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une collaboration étroite et fructueuse

une collaboration étroite et fructueuse

Lorsque l’étoile montante du street art Jean-Michel Basquiat, premier peintre noir reconnu par la critique décédé à l’âge de 27 ans des suites d’une overdose, rencontre la superstar du pop art new-yorkais Andy Warhol, une collaboration unique s’est mise en place : 160 toiles peintes ensemble en deux ans . A la Fondation Louis Vuitton à Paris, l’exposition “Basquiat x Warhol, à quatre mains” raconte cette aventure inédite et fructueuse entre deux artistes disparus peu après. Entretien avec le commissaire associé Olivier Michelon.

Par Siegfried Forster

RFI : Comment est née cette collaboration à quatre entre Basquiat et Warhol ?

Olivier Michelon : La collaboration a commencé comme une amitié, lorsque Jean-Michel Basquiat a rencontré Andy Warhol en 1982. Il lui a offert un tableau les représentant tous les deux. Par la suite, il y a eu une série de portraits croisés entre les deux artistes. Warhol a ensuite donné à Basquiat quelques tableaux à peindre. Bientôt, les deux artistes finiront par travailler ensemble, dans le même atelier, sur les mêmes toiles.

RFI : Au départ, Basquiat avait une admiration sans borne pour Warhol. Warhol, pour sa part, était initialement assez sceptique vis-à-vis de ce très jeune peintre, Jean-Michel Basquiat, né à Brooklyn en 1960. Qu’ont-ils appris ou gagné tous les deux de ce travail commun ?

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Olivier Michelon : Jean-Michel Basquiat admire Warhol depuis son adolescence. Il a essayé de le rencontrer plusieurs fois. Warhol voit dans la nouvelle scène artistique new-yorkaise une épreuve d’énergie, une nouveauté qui l’intéresse. C’est pourquoi il s’intéresse également à l’œuvre de Jean-Michel Basquiat. Quand les deux se sont rencontrés, l’amitié allait être très rapide. Techniquement, c’est le moment où Warhol revient à la peinture pour de vrai, au dessin à la main, et non plus à la sérigraphie. Elle permettra à Jean-Michel Basquiat de travailler dans les grands formats. Et tous deux vont confronter leurs univers, leurs styles mais aussi leurs répertoires de formes.

Visiteur devant la toile “Deux têtes” peinte en 1982 par Jean-Michel Basquiat montrant Basquiat avec Andy Warhol, dans l’exposition “Basquiat x Warhol, à quatre mains”, à la Fondation Louis Vuitton à Paris. © Siegfried Forster / RFI

RFI : Warhol puisait souvent sa puissance de l’extérieur, des logos, des marques, de la gloire que lui apportait la télévision. Avec Basquiat, en revanche, c’est plus l’intérieur qui ressort, les émotions, la colère, la jeunesse… Dans votre travail en commun, dans vos oeuvres créées à quatre mains, quel est le troisième œil de votre collaboration ? ?

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Olivier Michelon : On pourrait opposer le travail de Jean-Michel Basquiat à celui d’Andy Warhol, avec un côté distant et un côté plus rapide, entre un univers volé aux médias et un autre qui serait plus subjectif… A mon avis, les choses c’est un peu plus compliqué. Jean-Michel Basquiat disait qu’il copiait, mais de sa propre main. Il a toujours travaillé la photocopie, il a aussi fait de la sérigraphie. Alors les choses se brouillent. C’est ce qui a créé ce que Keith Haring a appelé un “troisième esprit”. C’est-à-dire que lorsque ces deux artistes travaillent ensemble, on voit évidemment leurs signes respectifs, on voit leur style, leur manière, leur “main”. Mais chacun s’approprie les signes de l’autre, et aussi la façon de faire de l’autre. Et cela crée cet autre artiste qui serait « Basquiatwarhol » et non Basquiat ou Warhol.

RFI : L’affiche de l’exposition en utilise une autre d’époque pour symboliser cette collaboration à quatre mains, montrant les deux artistes portant des gants de boxe. Cette iconographie s’inspire-t-elle du “combat du siècle” entre Mohamed Ali et George Foreman à Kinshasa en 1974 ?

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Olivier Michelon : A mon avis, on est plus proche des affiches de boxe des années 30 et 50 que du “combat du siècle”. Lorsque Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol décident de faire l’exposition ensemble, chez Tony Shafrazi, en 1985, ils mettent en place l’exposition avec une affiche dans laquelle ils apparaissent en boxeurs. Avec cette idée de combat, de promotion. C’est évidemment un geste amusant. La boxe est aussi une iconographie très chère à Basquiat, car le boxeur est le prototype du héros, mais aussi du martyr. Pour Warhol, il y a peut-être un côté plus pop. Dans l’exposition, avec une autre œuvre basée sur la boxe, Dix sacs de frappeon voit que les choses sont un peu plus compliquées, un peu plus tristes aussi, que cet aspect ludique du combat.

