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Une entreprise chinoise a vendu deux satellites de renseignement aux mercenaires russes de Wagner

Une entreprise chinoise a vendu deux satellites de renseignement aux mercenaires russes de Wagner

2023-10-05 14:33:00

Le groupe paramilitaire russe Wagner, autrefois présent en Ukraine et actif en Afrique, a signé fin 2022 un contrat avec une entreprise chinoise pour acquérir deux satellites d’observation et d’imagerie, lui conférant une puissance de renseignement sans précédent, selon ce document consulté par l’AFP.

“Dites-moi qui a des satellites de reconnaissance dans ce pays en dehors de l’EPSD [Empresa Proveedora de Servicios de Defensa] Wagner”, ironisait en avril son patron Eugène Prigojine sur la messagerie Telegram, en faisant référence aux capacités spatiales limitées de l’armée régulière russe.

Au terme d’un long travail d’enquête, l’AFP a pu éclaircir les liens entre Wagner et les sociétés chinoises qui fournissaient des informations obtenues par satellite aux mercenaires russes.

Selon une source sécuritaire européenne, certaines de ces images l’ont même aidé à préparer sa mutinerie de juin dernier, la plus grande menace à laquelle le président russe Vladimir Poutine ait été confronté en deux décennies de pouvoir.

Et cela soulève une question : que savait la Chine des projets de Wagner contre son allié russe ?

Selon un contrat commercial rédigé en anglais et en russe et signé le 15 novembre 2022, la société Beijing Yunze Technology Co. Ltd a vendu pour 235 millions de yuans (environ 31 millions de dollars) à Nika-Frut, une société de la galaxie Prigozhin. deux satellites d’observation à très haute résolution (75 cm) appartenant au géant chinois du secteur spatial Chang Guang Satellite Technology (CGST).

L’accord prévoit également la fourniture d’images de la constellation CGST sur demande. Selon la source sécuritaire européenne, cela a permis à Wagner d’obtenir des images de l’Ukraine et de l’Afrique (Libye, Soudan, Centrafrique, Mali…), où opèrent ses mercenaires.

Une mutinerie en préparation

La société russe a même commandé quelque 80 images du territoire russe fin mai 2023, notamment de la route entre la frontière ukrainienne et Moscou qu’ont empruntée les mercenaires le mois suivant lors de leur brève mutinerie, selon cette source.

Cette mutinerie déjouée en 24 heures a consommé la rupture définitive entre Poutine et Prigojine, quelques semaines avant sa mort.

L’AFP n’a pas pu vérifier de manière indépendante cette information, qui ne figure pas dans le contrat cité.

Mais cette fuite pourrait expliquer pourquoi les services de renseignement américains savaient que le patron de Wagner préparait une mutinerie, comme l’avait révélé CNN fin juin. Leurs homologues français étaient également au courant, selon le journal L’Opinion.

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Le groupe Wagner est actuellement en pleine réorganisation, mais une bonne partie de ses activités lucratives à l’étranger pourraient rester sous l’égide d’autres groupes paramilitaires ou d’une nouvelle direction contrôlée par Moscou.

Selon les informations recueillies par l’AFP, le contrat spatial est toujours en vigueur et prévoit l’acquisition de deux satellites chinois, JL-1 GF03D 12 et JL-1 GF03D 13, en orbite à 535 kilomètres d’altitude.

A travers ce contrat, le client a également acquis les droits sur le reste des satellites de la constellation exploitée par le chinois CGST, qui en compte actuellement une centaine et espère atteindre 300 d’ici 2025.

L’accord prévoit qu’après avoir reçu chaque commande de son client, “le fournisseur orientera les satellites” sur la base des images demandées, avant que celles-ci ne soient envoyées à une station au sol pour traitement et fourniture.

“Le client téléchargera les données d’image depuis le cloud” et pourra les conserver pendant sept jours.

Les groupes Nika-Frut et Beijing Yunze n’ont pas immédiatement répondu aux questions de l’AFP.

Capacités russes limitées

Pourquoi l’armée russe n’a-t-elle pas pu fournir directement ces images à Wagner ?

“La Russie ne dispose pas de ce type de capacités. Son programme satellitaire n’a pas bien fonctionné ces derniers temps”, explique à l’AFP Gregory Falco, chercheur à l’université américaine Cornell de New York.

Wagner, pour sa part, a parfois démontré disposer d’une capacité de renseignement supérieure à celle des forces armées russes, ajoute l’expert.

La fourniture par la Chine d’images satellite de la galaxie Wagner ne surprendra pas les États-Unis. Le ministère américain du Commerce a décidé le 24 février 2023 d’inclure Beijing Yunze Technology Co. Ltd et le courtier en imagerie satellite Head Aerospace Technology sur sa liste de sanctions.

“Ces sociétés ont contribué de manière significative” à aider l’armée russe en Ukraine et “sont impliquées dans des activités contraires à la sécurité nationale des Etats-Unis et [sus] intérêts”, selon un document officiel en ligne.

