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Une vie sur la plantation : amour, détermination et danger

Une vie sur la plantation : amour, détermination et danger

Jus de canne à sucre, gouttes de sang, perles de sueur, sa vie dans la plantation est loin d’être aride. * -Tu as du sang ici. Nagamootoo pose un baiser sur le cou marqué par les traces rouges laissées par le mondain ensanglanté. Il passe sa langue sur ses lèvres sans la lâcher et se surprend à apprécier le goût métallique salé du sang, de la sueur et du jus de canne à sucre. Mmmm… ça a le goût de l’urukka. Il ferme les yeux pour se rappeler du goût du condiment. -Fais-moi à manger pendant que je me lave, mon ventre, il crie. Feignant la colère, Panchami le repousse et prend le chemin vers le Ravine de Saint Gilles. Étonné de l’entendre parler créole, Nagamootoo sourit et part vers le boucan. L’absence de sa bien-aimée l’arrange, car il avait décidé de lui préparer un vrai festin ce soir. * L’esprit de Panchami s’évade en longeant le Canal Bruniquel. Elle n’avait que 16, 17 ans lorsqu’elle suivit son mari Samikannu pour s’installer à l’île de la Réunion. Après son deuxième contrat, ce dernier revint à Pondichéry pour se trouver une épouse, et c’est tout naturellement qu’il se maria avec sa nièce Panchami. Cette dernière n’aurait jamais imaginé que sa vie prendrait pareil tournant. Partir loin des siens vers une destination inconnue lui faisait peur. Mais ces contrées lointaines ne lui étaient pourtant pas étrangères, car elle habitait dans le Coolietheruvu qui se trouvait à proximité du temple de Draupadi, à l’entrée du village de Murungapakkam, au sud de Pondichéry. Appelée de cette façon à cause des habitants qui avaient un lien avec l’engagisme, la rue des coolies vivait au rythme des départs et retours des engagés qui défiaient immuablement leur destin. Panchami n’était qu’une jeune fille vêtue de paavadai-sattai lorsque Samikannu revint de Maurice la première fois. Son corps robuste et sa grosse moustache lui faisaient peur. Elle se cachait derrière sa mère à chaque fois qu’il cherchait à l’attirer vers lui pour s’amuser avec elle. Elle l’observait du coin de l’œil sans oser l’approcher. Elle ne s’est jamais sentie proche de lui malgré les plaisanteries de sa famille, car elle était la promise de Samikannu. Son destin habillé de daawani qui attendait son retour, partit drapé de sari vers la Réunion. * Panchami abandonne un instant ses souvenirs à l’entrée du premier tunnel creusé dans la roche. Il fallait faire attention car la pente du ravin est abrupte dû probablement à un éboulement. Elle traverse le deuxième tunnel puis une étroite faille, et arrive enfin au Bassin Malheur. Fatiguée par la marche, elle s’assied sur un rocher au pied de la cascade. « Paazha pônè Mascareignes !» Des larmes coulent lorsqu’elle pense au navire qui avait transporté cette maudite maladie qui emporta son Samikannu. Elle en voulait au capitaine Joseph d’Agnel et son subrécargue Joseph Menon qui dédaignèrent le choléra qui sévissait à Kilwa d’où le navire quitta chargé d’engagés africains. Elle avait prié tous les dieux, avait marché des kilomètres et des kilomètres pour aller à la nouvelle chapelle de La Salette à Saint-Leu pour sauver son mari. De confession hindoue, cette double pratique religieuse ne lui était pas étrangère, car depuis des générations, sa famille se rendait fréquemment à l’église de Notre Dame de la Santé d’Ariyankuppam. Mais le destin en décida autrement… Samikannu succomba à la maladie et la laissa toute seule sans famille. Le premier réflexe de Panchami fut de rentrer chez elle. Mais connaissant le sort réservé aux veuves dans la société indienne, elle écarta cette idée. On l’aurait vêtue de blanc, on l’aurait cloîtrée en quatre murs sans aucune vie sociale, et à 20 ans son existence se serait arrêtée aux portes des paradis interdits. Panchami ne voulait pas se plier à cette tradition injuste, aussi décida-t-elle de rester à la Réunion et continuer la vie qu’elle avait commencée. Advienne que pourra ! * -Néna rien ke ton dent ke lé blan kom un grain de riz. Nagamootoo tend l’assiette à Panchami qui savourait son rhum préféré. -Tu t’es surpassé aujourd’hui mon gaté. C’est un vrai festin que tu m’as préparé là. -Riz sosso, cari de sauté de porc, rougail saucisses au piment oiseau et rougail boucané bringel. Un sillarai pāttu mélancolique s’élève vers le ciel brumeux pour interrompre le silence triste de la plantation. « Je me sens bien dans tes bras » Lovée contre Nagamootoo, Panchami dessine des formes insignifiantes sur son torse. -Alors pourquoi ne pas rester avec moi Panchami ? Sa voix se fait suppliante. -Ne gâche pas ce moment agréable Nagamootoo. Elle, comme toi, fait aussi partie de ma vie. Je ne peux pas choisir… * Panchami presse le pas, elle est en retard pour le grand jour. On allait ouvrir la Chapelle Massalin Karly qui était le premier temple de la plantation, et tout le monde était exalté. Panchami termina sa journée plus tôt que d’habitude et partit prendre son bain habituel au Bassin Malheur. Sur le chemin du retour, elle est encore envahie par le doute. Doit-elle y aller avec Raharianne ou Nagamootoo ? Ce dernier aurait été le choix naturel du fait qu’il était hindou comme elle ; mais Panchami n’avait pas peur des ragots. Tout le monde savait qu’elle était une femme libérée. * Une odeur de cigare l’accueille lorsqu’elle franchit la lisière du champ de canne à sucre
#Suc #canne #gouttes #sang #perles #sueur
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