Wendell Berry passe de la gratitude au désir dans « Another Day »

Les habitants imaginaires de Port William, dans le Kentucky, imaginés par Wendell Berry, sont presque aussi familiers à ses lecteurs les plus dévoués que les membres de leur propre famille élargie.

Dans une série de romans et de dizaines de nouvelles, peuplées de personnages récurrents qui se déroulent sur plusieurs décennies, Berry fait revivre les joies et les peines des travailleurs ruraux du Kentucky. Son écriture s’inspire de sa propre vie de fermier de longue date dans une vallée de la rivière Kentucky, une vie partagée avec Tanya Berry depuis leur mariage en 1957.

Les talents de Berry s’étendent à tous les genres. Ses essais proposent une non-fiction enflammée qui s’attaque aux forces destructrices qui tuent les méthodes traditionnelles d’agriculture. Dans ses romans comme dans ses essais, on retrouve une tendresse omniprésente pour la terre, pour la communauté humaine et pour la nature, mêlée à une colère ardente envers les forces générées par les machines qui les menacent, ainsi que notre environnement.

Dans un nouveau recueil de poésie Another Day: Sabbath Poems, 2013-2023 – une suite de Tsa journée : recueil et nouveaux poèmes du sabbat qui s’étend sur les années 1979-2012 – les thèmes de Berry sont revisités de manière à la fois familière et nouvelle. On passe de la gratitude au désir dans Un autre jour, une oscillation accentuée peut-être par la pensée profondément réfléchie d’un écrivain octogénaire ; Berry a célébré son 90e anniversaire le 5 août.

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Berry transmet si parfaitement les émotions qui se chevauchent de l’amour et du chagrin que, parfois, je lis à travers les larmes (ceci de 2013, poème IV) :

Ce qui vient c’est la lumière, faible,
presque substantiel, de la lampe à huile
au milieu de la table de la cuisine,
jetant dans l’obscurité qui l’entoure
les ombres des vieux grands-parents
et leur petit-fils au souper.

Le poème se termine ainsi :

Maintenant, leur égal enfin
au fil des années, comme il les aime, comme
il leur manque. Avec quelle prudence encore
il les garde dans ses remerciements.

Il y a un amour durable pour Tanya dans ces poèmes. Il fait référence à elle dans « 2022, poème I, daté du 29/05/22 », en disant que l’amour « lui est venu une fois sous la forme d’une fille/ et il demeure dans l’arrière-grand-mère de la fille ».

La révérence pour Dieu est également présente ici ; après tout, ce sont des poèmes de sabbat (Berry ne met pas toujours le mot en majuscule). Dans l’introduction du volume précédent Ce jour-làBerry écrit sur la notion du sabbat comme jour de repos, le qualifiant de jour où les gens pourraient comprendre que « la providence ou la productivité du monde vivant, le travail le plus essentiel, continue pendant que nous nous reposons ».

Dans Un autre jourla révérence est parfois rendue explicite (2015, poème XIII) :

C’est seulement la vie du Christ,
la vie éternelle, donnée,
reçu, donné à nouveau,
Cela complète notre travail.

Les poèmes de louanges qui laissent ouverte une interprétation qui peut être religieuse ou non sont plus attrayants. Dans un poème, il y a une brebis qui accouche et bêle « son éloquence absolue de joie ». Dans un autre, la compagnie des arbres offre « le luxe de l’absence de mots ». Et dans un autre encore, il y a des phébés qui « dansent / dans l’air, sur la branche, / leur amour l’un pour l’autre ».

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En effet, Berry nous demande de voir, de vraiment voir, d’autres vies – et lorsque nous ne le pouvons pas, de savoir néanmoins qu’elles sont là, contribuant de manière vitale à créer notre monde (2014, poème VIII) :

Prendre soin de ce que nous connaissons nécessite
se soucier de ce dont on ne se soucie pas, la vie du monde
sombre dans le sol, sombre dans l’obscurité.

Une délicieuse acuité marque l’écriture de Berry sur l’obsession des écrans – notre engagement culturel à regarder, jouer avec et vivre à travers des ordinateurs et des téléphones qui nous empêche de voir ce qui (et qui) compte (2013, poème XVII) :

En regardant les écrans,
écouter les voix
à une distance inexistante,
ne rien voir, ne rien entendre
présent, nous passons dans
l’âge de la désincarnation

Pour les machines industrielles qui déchirent la Terre, qui augmentent en taille et en économie la destruction des petites fermes et de l’environnement tout entier, Berry réserve une ébullition particulière. Un long poème de 2023 raconte parfaitement cette histoire. Dans ce poème, un homme rêve qu’il revient d’entre les morts dans un pays qu’il a connu, sa propre place dans la vie (2023, poème I) :

Mais maintenant le fer et le feu étaient passés
dessus, et tout avait disparu :
tout ce qui est au-dessus du sol,
chaque bâtiment, chaque arbre,
chaque pierre qui marquait nos tombes.

Ce qui suit est un dialogue avec une « voix familière » dans lequel la « participation du rêveur à la conflagration du monde » est interrogée, comme bien d’autres choses ; le rêveur demande pourquoi il a été amené à cet endroit. La réponse vient comme conclusion du poème :

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Votre rêve de la ruine de votre terre natale
fait maintenant vivre en vous votre petit
part du plus grand amour qui a fait
le ciel et la terre. Le plus haut
et tout entier, cet amour est le matin du sabbat
où vous pourrez enfin vous reposer.

Comme les essais féroces et les romans lumineux de Berry, ces poèmes offrent des cadeaux de vision, de savoir qu’il existe une autre façon de vivre maintenant sur cette Terre : une façon qui honore l’amour, la terre et tous les êtres. Peut-on se reposer tant qu’il est encore possible d’y parvenir ?

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