Le 12 avril 2023, Washington a également sanctionné « 80 entités et individus qui continuent de permettre et de faciliter l’agression russe ».

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Parmi les premiers se trouve Head Aerospace Technology, qui distribue “des images satellite de sites en Ukraine aux sociétés affiliées à l’EPSD Wagner et Yevgeny Prigozhin”.

L’AFP a pu vérifier l’identité du signataire du contrat côté russe : Ivan Mechetin. Selon plusieurs sources, cet homme de 40 ans est le directeur général de la société Nika-Frut, filiale du groupe Concord dirigé par Prigojine.

“Nika-Frut est enregistrée comme entreprise de commerce de produits alimentaires, mais elle fait bien d’autres choses. C’est un modèle bien connu dans la galaxie Prigojine”, explique Lou Osborn de l’ONG de recherche numérique All Eyes on Wagner (AEOW).

Selon des enquêtes menées auprès de sources en libre accès, Nika-Frut a envoyé plusieurs commandes de produits alimentaires en Centrafrique en 2019 pour la société minière Lobaye Invest.

Cette société est une filiale historique de la société M-Finans, que Prigozhin contrôlait dans le passé et qui est liée aux opérations du groupe Wagner dans ce pays africain. Lobaye Invest fait l’objet de sanctions européennes depuis février.

Selon l’AEOW, Mechetin a également fait carrière dans une unité de soutien militaire qui a fourni des armes et des munitions au GRU, le renseignement militaire russe, lors de l’invasion de la péninsule ukrainienne de Crimée en 2014.

Beijing Yunze négocie les technologies de défense au nom de Pékin. La société Head Aerospace, de son côté, aurait, selon plusieurs experts, un accord de commercialisation avec le constructeur de satellites CGST.

CGST “est le monstre des opérations spatiales chinoises”, “ils ont réalisé beaucoup d’espionnage industriel”, commente Grégory Falco, évoquant les capacités de résolution “spectaculaires” de leurs satellites.

Ses centaines de satellites leur permettent également de passer plusieurs fois par jour au-dessus d’un même point, ce qui offre un niveau d’information très actuel.

Que savait Pékin ?

Mais l’un des principaux doutes est de savoir si les autorités de Pékin savaient que Wagner avait commandé des images satellite du territoire russe dès la fin mai, quelques semaines avant sa mutinerie contre Poutine.

Selon la source sécuritaire européenne, ces images intéressaient le quartier général des opérations russes en Ukraine, à Rostov-sur-le-Don, dont Wagner s’est emparé sans combat ; vers d’autres villes en route vers Moscou, et vers d’autres sites d’intérêt militaire, comme Grozny, fief du leader tchétchène pro-Poutine, Ramzan Kadyrov.

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Les hautes sphères du pouvoir chinois savaient-elles que Wagner demandait ces informations sensibles, alors que l’on savait que Prigojine entretenait de mauvaises relations avec le chef d’état-major russe, Valery Gerasimov, et avec le ministre de la Défense, Sergueï Choïgu ?

Le ministère chinois des Affaires étrangères a déclaré à l’AFP qu’il n’en était “pas au courant”.

“La Chine s’est toujours montrée responsable dans ses exportations et a pris des mesures prudentes, applique rigoureusement les lois et réglementations nationales et respecte ses obligations internationales”, a-t-il ajouté.

Pour un expert européen du secteur spatial, qui a requis l’anonymat en raison de la sensibilité du sujet, il est “évident” que les plus hautes autorités chinoises soient informées d’arrêtés sensibles à la CGST.

“Il ne fait aucun doute que cela est envoyé directement” au pouvoir central chinois, estime-t-il.

En théorie, la loi chinoise confirme qu’un tel contrat ne peut être exécuté en secret. Selon l’article 7 de la loi sur le renseignement national, promulguée en 2017, « toutes les organisations et tous les citoyens doivent soutenir, assister et coopérer aux efforts des services nationaux de renseignement ».

Mais d’autres experts sont plus prudents.

“Le niveau de centralisation de la Chine est surestimé. Toute opération peut être la cible d’une concurrence entre dirigeants, administrations, unités d’une même administration. Cela provoque de l’opacité, de la rétention, voire du sabotage”, explique Paul Charon, spécialiste de la Chine à l’Institut de recherche stratégique de l’Institut de recherche stratégique de la Chine. Ecole Militaire (IRSEM) à Paris.

Une autre hypothèse serait que les Chinois, comme beaucoup d’autres, « n’ont pas compris ce qui s’est passé dans les semaines précédant l’émeute ». “Les images demandées sur la Russie pourraient également avoir trait à l’Ukraine, avec l’identification de failles dans le dispositif russe. Il est possible que les objectifs derrière la demande n’aient pas été remis en cause”, ajoute-t-il.



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