’être, pensez aux génocides qui n’ont pas été jugés. Dans ces cas, la plainte est configurée en termes de récit à caractère social ou littéraire. Et même dans ces cas-là, la phrase telle que nous la disons (« il faut croire la victime ») consiste à mettre les sujets à la place des martyrs sacrifiés. Non sans conséquences, le pape a par exemple canonisé les victimes du génocide arménien. Cette nomination a pour effet de sanctification et donc de suspension du corps de chacun. Face aux corps disparus (des victimes), le martyrisation les rend une fois de plus invisibles dans leur constitution corporelle.

Le symbole de la victime est sa passivité, il ne fait pas, mais on le fait, nécessitant soins et attention. Des personnages en souffrance en quête de compassion, de proximité ou de colère. Le baroque d’un monde de victimes n’a pas pour but de tester mais de montrer, d’impressionner, de fasciner et de choquer. Ce qui caractérise ce que l’on peut retracer du baroque aujourd’hui, exprime Gabriel Gatti, c’est la façon dont la victime est représentée à travers l’émotion et comment elle est projetée comme res publica.

Peu importe qu’il s’agisse d’un simple habitant ou d’une ancienne première dame de la Nation, croire la victime simplement en énonçant une exposition nous place dans les paramètres d’une époque endommagée. Je veux dire, une époque où les dégâts prennent leur pouvoir. Face à la destruction de ce qui est justifiable, l’esthétique exerce son pouvoir, cherchant à impressionner, affecter, surprendre, étonner, ressentir du ressentiment.

*Écrivain



#paradigme #victime
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