Par : Dr James Gomez, directeur régional du Centre Asie et Celito Arlegue, directeur exécutif du Conseil des libéraux et démocrates asiatiques.
Alors que les valeurs démocratiques sont confrontées à des défis croissants à l’échelle mondiale, les organisations de la société civile (OSC), les communautés de la diaspora et les partis politiques partageant des valeurs communes doivent s’unir au sein d’une alliance panasiatique pour défendre et faire respecter les principes démocratiques fondamentaux. L’impératif d’une telle collaboration n’a jamais été aussi évident, compte tenu de la tendance alarmante au rétrécissement des espaces démocratiques dans la région.
Le Cambodge et Singapour servent d’exemples édifiants, soulignant la manière dont certains gouvernements interviennent pour dépolitiser les espaces civiques et intègrent des mesures juridiques pour inciter à l’auto-restriction sur les collaborations entre acteurs civiques et politiques.
Au Cambodge, les OSC sont confrontées à des défis et à des craintes importants lorsqu’elles s’associent à des partis d’opposition en raison de réglementations strictes et d’un espace civique limité. La loi de 2015 sur les associations et les organisations non gouvernementales (LANGO) impose la « neutralité politique », empêchant les OSC de s’engager dans toute activité politiquement perçue qui pourrait conduire à la répression gouvernementale et au harcèlement des organisations indépendantes. Les cas de menaces verbales et de violences physiques contre ceux qui contestent le parti au pouvoir ne sont pas rares au Cambodge. Ces actions creusent anormalement un fossé entre la diaspora, la société civile et les partis d’opposition basés au Cambodge.
À Singapour, les OSC doivent obtenir l’approbation du registraire des sociétés pour être enregistrées, car celles considérées comme « politiques » publiées dans le Journal officiel sont des associations politiques qui dépolitisent effectivement l’espace civique. Dans la cité-État, il n’est pas rare que les représentants des OSC et les militants universitaires autoproclamés expriment leur neutralité et s’abstiennent activement de s’engager avec les partis d’opposition. Le soutien financier et les liens avec l’étranger sont également maîtrisés via la loi de 2021 sur les ingérences étrangères (contre-mesures) qui vise à protéger l’état actuel de la politique des mesures d’influence extérieure.
Parmi ces défis, il existe des exemples positifs de coopération civique et politique dans les efforts visant à initier un changement démocratique, comme en témoignent la Thaïlande et la Malaisie.
Avant les élections de 2023, les OSC thaïlandaises ont étroitement collaboré avec le Parti Move Forward (MFP) pour signaler les lacunes politiques et ont soutenu la modification des lois existantes ou l’adoption de nouvelles lois. Cela présente un exemple de partenariat entre des partis politiques et des OSC indépendantes pour faire progresser les réformes structurelles dans des domaines clés tels que les droits de l’homme, la réforme agraire et les droits du travail. Dans le cas thaïlandais, les hommes politiques du MFP ont également exploité leur influence politique et leurs positions parlementaires pour faire entendre les réformes préconisées par les OSC.
En 2018, la Malaisie a été témoin d’une transformation politique importante portée par les mouvements Reformasi et BERSIH. Les OSC et les partis d’opposition se sont réunis pour contester la domination de la coalition au pouvoir depuis six décennies, Barisan Nasional (BN). En mobilisant des manifestations de masse et des campagnes pour des élections libres et équitables, la coalition a démontré le pouvoir de l’activisme populaire et de l’action collective pour conduire au changement politique. Elle s’est soldée par la victoire électorale de la coalition d’opposition, Pakatan Harapan (PH).
Il existe actuellement en Asie plusieurs initiatives démocratiques menées par les États. La Charte japonaise de coopération au développement de 2023 s’engage à soutenir la liberté et l’État de droit dans le cadre de son aide étrangère dans la région Asie-Pacifique. La Corée du Sud a engagé 100 millions de dollars pour soutenir le développement démocratique à l’étranger et a accueilli le Sommet pour la démocratie en 2024, signalant ainsi son attachement aux idéaux démocratiques. La nouvelle administration Lai Ching-te à Taiwan a promis de soutenir les démocraties de la région et de « présenter Taiwan comme une force du bien dans le monde entier ».
