Un expert estime qu’un reportage de l’émission “Enquête” qui révélait des présumés abus sur des femmes autochtones de Val-d’Or par des policiers a enfreint plusieurs normes journalistiques et a même trompé le public.
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«S’il avait été réalisé selon les règles de l’art, je suis convaincu qu’il n’y aurait pas eu ce reportage… ou il aurait été différent […] Il aurait été beaucoup moins percutant, moins persuasif», a rapporté l’expert en journalisme Marc-François Bernier.
Le professeur à l’Université d’Ottawa est très critique du travail de la journaliste Josée Dupuis. Son rapport a été présenté devant le tribunal dans le cadre d’une poursuite en diffamation de 42 policiers contre la société d’État, en lien avec le reportage “Abus de la SQ: des femmes brisent le silence”, diffusé à l’émission “Enquête” en 2015.
Des témoignages non corroborés
La journaliste donnait la parole à des femmes autochtones de Val-d’Or, en Abitibi, qui affirmaient avoir été victimes de violences physiques et sexuelles par des policiers. Cela avait suscité une vive réaction, poussant même le gouvernement à créer la commission Viens sur les relations entre les Autochtones et les services publics.
Cependant, le reportage enfreint plusieurs normes de la déontologie du journalisme, détaille Marc-François Bernier dans son rapport de 90 pages. Entre autres, «de nombreuses allégations sont diffusées sans corroboration, sans même entreprendre une démarche de corroboration», constate-t-il.
«Lorsqu’il s’agit d’allégations graves, ici de nature criminelle, a déclaré M. Bernier en faisant référence aux présumés abus sexuels, il est nécessaire de vérifier autant que possible leur véracité.»
L’expert mentionne également le cas de Priscillia Papatie, qui a raconté avoir été abandonnée dans un stationnement de Walmart en pleine nuit par des policiers ayant détruit son téléphone portable. Cependant, elle a donné une version contradictoire de cet événement, que l’on peut entendre dans des extraits non utilisés lors du montage, révèle le rapport.
«La journaliste n’a pas cherché à vérifier quelle de ces versions était véridique», écrit M. Bernier. Il a précisé, lors de son témoignage, «qu’on disposait de pistes pour vérifier la vérité, mais nous ne les avons pas exploitées».
Un titre sensationnaliste
Le chercheur universitaire estime également que «en choisissant un titre trompeur et sensationnaliste, l’équipe d’Enquête et Radio-Canada ont enfreint la règle» de la rigueur et de l’exactitude.
Il souligne que la journaliste savait que certaines allégations remontaient à plusieurs années, alors que Val-d’Or était sous l’autorité de la sûreté municipale. Les “agresseurs” étaient d’anciens policiers déjà à la retraite ou des policiers en service à la Sûreté municipale de Val-d’Or.
«Quel titre incitatif[e] faussement les publics à poser un jugement critique et à s’indigner contre les policiers de la SQ en poste à Val-d’Or.»
«Je pense que le public a été induit en erreur et l’est toujours. Le reportage est toujours en ligne. Rien n’avertit le public qu’il doit se méfier de certains témoignages», a conclu Marc-François Bernier.
Rappelons que les policiers de la SQ qui affirment avoir subi «l’opprobre social» suite à la diffusion réclament 3 M$ en dommages pour diffamation.