Un président de tribunal confronté à son passé judiciaire

Un président de tribunal confronté à son passé judiciaire

Le président a une mémoire exceptionnelle. En préparant l’audience du jour, il a reconnu le nom inscrit sur un dossier. Il lui rappelait quelque chose de sa jeunesse quand il était avocat. Après avoir fouillé dans ses archives stockées à la cave, le magistrat a finalement retrouvé ce qu’il cherchait. En 1997, il avait été désigné par le bureau d’aide juridique pour défendre un individu prénommé Albert (nom fictif). C’était donc il y a 26 ans ! Le rapport final indiquait seulement deux heures de prestation. Une intervention qui n’a pas nécessité beaucoup d’efforts. “Peut-être que c’était juste une visite en prison…” suggère-t-il. Le magistrat n’a aucun souvenir de cet homme, ni des faits qui lui étaient reprochés. Il n’est même pas sûr de l’avoir rencontré à l’époque.

“Est-ce que vous me connaissez ?”

La situation est tout de même particulière. “Pour moi, il n’y a pas de problème : vous n’avez pas traité le dossier”, intervient l’avocat d’Albert. “Mais peut-être que votre client se souvient de moi…” répond le président. Pour vérifier cela, le détenu est amené depuis les cellules du palais de justice de Bruxelles. Un homme d’une soixantaine d’années entre dans la salle, encadré par deux policiers.

“Est-ce que vous me connaissez ?” lui lance le magistrat. Le prévenu est un peu abasourdi et secoue la tête en signe de dénégation. “Ma tête ne vous dit rien ?” insiste le juge. “Non…” répond l’autre, perplexe. “Votre visage ne me dit rien non plus”, dit le président.

L’affaire peut donc commencer. Albert (65 ans), hirsute et mal rasé, est principalement accusé de coups et blessures volontaires, de viol sur une personne vulnérable, d’atteinte à l’intégrité sexuelle et de détention arbitraire d’une autre femme. L’intéressé s’exclame, offusqué : “Je vous assure devant Dieu que je n’ai pas fait ça”. Le président l’interrompt : “Il ne faut jamais jurer ! Surtout que selon la loi, vous êtes le seul à pouvoir mentir”. Le prévenu se rétracte. “Ah pardon, Monsieur le président.”

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Beaucoup de bruit, de cris et de hurlements

Divorcé et père de quatre enfants, Albert est invalide et vit de l’assurance maladie après une carrière d’indépendant. Il a également une longue histoire judiciaire : six condamnations correctionnelles sur une période de vingt ans. Le principal problème d’Albert est sa consommation excessive d’alcool. Quand il boit, il devient incontrôlable. Les habitants de l’immeuble où il réside à Auderghem en savent quelque chose. Le matin, il est aimable et courtois lorsqu’ils le croisent dans l’escalier. Mais l’après-midi, il devient agressif et hurle. Les voisins rapportent du bruit, des cris et des hurlements de femmes. Ils ont peur de lui. Il faut souligner que la police est intervenue à son domicile pas moins de 102 fois !

Des victimes piégées

Albert attire régulièrement des femmes vulnérables chez lui en leur proposant un verre ou un hébergement. Madame Leduc (nom fictif), une prostituée, a porté plainte contre lui en janvier 2023. À l’audience, elle raconte comment elle est tombée dans le piège. “Je l’avais déjà rencontré. Il est venu dans le quartier où je travaille et m’a proposé de venir chez lui pour des relations sexuelles tarifées. On paie d’avance pour une heure : c’est 50 euros.” Un forfait tout inclus. Madame Leduc les avait dissimulés dans la doublure de son sac.

Croquis de justice : le passé judiciaire du prévenu parle pour lui

Au bout du temps imparti, Monsieur a estimé ne pas avoir eu satisfaction. Mais le temps, c’est de l’argent, “et il avait bien dépassé son heure”, ajoute la plaignante. Elle rassemble alors ses affaires et s’apprête à partir. “Et là, il m’a donné un coup de poing en plein visage. Après, je ne me souviens de rien. Un trou noir.” Lorsqu’elle reprend ses esprits, la femme dans la cinquantaine se trouve dans un bus en direction de chez elle. Elle se sent très mal. Elle a des ecchymoses un peu partout, plus de sous-vêtements et des hématomes qui recouvrent ses cuisses, ce qui la fait penser qu’il l’a violée. “En tout cas, il m’a frappée !” Albert, quant à lui, ne sait plus vraiment ce qui s’est passé. L’alcool a noyé ses souvenirs. “J’ai peut-être juste bousculé cette femme.”

“Je suis quand même un homme…”

Quelques semaines plus tard, une autre femme sans domicile fixe a déposé plainte. Elle dormait chez le prévenu, à son invitation, pour éviter de se retrouver dans un centre d’accueil pour les sans-abri. Elle a ressenti des caresses. “Je vous le dis franchement – je suis quand même un homme : je me suis masturbé. Mais je ne l’ai pas pénétrée !” Il admet également avoir fermé la porte à clé et avoir donné une gifle parce qu’elle l’avait insulté de fils de pute. “J’ai perdu la tête.” Le certificat médical mentionne des blessures au visage, au dos, aux jambes et une coupure de 12 centimètres à l’aine. “Vous devez avoir la main lourde”, souligne le président. “J’étais complètement ivre. Je ne me souviens plus.” Lorsqu’il boit, il devient violent et considère les femmes comme des objets, résume un voisin.

Croquis de justice : lorsque la soirée dégénère

Si un doute subsiste quant au viol de Madame Leduc, les autres violences, physiques et sexuelles, sont avérées, estime le parquet. Le prévenu présente un profil inquiétant et un risque de récidive “extrêmement élevé” compte tenu du schéma dans lequel il s’est enfermé depuis plus de 20 ans, ajoute le procureur. Celui-ci réclame la peine maximale pour les charges retenues : 5 ans de prison. “Je ne veux prendre aucun risque pour la société.”

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