En Asie du Sud-Est, des rassemblements comme le Bali Democracy Forum (BDF) ont mis en valeur l’engagement initial de l’Indonésie après la réforme à favoriser la collaboration et à plaider en faveur de réformes démocratiques en Asie et dans le Pacifique. Cependant, son approche « inclusive » consistant à inclure des régimes non démocratiques tels que la Chine, l’Arabie saoudite et le Vietnam a soulevé des inquiétudes quant à son efficacité à respecter les principes démocratiques fondamentaux. Il y a également eu une différence perçue dans l’utilisation du BDF comme instrument de politique étrangère pour promouvoir ou projeter la démocratie à l’étranger entre l’administration de Susilo Bambang Yudhoyono et celle de Joko Widodo (Jokowi). Il reste à voir comment la nouvelle administration de Prabowo réagira au BDF.
Néanmoins, les défis démocratiques en Asie nécessitent un effort collectif plus large qui dépasse les États et transcende les frontières nationales. Il faut également aller au-delà des partis politiques et des groupements de la société civile actuellement cloisonnés.
Le Conseil des Libéraux et Démocrates d’Asie (CALD) est l’un des acteurs de longue date dans la région qui relie les partis politiques libéraux et les individus pour échanger des idées et leurs luttes uniques pour favoriser le soutien et les collaborations transfrontalières, tandis que l’Asia Democracy Network (ADN) vise à rassembler des organisations civiles et des défenseurs partageant les mêmes idées dans une plate-forme visant à promouvoir le dialogue et la collaboration régionaux ainsi qu’à renforcer les capacités des organisations de la société civile (OSC) à faire progresser les valeurs démocratiques.
Cependant, il existe un écart croissant entre les partis politiques et les OSC dans leurs efforts conjoints, même s’ils partagent un programme similaire en matière de défense des libertés civiques de leurs pays. Dans de nombreux cas, les communautés de la diaspora du Cambodge, de Hong Kong, du Laos, du Myanmar, de Thaïlande et du Vietnam sont intéressées mais sont souvent exclues.
Un facteur clé entravant une telle collaboration est la campagne de peur dirigée contre toute forme de construction de coalition démocratique. L’objectif est de diminuer la confiance entre les partis politiques, les organisations de la société civile et les communautés de la diaspora alors qu’ils tentent de trouver un terrain d’entente sur des questions politiques spécifiques. La crainte d’une réaction violente de la part des autorités contribue à l’aversion à l’égard de la collaboration sur des questions politiques très importantes ou sur des initiatives de réforme, ce qui empêche la formation d’une large coalition démocratique.
Même si ces facteurs peuvent conduire à l’antagonisme, à la compétition et à l’hostilité entre les partis civiques et politiques, pour relever ces défis, il faut instaurer la confiance, trouver un terrain d’entente, favoriser le dialogue et reconnaître les avantages mutuels de la collaboration.
En marge du 3e Sommet de la démocratie en Corée du Sud en mars 2024, Asia Center et CALD, membres de la Coalition mondiale pour la démocratie, ont mené plusieurs discussions sur la manière de revitaliser la démocratie en Asie. Une suggestion était d’établir une alliance pan-asiatique d’OSC, de communautés de la diaspora et de partis politiques partageant des valeurs communes autour de la démocratie pour conduire cette revitalisation. Une telle alliance doit être fondée sur des principes démocratiques, collaborative et innovante dans son approche et tournée vers l’avenir dans ses stratégies. Il doit être dirigé par les parties prenantes de la région et répondre aux défis démocratiques uniques en Asie, mais ouvert à la collaboration et au partage des connaissances avec le reste du monde.
En fournissant une plate-forme pour faciliter l’échange d’idées et de stratégies, l’Alliance panasiatique peut permettre à ses membres et partenaires de se rassembler pour une cause commune. En tirant parti de l’influence collective et des forces respectives, la coalition peut encourager le respect des principes démocratiques et défendre les valeurs des droits de l’homme tout en intensifiant ses engagements avec les parties prenantes régionales et internationales pour renforcer les institutions démocratiques au sein de leurs pays.
En conclusion, la nécessité croissante d’établir une alliance panasiatique d’OSC, de communautés de la diaspora et de partis politiques pour défendre les valeurs démocratiques n’a jamais été aussi évidente. Face à l’autoritarisme croissant et à l’érosion des libertés démocratiques, les peuples d’Asie et d’ailleurs doivent s’unir pour défendre les principes de la démocratie. En tirant les leçons des défis et des réussites de chacun, nous pouvons tracer la voie vers un avenir plus démocratique et plus inclusif pour l’Asie.
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2024-05-10 14:31:12
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