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Valenciennes. Marguerite Porete, une héroïne médiévale méconnue

Valenciennes. Marguerite Porete, une héroïne médiévale méconnue

L’historien médiéviste Sylvain Piron l’affirme : « Nous sommes ici face à une véritable figure du féminisme. Face à une jeune femme importante et courageuse du Moyen-Âge, au même titre que l’a été Jeanne d’Arc, et dont on devrait parler beaucoup plus« . Partout dans le monde, Marguerite Porete fait l’objet d’un intérêt grandissant auprès des chercheurs. Son histoire, on la retrouve également dans une multitude de vidéos (souvent anglo-saxonnes) sur YouTube, ou de podcasts sur les plateformes de streaming. Et s’il s’agit tout d’abord d’une histoire valenciennoise, il faut reconnaître qu’à Valenciennes – justement – nous sommes finalement que très peu à avoir entendu parler d’elle. Marguerite Porete fait-elle partie de cette catégorie « des figures historiques à réhabiliter » ? « C’est précisément cela« , répond l’historien Sylvain Piron.

Brulée en place
de Grève à Paris

Comme une « mystique incandescente« , voilà comment Marguerite Porete – femme de lettres et chrétienne du courant des béguines – a traversé les âges. Née à la moitié du 13e siècle, elle sera brûlée pour hérésie le 1est juin 1310 en place de Grève à Paris avec son livre intitulé Le Miroir des âmes simples. Pour les spécialistes, elle figure parmi « les martyrs de la liberté de penser« . Et si on vous en parle, c’est tout simplement parce que pour Marguerite Porete, tout a commencé à Valenciennes, dans le béguinage (quelques vestiges subsistent encore aujourd’hui à proximité de la basilique Notre-Dame) où elle vivait au milieu d’une communauté de femmes très pieuses, souvent veuves ou refusant de se marier, et dévouées à l’enseignement ou encore à l’aide à apporter aux démunis, qu’ils soient malades ou tout simplement pauvres. À la différence des nonnes dans un couvent, les béguines ne prononcent pas de vœu d’obéissance, de chasteté et de pauvreté.

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La vie de Marguerite Porete basculera lorsqu’elle écrira un ouvrage en son nom. Pour ensuite le lire dans Valenciennes à haute voix, et de façon itinérante. Cet ouvrage, intitulé Le Miroir des âmes simples, est décrit comme « un livre d’itinéraire spirituel« . Dans celui-ci, est développée « l’idée que l’amour de Dieu peut s’exprimer sans la nécessité d’un clergé établi entre le fidèle et Dieu« , explique Sarah Rey, maître de conférences en histoire ancienne à l’Université Polytechnique Hauts-de-France. L’idée que l’on peut développer une foi « personnelle« , tendant vers « une démocratisation » de la piété en dehors de tout establishment ecclésiastique.

Ou, le 13e siècle est un siècle « très pieux« . Et le contexte historique ne se montre que très peu tolérant envers cette idée de la foi. Elle sera condamnée une première fois à Valenciennes par l’évêque de Cambrai Gui de Colle Medio. Un exemplaire de son ouvrage, déclaré comme étant « hérétique« , sera brûlé sur la place d’Armes. L’histoire de Marguerite Porete se poursuivra à Châlons-en-Champagne (« alors qu’elle était sans doute en exil »affirme Sylvain Piron) où quelques années plus tard – « pensant sans doute que l’affaire était retombée » – elle décidera de procéder à nouveau à la lecture de son ouvrage en public. C’est ainsi qu’elle sera arrêtée, emprisonnée durant plus d’un an, avant d’être finalement brûlée sur la place de Grève à Paris, le même jour que sept Templiers. « Cet épisode s’inscrit sous le règne très particulier, très dur et arbitraire de Philippe Le Bel. Dans un moment où la monarchie française se durcit, car se sentant menacée par des affirmations religieuses alternatives qui, selon la monarchie, aurait pu déséquilibrer la solidité du royaume de France », explique Sarah Rey.

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« La monarchie s’est servie d’elle comme d’un exemple contre les hérétiques (…) Marguerite Porete a été condamnée parce qu’elle ne savait pas comment il fallait parler de Dieu. Elle l’a fait de façon naïve et directe, sans maîtriser la langue théologique. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’elle n’a rien contre l’Église, ni contre la religion. Bien au contraire, elle passait sa vie en prière. Elle était juste elle-même. Jeune, et n’ayant pas bénéficié d’une véritable éducation, Marguerite Porete a également eu l’audace d’écrire cet ouvrage en langue valenciennoise (le rouchi, ndlr) et non en latin« , poursuit l’historien Sylvain Piron. « Plus on creuse, plus l’on découvre d’ailleurs que l’histoire de la chrétienté de l’époque a beaucoup tourné autour d’elle« , ajoute Sarah Rey. En effet, en 1312, cette condamnation contribua à la rédaction d’un canon du concile de Vienne qui dénonçait l’hérésie dite « du Libre-Esprit ». « Les autorités ecclésiastiques de l’époque ont considéré que l’œuvre de Marguerite Porete aurait pu contribuer à une sorte de révolution. Et qu’il fallait tout faire pour y mettre un terme« . Son texte Le Miroir des âmes simples a tout de même survécu à travers les siècles grâce à différentes traductions. « Ce qui pourrait traduire l’intérêt qu’une certaine partie du clergé portait à ce genre de texte, malgré le sort qui a été réservé à son autrice« . Aujourd’hui, ce livre est traduit dans de nombreuses langues. Il bénéficie d’une édition de référence chez Albin Michel. Et il est considéré comme l’une des œuvres majeures de la littérature médiévale.

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Une rue à son nom ?

« Marguerite Porete devrait être érigée en tant que grande figure locale à Valenciennes« , estime Sylvain Piron. Avec d’autres chercheurs, celui-ci souhaiterait que le nom d’une rue ou d’une place de Valenciennes soit attribué à Marguerite Porete, qui a aussi été l’héroïne d’un roman historique à succès intitulé La nuit des Béguines, d’Aline Kiner paru en 2017 aux éditions Liana Lévi.

Le meilleur spécialiste français de Marguerite Porete, Sylvain Piron (directeur d’études à l’EHESS), viendra ce samedi 8 octobre à l’Université de Valenciennes (bâtiment des Tertiales) pour une conférence qui abordera les dernières découvertes concernant ce personnage historique qui attend de trouver sa place dans la mémoire de la ville. Il fera part notamment des résultats atteints par la jeune historienne chinoise Huanan Lu, qui a consacré sa thèse au béguinage Saint-Elisabeth de Valenciennes, thèse soutenue l’an dernier sous la direction de S. Piron. Cette intervention se fera dans le cadre de l’Assemblée générale de l’Association de Sauvegarde du patrimoine valenciennois, qui débutera à 14h30. L’entrée est libre.

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