Sur la nouvelle carte modélisant le plan local d’urbanisme de Vincennes, leurs pavillons ont été intégrés dans des parallélogrammes rouges. Mais fin 2015, alors que s’achève l’enquête publique, la plupart des propriétaires dont les logements se situent sur des emplacements réservés pour la densification ne s’aperçoivent de rien. «Nous n’avons pas été assez réactifs et avons découvert trop tard que nos parcelles avaient été désignées pour remplir les objectifs de construction de logements sociaux de la ville. Il faut dire que l’on ne nous a pas prévenu individuellement ! Lorsque nous avons tenté d’obtenir des explications de la municipalité, elle nous a expliqué que nos logements étaient des dents creuses et qu’il y avait mieux à faire»se souvient Pierre Benoît, qui vit avec sa famille dans un pavillon du quartier Saint-Louis.
Concrètement, la réservation de ces emplacements entraîne un “gel” des parcelles et supprime le droit de construction du propriétaire. S’il souhaite vendre son bien, il est contraint de le céder à la collectivité. Réunis au sein d’un collectif baptisé “Vincennes danger expro”, les propriétaires concernés ont décidé de contre-attaquer, défendant chacun leur motivation. Rue de Paris, une famille ne veut pas voir disparaître l’immeuble qu’elle a entretenu pendant une cinquantaine d’année, non plus que son jardin situé sur les anciennes écuries du Château de Vincennes. Une autre, qui a rénové sa maison de l’avenue de la République achetée en mauvais état quarante ans auparavant, défend cette vaste demeure qui permet d’accueillir une grande famille. «Après 40 ans passés dans notre maison et dégoûtés de ce que nous vivions, nous avons décidé, sur les conseils d’un agent immobilier, de vendre notre maison à des particuliers car, selon cet agent, la ville ne préempterait pas forcément. Or, la ville a préempté par le biais l’EPFIF (Etablissement Public Foncier d’Ile de France) et le service des domaines a estimé notre maison 17% de moins que le prix de vente que nous avions signé chez le notaire lors de la promesse de vente! Ensuite, nous avons eu deux mois pour décider de partir en acceptant cette offre ou de rester. Nous sommes tellement vidés par cette histoire que nous avons décidé d’accepter ce prix, de fuir Vincennes, notre petite maison et son jardin chargés d’histoires, qui finiront sous les bulldozers dans quelques mois. Nous irons loin pour oublier tout cela», témoigne encore une famille du quartier Diderot.
81 parcelles
Selon le collectif, les 39 emplacements visés concernent 81 parcelles sur lesquelles vivent 300 à 400 personnes (propriétaires et locataires compris) mais ils assurent que les constructions qui doivent remplacer leurs pavillons auront des conséquences sur la vie du voisinage et des Vincennois en règle générale. «Nous ne sommes pas contre le logement social mais ces nouvelles constructions vont aggraver la sur-densification de la ville, supprimer nos petits coins de verdure avec la destruction de nombreux petits jardins, accentuer le déséquilibre de la localisation des logements sociaux et mettre en péril la richesse architecturale du bâti dans la ville»souligne Pierre Benoît qui suggère plutôt d’augmenter la proportion de logements sociaux dans les programmes immobilier, mettre à contribution le patrimoine immobilier public ou impliquer davantage la société d’Economie Mixte, VICEM, dans le rattrapage du retard de la commune sur la loi SRU.
Faute de pouvoir trouver un accord avec la municipalité, qui a entre-temps transféré sa compétence urbanisme au territoire Paris Est Marne et Bois, plusieurs membres du collectif ont décidé d’attaquer l’acte qui a consacré la réservation des emplacements à savoir, d’annuler une délibération du conseil de territoire du 29 mars 2016 approuvant la modification du plan local d’urbanisme de Vincennes. Or, le tribunal administratif de Melun a donné raison à la collectivité dans son jugement rendu public le 20 juillet 2018. Le juge a notamment considéré que «considérant qu’il existe un intérêt général, d’ailleurs non contesté, à créer des logements sociaux à Vincennes et que, ainsi que cela est prévu dans le projet d’aménagement et de développement durables, il est nécessaire d’utiliser tous les outils fonciers mis à la disposition des autorités compétentes par le législateur, notamment celui de l’emplacement réservé (…) il ne ressort pas des pièces du dossier que les emplacements réservés litigieux portent une atteinte grave au droit de propriété des requérants»motive le TA.
Plusieurs requérants ont fait appel de la décision et l’audience doit se dérouler jeudi 20 juin à la Cour administrative d’appel de Paris. «En première instance, le juge a repris l’argumentation du ministère public. Nous pensons que cette fois-ci, la cour administrative d’appel nous donnera raison», espère Pierre Benoît.
La mairie de Vincennes promet de ne pas exproprier
«La ville n’a aucunement l’intention de les exproprier de leur habitation aussi longtemps qu’ils souhaiteront y habiter et la maintiendront en bon état d’entretien. Ce n’est qu’en cas de mise en vente de ce bien que la commune pourrait exercer son droit de préemption afin de contrôler l’utilisation qui serait faite des droits à construire créés par la loi Alur»tempère-t-on au cabinet de la maire, Charlotte Libert-Albanel, avant d’insister sur la nécessité de mobiliser tous les outils juridiques et financiers disponibles pour pouvoir créer du logement social dans ce qui est aujourd’hui la commune la plus dense de France (50 000 habitants sur 1,92 km2) où la cherté du foncier est l’une des plus élevées de la région. L’an dernier, la ville a failli se retrouver carencée en logements sociaux par la préfecture. Le cabinet de la maire défend le bilan des emplacement réservés qui ont permis à partir de 2007 de programmer 474 logements sociaux grâce à l’acquisition de 23 emplacements réservés sur 43 initialement visés par le PLU. «En termes de logements achevés, les logements créés grâce aux emplacements réservés représentent près du quart de la progression de Vincennes ces dernières années et ils ont vu le jour après l’acquisition des parcelles concernées au prix du marché, sans porter préjudice à la valeur estimée des biens des propriétaires. Sans ces emplacements réservés, la Ville aurait certainement dû payer la pénalité SRU et prendrait le risque de se voir retirer sa compétence en matière de permis de construire au bénéfice du préfet.»
2019-06-14 10:00:00
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