Vue de l’exposition “Basquiat x Warhol, à quatre mains”, à la Fondation Louis Vuitton à Paris. © Siegfried Forster / RFI

RFI : L’Installation Dix sacs de frappe (Last Supper), créé entre 1985 et 1986 mais jamais exposé du vivant de Basquiat et Warhol, fait référence à une potence et son cortège de pendaisons noires, évoqué par la chanson de Billie Holiday “Strange Fruits”. Le monde afro-américain, voire africain, apparaît plusieurs fois dans les œuvres à quatre mains. Est Masques Africainsl’œuvre la plus monumentale de l’exposition, véritablement « un chef-d’œuvre de l’art africain », comme l’appelait Warhol ?

Olivier Michelon : Ce n’est pas un chef-d’œuvre africain, c’est une peinture réalisée à New York en 1984 par Andy Warhol et Jean-Michel Basquiat, avec une iconographie africaine. Iconographie tirée de livres ou du Metropolitan Museum, où se tenait cette même année une grande exposition, “Primitivism in Modern Art”, dans laquelle nombre de ces œuvres étaient exposées. Warhol disait de cette oeuvre qu'”elle mesure plus de 30 mètres”, en réalité elle mesure 10 ou 11 mètres, ce qui est déjà beaucoup. Au-delà de sa taille, c’est une œuvre dérangeante, car on ne sait pas ce que fait Warhol dans ce cas. Mais vous pouvez voir que certains de ces masques ont été conçus par Andy Warhol.

RFI : Quelle était la relation entre les deux artistes et l’Afrique ?

Olivier Michelon : La relation d’Andy Warhol avec l’Afrique m’est difficile à répondre. Je ne la connais pas, je ne sais même pas si Andy Warhol était sur le continent africain. Jean-Michel Basquiat s’est rendu une fois en Afrique, après ses collaborations avec Andy Warhol. En tant qu’Afro-américain, originaire d’Haïti, la région des Caraïbes est évidemment quelque chose qui l’intéresse. Il a également beaucoup travaillé sur les mythologies ou pratiques rituelles ouest-africaines, notamment les mythes des Yoruba.

Détail du tableau “Masques Africains” (1985), réalisé conjointement par Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol, exposé à “Basquiat x Warhol, à quatre mains”, à la Fondation Louis Vuitton à Paris. © Siegfried Forster / RFI

RFI : Taxi, 45e/Broadway c’est aussi une collaboration à quatre mains. Warhol a peint une carrosserie de voiture jaune et Basquiat a peint ses expériences en tant qu’homme noir dans une société américaine très raciste. Comment avez-vous travaillé sur cette pièce ?

Olivier Michelon : Parmi les oeuvres exposées figure Taxi, 45e rue/Broadway, représentant une scène où l’on imagine que Warhol a peint pour la première fois ce drôle de corps de taxi jaune, un peu comme un jouet d’enfant. Basquiat y a mis fin en mettant en place un chauffeur de taxi grossier qui insulte une personne essayant de prendre un taxi. Selon les témoignages dont nous disposons, cette personne est Jean-Michel Basquiat, qui tente de monter dans un taxi et le taxi refuse de le voir. Là où le tableau est encore plus complexe, c’est quand on se rend compte que cette personne n’est pas seulement noire, mais seulement dessinée, réellement invisible.

RFI : L’exposition célèbre ces œuvres à quatre mains d’Andy Warhol et de Jean-Michel Basquiat comme des chefs-d’œuvre, mais au moment de l’exposition en 1985, les deux artistes ont été vivement critiqués. Pourquoi la collaboration entre Warhol et Basquiat a-t-elle pris fin ?

Olivier Michelon : En 1985, lorsqu’ils exposent ensemble, les critiques sont plutôt négatives. D’une certaine manière, les critiques savaient déjà ce qu’ils allaient dire : un vieil artiste en quête de jeunesse. Un jeune homme en quête de gloire. Sur cette base, l’accueil ne pouvait être “incroyable”. Et Basquiat a été piqué par ces critiques. Peut-être à cause de sa jeunesse, car c’est une exposition médiatique assez forte pour lui. Pour Warhol, les choses sont un peu plus simples. Il avait plus de distance avec les choses. Et c’est à ce moment-là que la collaboration s’est éloignée, bien que les artistes aient continué à se voir, et même à travailler un peu ensemble, comme on peut le voir dans l’exposition, avec Dix sacs de frappe (Last Supper).

Détail du tableau “Taxi, 45th/Broadway” (1984-1985), réalisé conjointement par Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol, exposé à “Basquiat x Warhol, à quatre mains”, à la Fondation Louis Vuitton à Paris. © Siegfried Forster / RFI

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