Unamuno, l’intellectuel le plus censuré d’Europe

2024-07-17 18:59:33

mercredi 17 juillet 2024, 17h59

Près de neuf décennies après sa mort, Miguel de Unamuno a fini par convaincre plus que conquérir. La figure de l’écrivain, intellectuel européen le plus censuré de son époque, se précise au fil des années, même s’il continue d’échapper à toute tentative de catalogage. L’auteur du “Sentiment tragique de la vie” s’en prend à tout et à tous, ses attaques brutales contre la dictature de Primo de Rivera, l’alliance entre la monarchie et l’Église, le fascisme et le communisme révèlent une indépendance intellectuelle incorruptible, même si le prix j’ai dû payer pour cela, c’était cher. Ses détracteurs le qualifient d’incongru, mais changer d’avis n’est pas une honte, mais un signe d’honnêteté. «Je m’élève contre ceux qui critiquent ses paradoxes. Il avait une qualité énorme : Unamuno savait reconnaître qu’il avait commis une erreur, ce qu’il a fait avec la guerre civile et Franco”, explique l’hispaniste et experte unamunienne Colette Rabaté.

Miguel de Unamuno (Bilbao, 1864-Salamanque, 1936) a parfois été présenté comme un compagnon de voyage de la Phalange, alors qu’en réalité il était l’un des détracteurs les plus implacables des insurgés. Il est vrai qu’il a donné 5 000 pesetas aux rebelles, mais cet amour initial s’est avéré malheureux plus tard, lorsqu’il a écrit dans une lettre que les putschistes l’avaient kidnappé dans sa propre maison.

Les admirateurs d’Unamuno ont de la chance car ses phrases et ses discours continuent de susciter l’intérêt. La preuve en est l’exposition que la Bibliothèque nationale d’Espagne, à Madrid, vient d’inaugurer, « Unamuno et la politique ». De la plume à la parole», qui enquête sur les déclarations politiques de l’écrivain. L’exposition, qui restera ouverte jusqu’au 8 décembre, est composée de 165 pièces, dont des originaux et des photographies. On y trouve des manuscrits, des articles de presse, de nombreuses photographies et quelques objets, comme l’écharpe avec les insignes de l’Ordre de la République et le titre de Citoyen d’Honneur. Une reconnaissance frappante, puisqu’Unamuno a fini par être désenchanté par ce système politique, même s’il était député aux Cortès républicaines.

Les commissaires de l’exposition, le couple formé par Colette et Jean-Claude Rabaté, explorent des aspects moins connus du membre de la Génération de 98, au-delà de son âpre confrontation avec le fondateur de la Légion, José Millán Astray, en 1936. Unamuno Il était un agitateur permanent et un farouche représentant du mouvement anticolonial. C’est son opinion qui disait : « Nous méritons de perdre les colonies plus que parce que nous sommes cruels (ce que nous sommes) parce que nous sommes imbéciles et arrogants. »

“Il a pu reconnaître qu’il avait commis une erreur, ce qu’il a fait avec la guerre civile et Franco”, explique l’hispaniste Colette Rabaté.

Le spectateur peut entendre la voix du penseur, une voix rauque dont le propriétaire ne l’aimait pas. L’exposition comprend un enregistrement, le seul qui existe, avec les paroles de la créatrice de « La Tante Tula ». Malgré sa diction maladroite, aggravée par l’absence de certaines dents, le timbre aigu d’Unamuno prévalait dans les réunions et les conversations lorsqu’il déclamait contre la gauche et la droite. Ses paroles résonnèrent clairement le 12 octobre 1936 dans l’auditorium de l’Université de Salamanque, lorsqu’il aurait prononcé la maxime “vous gagnerez mais vous ne convaincrez pas”. En réalité, on ne sait pas exactement ce qu’il a déclaré. Ce devait être une réaction de colère face aux éclats de Millán-Astray puisque le lendemain, comme le souligne Jean-Claude Rabaté, il fut démis de ses fonctions de recteur de l’université de Salamanque.

vocation précoce

Le talent d’Unamuno était précoce : à l’âge de quinze ans, il écrivit son premier article politique et il continua ainsi jusqu’au jour de sa mort, le réveillon du Nouvel An 1936, où il se plaignit amèrement de son confinement, ordonné par la partie nationale. Sa mort, encore pleine de mystère, est survenue la veille du Nouvel An. «Ils me tiennent en otage, je ne sais pas quoi ni pourquoi. Mais s’ils doivent m’assassiner, comme d’autres, ce sera ici, chez moi”, a écrit le professeur de grec.

Ses invectives contre Alfonso XIII, Miguel Primo de Rivera et même son ami Manuel Azaña sont le reflet d’un engagement envers l’histoire de l’Espagne qui a failli se terminer par un « divorce ». “Un de ses petits-enfants m’a dit que son grand-père était mort à cause de la guerre civile”, raconte le professeur.

La catastrophe annuelle au Maroc en 1921, dans laquelle tombèrent plus de huit mille Espagnols, fut le déclencheur qui le fit renoncer à Alonso XIII, une circonstance qui le rapprocha encore plus du parti socialiste. Ce n’est pas une démarche improvisée : en 1921, il avait déjà adhéré au Groupe Socialiste de Bilbao. Ce n’est pas un hasard si Pablo Iglesias a même exigé qu’il fonde un petit groupe à Salamanque, un engagement auquel le philosophe a renoncé en raison du peu de rangs qui y seraient. Pour Colette Rabaté, l’écrivain, malgré son profond amour pour l’Espagne, détestait le « patriotisme ». Son talent correspondait à l’individualisme libéral comme moyen de coexistence, même s’il se définissait parfois comme un « anarchiste mystique ».

Personne n’a pu le prouver, mais Unamuno aurait pu perdre le prix Nobel de littérature pour ses attaques amères contre Hitler, qu’il a qualifié de « déficient mental et spirituel ». L’Université de Salamanque avait formellement demandé l’attribution du prix tant convoité en 1935, mais le Troisième Reich, selon certains, a insisté pour que le jury renonce. L’hypothèse manque actuellement de preuves pour la soutenir, selon l’hispanique.



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